Voici un étrange récit sur les comportements d'hommes rassemblés dans des camps, en France et en Algérie, entre 1940 et 1942.
Etrange parce que l'histoire est racontée par un corbeau bien noir à l'humour de la même couleur, Jacobo, qui, de son perchoir, observe ce qui se passe sur le site concentrationnaire. Est-ce un récit, une biographie ou un conte ? Les trois sans doute.
Encore un livre sur les camps de concentration, me direz-vous ? Oui mais traité avec originalité, à hauteur d'oiseau, toujours prêt à s'envoler vers la liberté.
Etrange aussi le destin de
Max Aub, né à Paris de père allemand et de mère française, pour s'exiler en Espagne en 1914. Devenu espagnol,
Max Aub écrira toujours dans cette langue « parce que personne ne naît en parlant ». Alors qu'il écrit des pièces de théâtre, des nouvelles, des essais, des articles de presse et est inscrit à l'Alliance des écrivains antifascistes pour la défense de la culture, il rencontre
André Malraux et prépare avec lui un film de propagande pour le gouvernement espagnol puis, plus tard l'aidera à diriger le tournage de Sierra de Teruel tiré du roman
L'Espoir. En 1936-37,
Max Aub revient en France comme attaché culturel des Républicains. En 1939, après la guerre civile espagnole, il se réfugie en France où il ne tarde pas à être considéré comme communiste, juif et Allemand alors qu'il se dit socialiste, laïc et républicain.
Il est envoyé au camp du Vernet (Ariège) sur dénonciation, placé dans le quartier C, celui des preuves inexistantes ou insuffisantes. Quand il n'était pas de corvée « tinettes », il écrivait inlassablement sur ce qu'il voyait, entendait et observait dans le camp « un des centres culturels les plus renommés… où les gardiens portent un uniforme, comme les portiers des meilleurs hôtels ». Jacobo le corbeau a le bec dur envers le totalitarisme et la bêtise du monde. Il profite de sa forme animale pour relever les absurdités et les contradictions des hommes qui « désirent d'autant plus la liberté qu'elle est hors de leur portée ».
Ce petit livre est bourré d'observations fort instructives en des chapitres de tailles variées sur quantités de sujets : de leurs dieux, de la nourriture, de la propreté, du travail, des médecins, de l'espèce, des emblèmes, de l'excellence des camps, des hiérarchies, de l‘argent, des papiers, des frontières, du fascisme, du plus grand des écrivains, du salon de coiffure,… Il y en a vraiment pour tout le monde. Parfois c'est amusant. Lorsqu'on connaît les conditions de détention de ces prisonniers, cela devient grinçant et sarcastique.
Max Aub a été interné deux fois en un an au Vernet puis relâché sous surveillance et finalement envoyé au camp de Djelfa dans le sud marocain où il apprit à fabriquer des espadrilles. Un gardien gaulliste l'aida à s'échapper et après bien des tribulations, il aborda au Mexique où il vécut jusqu'en 1972.
Il ne cessa jamais d'écrire et de correspondre avec ses amis parmi lesquels
André Malraux,
Franz Kafka,
Pablo Casals, Jose Ramon Arana,
André Gide. Son oeuvre est méconnue parce que peu ou pas traduite. Grand tort.
Une quarantaine de pages sont consacrées à une biographie détaillée de
Max Aub par José Maria Naharro-Calderon, professeur à l'université du Maryland (USA), spécialiste des auteurs littéraires exilés.
Un grand merci à DanD qui par sa chronique m'a donné l'envie de découvrir cet auteur atypique qui a « consacré sa vie et son écriture à défendre sa morale basée sur les principes de la dignité de l'être humain ».