Michael Morpurgo

J'étais simplement heureux de prendre à nouveau la mer, de sentir le balancement de la houle, de contempler les oiseaux planer dans le vent au-dessus de moi, de regarder les étoiles. On les voit mieux en mer que n'importe où ailleurs.

S'il y a une partie de ma vie que j'aurais envie d'oublier entièrement, c'est la quinzaine d'années qui suivirent. On pourrait les appeler mes années de traversée du désert. Je n'ai pas envie d'écrire sur elles, mais je dois le faire. Que cela me plaise ou non, je ne peux aps les laisser de côté. Heurement pour moi, une bonne partie d'entre elles s'est perdue dans une sorte de semi-oubli nébuleux. Je crois que cela arrive parfois. Il s'agit peut-être d'un système de survie automatique qui nous aide à nous en sortir. La mémoire dit peut-être simplement: ça suffit. Je sui surchargée de douleur, je n'en peux plus, alors je m'éteins. Mais elle ne s'éteint pas complètement. Aussi se souvient-on, mais heureusement de façon confuse, à travers le brouillard. Parfois, cependant, la brume se dissipe, et l'on voit pointer des icebergs autour de soi. On les entend gronder et grincer, on voudrait alors naviguer entre eux et se retrouver de l'autre côté, ou bien on se contente de souhaiter qu'ils disparaissent de nouveau dans le brouillard.

Je ne sais pas pourquoi j'aime autant vivre sur un bateau. Il se peut que je m'y sente simplement en sécurité, comme si je faisais partie de lui, et qu'il faisait partie de moi. ET puis j'aime le bruit de la mer, le clapotis de l'eau au-dessus de moi, son mouvement en dessous, le claquement du mât dans le vent, les oiseaux.

Nous restions assis là, sur le pont, le soir, tous les deux, tandis qu'une brise fraîche se levait de la mer et qu'au dessus de nous le ciel était plein d'étoiles. J'ai aimé les étoiles depuis ce temps-là. En dessous, nous étions comme des coqs en pâte. C'était le septième ciel.

La mémoire est une grande et puissante magicienne. Elle vous joue des tours que vous ne pouvez tout simplement pas comprendre, malgré tous vos efforts pour en saisir le sens.

Mais à ce à quoi on veut penser n'est pas nécessairement ce à quoi on pense.