Citations de Michal Govrin (17)
Oui,la nuit,j'organise des séances pour ressusciter la poésie,papa.Mandelstam,Blok,Tsvetaeva,le jeune Shlonsky."Tes" voix.Le chant déchiré de l'individu,au cœur de l'émotion des masses.Des voix blessées,vastes,qui écrivent le rouleau secret du siècle.L'amour désespéré qui les consume ,et moi avec eux.J'ai lu hier dans la luit Tsvetaeva,comme "une bête éventrée ".p.112
Mais mille sources vives sourdaient en mon coeur,
et mon âme n'aspirait qu'à des flots d'amour, des flots d'amour...
Haïm Nahman Bialik
.....la fin d'une chaude journée new-yorkaise.A l'entrée d'un sex-shop,un vendeur suit des yeux avec l'indifférence d'une panthère deux policiers en train de patrouiller.p.46
Le réalisme du rêve.Il fait ressurgir les heures douloureuses et illuminées de la fin,ensemble.Je reste allongée un long moment sans que le rêve s'éloigne.p.89
"J’ai le sentiment que [Borges] dit quelque chose que je possède au fond de moi, quelque chose que je ne peux cependant pas exprimer. Car il y a des choses que nous ne voyons pas, et pourtant elles existent … c’est ce que nous révèlent les écrivains."
Papa, comment te dire que ce que tu m'as transmis, dans la mutation génétique des générations- au-delà du chapitre intermédiaire du sionisme, au-delà de la fine membrane d'attachement à la terre-, c'est ce désir ardent d'errer.Un désir qu'aucun des bâtiments que j'ai construits n'a réussi à stopper. Aucun plan d'architecture, malgré tous les prix venus les couronner.
( p.44)
Esther se mouvait, exposée à la nuit, à tous ceux qui s'étaient regroupés autour de la piste. Elle n'avait aucun mot pour exprimer ce qui s'était levé en elle dans des pépiements d'oiseaux et la submergeait à son insu ; quelque chose saignait depuis la voix qui chantait, comme les mots du poète qu'elle avait déclamés ; des mots consumés par les flammes qui détruisirent le Temple de Jérusalem, où un ultime frisson traversa les braises. Son corps était porté vers quelque chose qu'elle ne contrôlait pas et dont les branches, lourdes de cris d'oiseaux, l'enchevêtrait à Moïse, à Alex-Alejandro, à ses parents qui l'attendaient à la maison, autour de la table de la cuisine. Car la femme blanche au visage brisé, c'était elle ; seul le vent l'avait arrachée aux abîmes de la mort, la déchirant de son souffle immense. Vivre !
Le corps d'Esther, qui avait encore minci durant sa maladie, frissonna au contact de l'air chaud, et, au même moment, en d'autres lieux encore du monde, des lieux dont Esther n'avait même pas idée de l'existence, un tremblement se levait. Chacun était alors ramené à sa solitude.
Mais tel un battement d'aile qui suscite une tempête à l'autre bout du monde, le tremblement retentit en écho au frisson d'Esther. Cet après midi, elle était pourtant sortie avec une vitalité renouvelée, dont elle n'avait pas encore déchiffré le sens. P 295
Un livre bien écrit, bien construit, la gravité sous la légèreté, superbe.
"Aujourd’hui, le seul devoir qu’ont les Juifs, c’est de se préserver, de survivre, tu me suis ? Survivre !"
Je suis au stade ou j’ai fait un pas au-delà de la symétrie de la haine, du sacrifice mutuel, ou des sentiments coupables… Je suis au stade où s’ouvre une nouvelle réalité, avec une dimension qui consiste à »lâcher » prise dans ce lieu gorgé de sang. Je veux montrer que le lieu où s’exerce l’instinct de propriété par excellence possède une existence au-delà de l’emprise des hommes comme il est écrit dans le récit biblique : Et tu laisseras la terre se reposer…
Et, dans la fulgurance d'une intuition, il lui arriva de s'asphyxier à l'idée que la haine resurgirait, bouillonnerait, puis déchirerait le silence, s'élèverait en flammes saturées de cris, d'explosions, avant d'embraser les collines de sable, les maisons, et les champs qui se trouvaient de chaque côté de la frontière. Tout cela, Alex l'éprouvait telle une vague puissante, sans qu'il puisse néanmoins exprimer ce qui résonnait en son sein.
..., elle ne savait même plus si elle avait effectivement parlé, ou si les mots n'avaient fait que résonner, si proches, dans sa tête, tandis que seuls l'enveloppaient les yeux couverts de cils épais, qu'elle connaissait depuis longtemps, et que les mots brûlaient en elle, puis devenaient sa propre respiration.
En fait, il n'existait aucune langue à travers laquelle il aurait su dire ce qui se jouait en lui, ni ce qui l'emportait morceau par morceau.
L’imagination refuse de se transporter là-bas, de se détacher de l’espace qui maintient encore nos vies
Comme si je dépliais l’une après l’autre les dizaines de cartes que j’ai dessinées, dans des échelles différentes, tandis que la main de Saïd pianote dans le vent. La chaume, les ronces, les pierres qui roulent sur les talus qui s’ouvrent, plis après plis
Et de nouveau tout recommence : la trahison, le sentiment d’être acculée sans avoir le choix, au nom d’une sorte de fidélité, que je ne suis pas sûre d’avoir réussi à l’expliquer durant ces mois de conversations, de l’autre coté de ta mort.