Citations de Michel Baglin (149)
Les seins à la proue de la lumière,
les lignes du nu épousant l'imaginaire
et ses galbes modelés par les générations,
les cimes immaculées crevant nos ciels intimes,
la grâce d'un geste quand il témoigne
de la fragilité du vivant s'élevant
au dessus de son propre néant,
voilà pour nous laisser croire que toute beauté
est naturelle et comme donnée.
Pourtant même reconnue
dans la fougue d'un torrent ou la mer
étirant son éternité sous la caresse du vent,
elle ne l'est pas plus qu'elle n'est,
sur la toile, le fruit des cogitations du peintre,
qui sait juste comme on fait danser les couleurs.
La beauté n'est peut-être
que le désir exaucé d'entrer dans le tableau
par la grâce des sentiers devinés
dans nos arrière pays,
une superposition improbable
du dedans et du dehors,
la coïncidence d'une attente secrète
et d'une rencontre de hasard.
Ainsi nos harmoniques intérieurs
trouvent-ils dans le monde l'accord
avec les notes qui lui correspondent.
Ainsi le réel, le terrible réel,
les mots soudain le font-ils chanter
tandis que la métaphore chez chacun
enracine le verbe dans le corps.
Des villes m'épellent, des rues, des passants, des maisons à peine parfumées.
Je les écoute se survivre en moi avec la discrétion des êtres inutiles - lieux entrevus qui font qu'un rien d'exil est dans sa propre vie, feux sans âtre, histoires jamais conclues dont le poème serait le dernier écho.
Le dernier mot
Je rends grâce à qui se cabre,
certain pourtant que le cimetière sauvage de l’humus
le réconciliera un jour avec la terre.
Aux bêtes que nous sommes et dont la vie se sert,
aux hommes que nous devenons en grattant la blessure.
A tous ceux qui, sachant qu’il est une même nuit,
n’ont renoncé ni à user de l’outil, de la guitare ou de l’encre, ni à soigner les corps,
ni à planter des arbres.
Je ne rends pas grâce à la peur, qui arme notre fragilité de ses mauvais alibis.
Mais à l’inquiétude, oui. Aux oreilles dressées, aux cœurs battants.
Aux paupières qui ne se ferment pas docilement avec la nuit.
Aux aguets.
Aux alertes qui nous valent de ne pouvoir consentir tout à fait au sommeil des justes
alors que des hommes dehors n’ont que des remparts de carton à dresser contre le froid
et que la paix n’est plus que le fruit blet des combats perdus.
A la main d’un petit d’homme dans ma main quelque part en Afrique
Aux citoyens du monde parce qu’ils répètent
qu’il n’est rien d’autre à partager qu’un peu d’air, d’émotion et de pain,
Au chagrin des gosses qui m’ont pris à témoin
Au clodo qui boit pour mieux compatir,
A ceux qui par avance ont tout pardonné pour entendre,
A la peau des femmes que l’amour satine, à leur ombre portée,
A celles qui auront posé leur énigme sur le coin de mes lèvres,
Je sais aujourd’hui que je ne rendrai jamais assez grâce de m’avoir désarmé.
Cette vie la porter
jusqu'à l'incandescence
comme un bouquet fragile
d'étincelles sauvées
dont seul l'éclat fertile
aurait un peu de sens.
La porter comme un feu
au temps des hommes nus,
comme un noyau de braise
à transmettre à tous ceux
qui refont la genèse
en paradis perdu.(...)
Cette vie l'enchanter
d'un sourire entrevu,
de ces bonheurs fortuits
du passant amusé
et des odeurs cueillies
par hasard dans la rue.
L'enchanter à l'envie,
à petits coups de coeur,
à petits coups de chance,
en quêtant l'âme soeur
ou la clarté d'enfance
dans un regard surpris.
(" De chair et de mots")
Rien n'est joué encore,
rien n'est dit. Le jour point.
Rien sinon cette pluie
sur le soleil d'un visage.
Avec la nuit
quelque chose s'en va
qui doucement vous floue,
qui vous a mis à nu
et ressemble toujours
à un malentendu.
Sisyphe heureux
extrait 2
Horizon jamais atteint, l’avenir ne le concerne pas.
Son sourire est un salut aux nuages. Son bonheur une
manière de soleil qui s’attarde aux corps nus et aux
jeux des vitraux. Il mûrît les fruits en chantant, par
accident.
Sisyphe heureux
extrait 1
L’instant est étincelle. Poussières déposées que le
vent rallume, les souvenirs sont le feu même. Seule la
mémoire qualifie. Seule, elle embrasse l’homme
dépouillé de ses mensonges et lui tend le miroir. Elle
l’enserre et le tient quand il croit la porter. Lui marche,
somme déjà, inachevée.
Les nomades
extrait 5
Le langage fut souvent complice de la mise au pas et
en demeure : on les a arraisonnés, on ne les raisonnera
Plus. Bien que piégée, leur mémoire est encore celle du
voyage, leur rire un soleil vengeur qui témoigne.
Le nomade ne cherche pas de justification à sa vie : il
est insensé puisqu’il est sans destination, partant sans
destin. Ses feux et ces lieux ne sont que sa révolte, son
âme, sa poésie.
Marcher lui suffit.
Les nomades
extrait 4
La raison d’état a pétrifié les nomades et tarifé le
Voyage. Des vagabonds sans feu ni lieu ont acquis
territoire et fait allégeance : emmurés, séparés, ils
ont plus froid que jamais. Et c’est à l’errance et à la
mémoire ― aux souvenirs des haltes ― qu’ils font
appel aujourd’hui pour y redécouvrir un semblant
de chaleur et de racines.
Car les feux qu’ils aimaient étaient des feux follets,
les lieux convoités des escales amoureuses qui devaient
augmenter l’aventure.
Les nomades
extrait 3
Maigre était leur bagage. Prêter son âme à l’oiseau
prisonnier dans l’essieu des wagons donnait le change
à l’absence de but.
Assis sous les tilleuls, nos vieux avaient retrouvé la
même simplicité : quand le jour était au plein de sa
force, ils prenaient le temps d’aimer une abeille, et
c’était l’autre manière de contempler les feux durables
qu’on entrevoit aux vitres des trains de nuit.
L’une et l’autre disaient qu’une herbe aux lèvres peut
suffire.
Les nomades
extrait 2
Sans jamais croire à l’horizon, ils se dénudaient à
chaque pas. S’allégeaient, usant la corde des promesses.
L’abeille de l’avenir s’était épuisée à les poursuivre.
Vies éperdues, leurs vies gitanes incendiaient nos
demeures. Nous n’en détenions ni l’âge ni la rumeur
mais saluions ce feu contagieux de leurs vains périples,
quand leur passage rayait les yeux des sédentaires :
fragile, la comète d’un regret.
Les nomades
extrait 1
Leur rire était sans complice. Brassée d’eau jetée
dans la lumière, il ne demandait rien aux hommes
qu’il foudroyait, pas même l’écho.
Leurs cœurs étaient fauves et leurs mains libres : ils
avaient tressé leur passé comme un panier d’osier qu’ils
portaient à leur flanc.
Été
Lumière
Chaleur
Le vent flambant
Dans tes cheveux
Tes yeux dormant
Dans leur couleur
Le ciel se terre
Silence bleu
POÉSIE ET PESANTEUR
Les images des poètes n’inventent pas un domaine
d’exil. Condensations soudaines de visages évanouis, la
mémoire s’y ressource, chacun les nourrit.
Chacun les arpente, à leur complicité mesurant sa
pesanteur intime. Mots repeuplés d’autres mots, qui
réhabilitent l’étonnement de naître à chaque pas. À
leurs amarres ténues je dois mes racines de nomade, à
ces bivouacs partagés le réveil des fraternités qui
m’habitent, l’espace d’une émotion et d’un salut.
Les images des poètes n’inventent pas un domaine
d’exil . imprévisibles, nous les portons pourtant. Elles
nous ressuscitent à chaque feu qu’elles rallument d’une
étincelle juste.
Oui, penché sur ta table de travail
Dans l'obscure rumeur du temps
Tenant la dragée haute à la camarde,
Tu auras pris la parole
Au nom de tout ce qui ne veut pas mourir
Pour chanter le regret
De cette vie qui nous appartient si peu,
Alors que ta mélancolie devinait déjà
Dans le froid mortel de l'exil,
Ce chapeau resté sur la table
Qui un jour à son tour
Nous parlerait tellement de toi.
(...)
Par commodité on appelle ce qui dure un peu plus que nous le monde.
(...)
Je me souviens d'une phrase lue quelque part, chez Kundera peut être, révélant que le héros ne désirait pas la nudité d'un corps de jeune fille, mais "un visage de jeune fille éclairé par la nudité du corps".
Le dos appuyé au radiateur, j'observe les petits vieux qui blaguent en épluchant les gousses d'ail. De temps à autre, une crise d'hilarité découvre leurs chicots et ils se mettent alors à réajuster leur béret sur le front d'un geste mécanique.
Puis la patronne ramasse les assiettes et leur porte l'étui de jeux de cartes, tandis qu'ils essuient et replient leurs canifs.
Les mariniers, eux, en sont à rouler leurs clopes.
Tout cela, un peu suranné, me fait du bien.
J'aurais juré que ça n'existait plus.
JEUX DE MIROIRS
Écrire, c’est exprimer cette part de soi qu’on découvre chez autrui, cette part d’autrui qu’on reconnaît en soi-même.
Charles Juliet
3
On dit « l’autre » et l’on pense au migrant, à la faim
qui le pousse à l’exil.
On pense aux terres lointaines et aux charters de
l’aventure encadrée.
À ce maelström obscène autour de la planète de la
misère et du tourisme qui se croisent
– les uns dans les aéroports, les autres dans une
galère de clandestins – sans jamais se rencontrer.
On dit « l’autre » mais sait-on qui l’on stigmatise
ainsi, qui l’on tient à distance avec un mot,
Quand l’autre reste en nous la part obscure et sans
langage ?
La ressemblance rend possibles l’empathie et la
fraternité,
mais aussi l’efficacité des bourreaux.
La différence conduit à l’incompréhension, parfois,
mais enrichit l’avenir de tous les métissages.
Ainsi l’autre nous est d’autant plus nécessaire
qu’il a de multiples façons de nous ressembler.