Il y avait dans tes rues tous mes quartiers d’automne. Ma tristesse d’écolier quand septembre décline et les frayeurs confuses. Un sourire de tes yeux emportait les dernières digues avec les premiers chagrins.
L’hiver encore. Ses soleils fonctionnaires aux ordres des interrupteurs. A l’horizon des corps solitaires, ton couchant cent fois pressenti.
Ô savoir l’aventure condamnée, l’espoir pauvre comme un avenir sans surprise! En pleine floraison, le dessèchement des feuilles inscrit dans les calendriers…
Voilà. Le ciel va neiger. L’angoisse est froide et lourde, comme une dalle dans la poitrine. Ce monde qui s’en va était un dernier lit.
La lune a trébuché.
Tu vieillirais donc en distillant toujours la nostalgie sur les derniers chantiers du rêve. L'ultime passion de ta rancœur n'allumerait plus que des colères de paille.
Tes souvenirs ne feraient pas de bruit. Tes cimetières seraient peuplés d'éclairs. Blancs, comme ta vie.
Et tu mourrais comme on replie sur soi les draps, ayant éconduit les aventures offertes. Au fond d'une citadelle, d'un regret embué, d'une sagesse d'un autre age.
Sans avoir dit pourquoi, sans avoir dit pour qui, longtemps, tu auras eu si froid.
Col relevé, les mains aux poches, passait l’ennui du soir des solitaires.
Celui qui jouerait un peu plus loin, un peu plus tard, dans les vieux théâtres de l’ivresse, quand l’alcool farderait des rêves qui ne tiennent plus debout.
Un peu plus loin, un peu plus tard, quand seuls demeureraient les yeux morts des voitures et des feux des carrefours pour égrener la nuit des rues.
Un peu plus loin, un peu plus tard, quand il ne resterait plus que des vitrines en veilleuse, des ruelles qui résonneraient comme des déambulatoires pour des dieux soûls.
Avec cette lune qui attend toujours, dans le canal, un rendez-vous.
Devant ces feuilles noircies, de guerre lasse il en convient:
rien ne s'accomplit que par des points
de suspension, des pollens livrés aux vents.
Même si la graine parfois mène au fruit
par le chemin des branches, des fleurs, des hasards
et le travers des saisons.
Il en convient comme il admet
qu'il n'est de pages vraiment tournées,
jamais. Seulement de l'encre qui s'efface.
Les seins à la proue de la lumière,
les lignes du nu épousant l'imaginaire
et ses galbes modelés par les générations,
les cimes immaculées crevant nos ciels intimes,
la grâce d'un geste quand il témoigne
de la fragilité du vivant s'élevant
au dessus de son propre néant,
voilà pour nous laisser croire que toute beauté
est naturelle et comme donnée.
Pourtant même reconnue
dans la fougue d'un torrent ou la mer
étirant son éternité sous la caresse du vent,
elle ne l'est pas plus qu'elle n'est,
sur la toile, le fruit des cogitations du peintre,
qui sait juste comme on fait danser les couleurs.
La beauté n'est peut-être
que le désir exaucé d'entrer dans le tableau
par la grâce des sentiers devinés
dans nos arrière pays,
une superposition improbable
du dedans et du dehors,
la coïncidence d'une attente secrète
et d'une rencontre de hasard.
Ainsi nos harmoniques intérieurs
trouvent-ils dans le monde l'accord
avec les notes qui lui correspondent.
Ainsi le réel, le terrible réel,
les mots soudain le font-ils chanter
tandis que la métaphore chez chacun
enracine le verbe dans le corps.
Bruno Doucey lit le texte "Merci à la vie" de Michel Baglin, extrait de l'anthologie "Courage ! Dix variations sur le courage et un chant de résistance", publiée aux Éditions Bruno Doucey en 2020.