Michel Gay (II)

« L'homme doit accepter sa condition d'homme s'il ne veut pas courir à sa perte, et sa condition est humble : il fait partie du tout auquel il lui faut contribuer à la juste échelle, et non avec la démesure absurde dans laquelle il s'est engagé. »
Jean Giono

_ C'est totalement incompréhensible. Libérer, diffuser un virus mortel et venir proposer l'antidote.
_ C'est au contraire d'une logique effroyable. Eux seuls détiennent la clé pour sauver l'humanité et, de facto, nous sommes totalement à leur merci.

Pour leur protection, les Alßéens étaient fortement incités à ne plus sortir de chez eux le temps nécessaire pour éradiquer le mal. Soudain privée d'une liberté remontant à la nuit des temps, étrangement, la multitude se résignait.
C'est à ce moment précis qu'apparurent pour la première fois les gardes. Le visage dissimulé par leur casque à la crinière noire, vêtus d'une tunique noire ornée d'un cobra rouge, ils utilisaient le redoutable dianoia, l'amplificateur de pensée destructrice, l'une des armes interdite par les Grands Anciens...

« Chacun, parce qu'il pense, est seul responsable de la sagesse ou de la folie de sa vie, c'est-à-dire de sa destinée. »
Platon

Il n'aura fallu que quelques jours à peine. Des millions de morts sur tous les continents à cause du virus, des phénomènes climatiques dévastatateurs et ciblés, la panique, le pillage, les affrontements armés, la déstabilisation politique et sociale... De toutes parts surgit le néant, le monde est prêt !
L'impensable se réalise. Tous les médias, les réseaux sociaux se déchaînent. Les uns après les autres, les chefs d'État annoncent le transfert de la totalité des pouvoirs à un nouveau gouvernement mondial seul en mesure d'enrayer l'épidémie, de stopper les catastrophes qui frappent la planète et de rétablir l'ordre.

» Tu portes encore de nombreux doutes en toi. Tu t'es enfermé dans la lutte du bien contre le mal. Pourtant, le jour ne peux exister sans la nuit, le chasseur n'est rien sans la proie, la vie ne prend tout son sens qu'avec la mort. Les deuxfaces d'un même tout créent l'équilibre et l'harmonie. Tout cela est fragile un simple grain de sable peut bloquer la plus puissante des machines. Mais le même grain de sable peut être emporté par les flots et disparaître, englouti à jamais.»
Michaël se sent perdu, comme enivré par les étranges paroles de ce drôle d'homme rouge. Mais qui est-il au juste ?

« La victime de la manipulation mentale ignore qu'elle est une victime. Les murs de sa prison lui sont invisibles et elle se croit libre. »
Aldous Huxley

À l'origine, les Grands Anciens sont apparus pour accompagner, pour guider le jeune peuple Alßéen. Ils enseignaient tout à la fois mathématiques, astronomie, climatologie, biologie, chimie, botanique, zoologie..., en léguant nombre d'inventions.
Le plus fondamental résidait dans la transmission de savoirs spirituels, à l'instar de la communication par la pensée, de l'influence de l'esprit sur le vivant et la matière physique, de la téléportation quantique et parapsychologique. Il n'y avait pas de concept de religion proprement dite, tout cela passait par la méditation, la communion avec les esprits de la nature, le respect de l'équilibre et de l'harmonie naturelle...

Michaël n'est pas sa réincarnation. Il a sa personnalité propre, différente et indépendante, elle s'en est aperçue ! Michaêl semble plutôt être la « Flamme Jumelle » de Tin-Hael. Deux âmes identiques, qui se sont séparées au moment de l'émergence d'une flamme unique, pour rejoindre deux entités différentes. Il s'agit du yin et du yang d'un même tout.

Le bruissement léger de la brise dans les eucalyptus... Elle marche pieds nus dans le chemin de sable qui part de l'immensité bleue. L'air iodé est particulièrement doux ce matin. D'un buisson s'échappe brusquement l'une des tourterelles blanches de la volière, dans un battement d'ailes affolé. Avançant lentement sur le sentier, elle ne le voit pas tout de suite, mais devine sa présence. Deux yeux jaunes transpercent le feuillage d'un épais Morella faya aux fleurs orangées. Des oreilles pointues surmontent la tête au poil noir, seule une légère barbichette blanche souligne la forte mâchoire. Il n'y a pas de doute c'est bien onux.
Le loup ne quitte pas des yeux la silhouette élancée qui effleure à peine le sol. Il a fait en sorte qu'elle le voie, alors il redevient invisible. Elle ressent son aura bienveillante. Malgré le soleil qui se détache de la grande bleue, le doux parfum aux notes de vanille des lauriers-roses du jardin, cette atmosphère de quiétude, la main tremblante dans ses longs cheveux d'ébène trahit un tressaillement inhabituel.

« La possession du pouvoir corrompt inévitablement la raison. »
Emmanuel Kant

À une autre époque, l'information serait presque passée inaperçue, mais avec la pandémie irradiant le globe du nouveau virus mortel, avec le déchaînement inexplicaple des récents phénomènes naturels, les médias en ont fait leur leitmotiv. Depuis hier soir, l'horloge de l'apocalypse a été mise à l'heure pour indiquer 23 h 59 et 59 secondes... Est-ce vraiment le symbole de la fin du monde qui s'annonce ? Michaël ne sait quoi penser.

Tin-Hael va mourir. Un instant, la peur la submerge... C'est fini... Elle se reprend, elle admet sa propre fin, mais son amour va mourir, tous ceux qu'elle chérit et qui ne comprennent pas vont mourir, des dizaines de milliers d'innocents vont périr, des êtres de toutes les espèces vont disparaître. Elle le sait et ne peut rien, c'est le pire.
Si, pourtant ! Le monde, un nouveau monde, pas le sien - émergera, se construira, évoluera et... tout recommencera. Non, pas cela ! Elle doit transmettre... Ses yeux se ferment dans un bruit gigantesque, une lumière aveuglante, une vague immense, l'eau frappe de plein fouet, tout s'obscurcit. Plus rien.

« Le fatalisme a des limites. Nous devons nous en remettre au sort uniquement lorsque nous avons épuisé tous les remèdes.»
Gandhi

… Tes souvenirs ne sont pas là pour revivre un passé qui n’est plus le tien, mais pour t’aider à préserver un avenir, celui d’un autre toi, celui d’un autre monde…"

À l'aveugle, d'autres coups de feu éclatent. Ils se relèvent et parviennent à s'échapper, le chemin n'est pas très large et la pente devient assez raide. Ils courent à en perdre haleine, derrière eux des bruits de voix se font entendre. La remontée parait interminable, ils ne tiendront pas encore longtemps à ce rythme. Pourtant il le faut. Une nouvelle porte en bois, fermée !
Dans un mouvement aussi irréfléchi que désespéré, Michaël dépasse Olympe, prend son élan, s'élance de tout son poids. Un craquement, la porte cède. Inespéré ! De l'air, le ciel. Ils débouchent au fond de la cour d'un vaste immeuble visiblement abandonné depuis un certain temps. Ils se hâtent, leurs poursuivants ne doivent pas être très loin derrière. Parvenus à rejoindre la rue, ils pressent le pas, changent fréquemment de direction. Personne ne semble plus à leurs trousses. Ils marchent au hasard, finissent par rejoindre une artère fréquentée. Que faire à présent ?

Depuis des années, la lutte contre le réchauffement climatique, l'extinction des espèces, la surexploitation des ressources font l'objet de cris d'alarme en tout genre. Tout le monde s'en émeut, personne ne fait rien ou presque. D'un côté, des déclarations d'intentions restant lettre morte, la résignation du "de toute façon, on n'y peut rien". De l'autre, des gesticulations exacerbées, un extrémisme repoussoir. Un même résultat global : une inertie qui nous tuera tous....

D'abord l'impression étrange de marcher au fond de l'océan, naturellement, comme s'il respirait sous l'eau. Loin sous la surface, un paysage chaotique, des vestiges de ce qui ressemble à des colonnes brisées, des pans de murs, une sorte de chaussée pavée de larges dalles, ou du moins ce qu'il en reste. Plus loin, un bras sort du sable...
Puis soudain, le ciel apparaît, l'océan a disparu, Michael reconnait le bras, mais il n'est plus enseveli. Ce n'était qu'un élément visible. Il s'agit en fait d'une grande statue, probablement faite d'ivoire et d'or, représentant un sage ou un dieu au visage majestueux, la main tendue vers les cieux. La statue semble marquer l'entrée d'un temple au toit triangulaire.
Le fronton de la façade est soutenu d'une double rangée de trente-six colonnes magnifiquement sculptées. Au centre, une porte monumentale en bois de cyprès interdit l'accès.

"Il est petit, mais c'est un bon chasseur" pense Cromignon.

Au lever du jour, le petit loup réveille Cromignon. Il a senti les chasseurs.