Je pense à Thomas. Au moment où j'écris ces lignes, j'aimerais l'imaginer heureux, débarrassé de ce voile qui assombrit ses yeux. J'aimerais l'imaginer le souffle reposé, à même de s'attendrir, un peu, sur lui-même.
Qu'il prenne enfin soin de sa vie et de ses rêves, s'il lui en reste.
Éteindre, maintenant.
Cette nuit, la ville semble tranquille et n'a pas besoin d'un veilleur.
C'est donc quelques mois plus tard que son regard s'embruma. Quand les premières couleurs s'effacèrent devant lui, il eut une pensée pour ses filles et rassembla dans un souffle les souvenirs qu'il gardait d'elles : les longs cheveux noirs de Fatima, la bouche aux lèvres épaisses de Loubna, leurs robes blanches qui ondulaient sur leur corps, quand elles couraient en riant dans les rues.
La même semaine, il apprenait par la radio que la France, battue à Milan 1 à 0 par la Bulgarie, ne participerait pas à la phase finale de la Coupe du monde de football, organisée au Chili.
On s'était glissés dans le canapé, l'un à côté de l'autre, pour suivre les infos.
Une habitude, plus qu'une envie réelle de regarder la télévision. Une fuite, aussi, pour rendre le vide supportable, après le repas. Le journaliste annonçait les nouvelles, les développait sommairement, et on recevait des mots et des images comme on feuillette un catalogue de vente par correspondance, en disant, le doigt sur une page : "C'est beau... C'est moche" ou "J'aime... j'aime pas." (p.90-91)
Longtemps qu'on n'avait pas pris soin l'un de l'autre, par un geste inattendu, un murmure, une caresse du matin.
Une trêve. C'était ça, finalement. L'abandon progressif des hostilités, ces mots dits sans appétit qui nous isolaient l'un de l'autre, comme une défense qui ne rimait plus à rien. (p.89-90)