Michel de Montaigne

Je me garderai, si je puis, que ma mort dise des choses que ma vie n'ait d'abord dites, et ouvertement. (I,7)

Je me fie aisément à la foi d'autrui, mais je le ferais malaisément lorsque je donnerais à penser l'avoir fait par désespoir et par manque de courage plutôt que par franchise et confiance en sa loyauté. (I,5)

Mais nous ne dirons jamais assez d'injures au dérèglement de notre esprit. (I, 4)

Le monde n’est qu’une branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Égypte, et du branle public et du leur. La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant.

Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.

(p.137)


Même si nous pouvons acquérir des connaissances, la sagesse, elle, est particulière à la personne.

Je souhaiterois bien avoir plus parfaicte intelligence des choses,
mais je ne la veux pas achepter si cher qu'elle couste.

(p.388)

J'aimerais en savoir plus sur bon nombre de choses,
mais c'est là une ambition trop couteuse pour moi.

Quand le Roy Pyrrhus entreprenoit de passer en Italie, Cyneas, son sage conseiller, luy voulant faire sentir la vanité de son ambition " Et bien, Sire, luy demande-il, à quelle fin dressez vous cette grande entreprinse ?- Pour me faire maistre de l'Italie, respondit-il soudain.Et puis, suivit Cyneas, cela fait ? - Je passeray, dict l'autre, en Gaule et en Espaigne.-Et apres? - Je m'en iray subjuguer l'Afrique; et enfin, quand j'auray mis le monde en ma subjection, je me resposeray et vivray content et a mon aise. - Pour Dieu, Sire, rechargea lors Cyneas, dictes moy à quoy il tient que vous ne soyez dès à présent, si vous voulez, en cet estat ?



(p.259)

Toutes les vraies commodités qu'ont les Princes leur sont communes avec les hommes de moyenne fortune. (...) Ils n'ont point d'autre sommeil et d'autre appetit que le nostre, leur acier n'est pas de meilleure trempe que celui dequoy nous nous armons; leur couronne ne les couvre ny du soleil ny de la pluie.

(P.258)

Je n'ay point cette erreur commune de juger d'un autre selon que je suis. J'en croy aysément des choses diverses à moy.

(p.225)

Je n'ai pas ce travers qui consiste à juger les autres selon mon propre modèle. j'accepte facilement que l'on soit différent.

Et directement contre mes premiers exemples, le plus hardi des hommes, et si miséricordieux envers les vaincus, Alexandre, qui, forçant enfin la ville de Gaza après beaucoup de grandes difficultés, rencontra Bétis qui y commandait et dont pendant le siège il avait pu voir des preuves de courage merveilleuses dans un moment où, seul, abandonné des siens, ses armes en pièces, et tout couvert de sang et de plaies, cet homme combattait encore au milieu de plusieurs Macédoniens qui l’assaillaient de toutes parts. Tout irrité d’une victoire qui lui coûtait si cher, car, entre autres dommages, il avait reçu deux fraîches blessures sur sa personne, Alexandre lui dit : «  Tu ne mourras pas comme tu as voulu, Bétis ! Compte qu’il te faut souffrir toutes les sortes de tourments qui se pourront inventer contre un captif ! » L’autre, d’une mine non seulement assurée, mais rogue et altière, resta sans mot dire devant ces menaces. (…) Et tournant sa colère en rage, [Alexandre] commanda qu’on lui perçât les talons et le fit traîner ainsi tout vif, déchirer et démembrer au cul d’une charrette. 
(Livre I, 1 : Par divers moyens on arrive à pareille fin)

C'est une hardiesse dangereuse et de conséquence, outre l'absurde temerité qu'elle traisne quant et soy, de mespriser ce que nous ne concevons pas.

(p.180)

C'est une prétension périlleuse que de mépriser ce que l'on ne comprend pas, sans compter l'absurde arrogance que cette attitude implique.

La gloire et la curiosité sont les deux fléaux de nostre âme. Cette cy nous conduit à mettre le nez par tout, et celle là nous defant de ne rien laisser irresolu et indecis.

(P.181)

Tout ce qui peut estre faict un autre jour, le peut estre aujourd'huy.

(p.86)

(Tout ce qui peut être fait un autre jour, peut se faire aujourd'hui.)

La fiance de la bonté d'autruy est un non leger tesmoignage de la bonté propre.

(p.67)

L'intelligence qui nous a esté donnée pour notre plus grand bien, l'employerons-nous à nostre ruine, combatans le dessein de nature, et l'universel ordre des choses, qui porte que chacun use de ses utils (outils) et moyens pour sa commodité ?

"Que le goust des biens et des maux dépend en bonne partie de l'opinion que nous en avons", chapitre XIV, page 53.

Les lois se maintiennent en crédit non pas parce qu'elles sont justes mais parce qu'elles sont les lois. C'est le fondement mystique de leur autorité.

Je vis du jour à la journée, et me contente d'avoir dequoy suffire aux besoings présents et ordinaires; aux extraordinaires toutes les provisions du monde n'y sçauroyent baster.

(p.66)

De vray, ce n'est pas la disette, c'est plutost l'abondance qui produit l'avarice.

(pp.62-63)

Les hommes ( dit une sentence Grecque ancienne) sont tourmentez par les opinions qu'ils ont des choses, non par les choses mesmes.

(p.49)

La fortune fournissant simplement la matière, c'est à nous de lui donner la forme.

(p.50)

Et se trouve autant de différence de nous à nous mesmes, que de nous à autruy.