Nadine Grelet

Dans tout le couvent de la Sainte-Famille, on avait réagi au départ de Kateri. La nouvelle avait eu l’effet d’une bombe, dont la Mère supérieure avait très vite étouffé les retombées... Les consignes du Cardinal avaient été parfaitement claires et elle les faisait appliquer comme il se doit,sans rien dire. De toute évidence, il savait ce qu’il avait à faire ! Inutile de discuter.

Si la chose était juste, personne ne devait savoir qu’il était le père de cet enfant. Il était considéré dans toute la très catholique province comme l’homme le plus saint et le plus vertueux qui soit... Lui-même, le Cardinal, pris en flagrant délit dconcupiscence et de paternité ! C’était incroyable et inacceptable... Donc, il avait réagi vite. Extrêmement vite!Kateri devait disparaître avec son gros ventre et il fallait à tout prix l’empêcher de parler... D’ailleurs, qui la croirait ?Toutefois, par mesure de sécurité, pourquoi ne pas la faire emprisonner ? Où pourrait-elle être plus muette qu’en prison ? Derrière les barreaux, tout le monde aurait tôt fait de l’oublier et elle ne pourrait pas raconter son histoire... Ce vol arrivait vraiment à point nommé. Ainsi, l’incarcération de Kateri paraîtrait naturelle à tous. Publiquement, il sauverait la face : c’était la seule chose qui lui importait. Ce qu’il pourrait faire, c’est s’organiser de façon subtile, et par personne interposée évidemment, pour qu’elle ait un traitement de faveur. Ainsi, en plus de sauvegarder les apparences, il aurait l’air d’être clément, ce qui lui vaudrait le respect,voire l’admiration de tous, si jamais cette malencontreuse affaire s’ébruitait ! Quant à l’enfant, cet enfant qu’il avait conçu en s’abandonnant aux plaisirs de la chair, il fallait maintenant lui assurer un avenir décent. C’était son devoir.

Il a agi avec une grande injustice, et beaucoup de lâcheté. Jamais un homme de mon peuple n’aurait osé faire vivre à une femme, à une future mère, ce qu’on m’a fait subir... Les gens de ma race savent depuis toujours que, lorsqu’on affaiblit les mères, on met en grand danger les générations à venir. Comment se fait-il que les Blancs n’aient pas encore compris cela ? Pour quelle raison le Cardinal rejette-t-il son propre bébé et me rejette-t-il, moi, la mère de son enfant ? » Kateri entendait à nouveau les petits mots d’amour qu’il lui disait. Mensonges ! Elle nourrissait maintenant une haine dont elle ne se savait pas capable et elle craignait de voir ce petit être atteint par toute cette détresse.

Philippe seul aurait eu le pouvoir d’alléger sa peine, mais il travaillait sans relâche, ne s’arrêtant pratiquement jamais entre ses consultations au dispensaire, son cabinet privé et les soins qu’il prodiguait aux membres des communautés religieuses, étant le médecin officiel de plusieurs congrégations. Il aurait pu travailler un peu moins, mener une vie plus détendue, aider sa femme à se relever de cette épreuve qui pesait sur toute leur vie. Toutefois, les années passant, Philippe Langevin se laissait aller à son penchant. Il aimait gagner de l’argent et il en gagnait... Il consacrait son temps à amasser toujours plus d’argent, comme si l’opulence dans laquelle il baignait ne lui suffisait pas.

Dans la belle trentaine, célibataire et citadine dans l’âme, Fleurette avait toujours vécu à Montréal. Elle adorait sa ville. Travaillant pour le docteur depuis plus de cinq ans, elle veillait à tous les petits détails de son dispensaire, et Dieu sait que lorsqu’on est oto-rhinolaryngologiste, et ophtalmologiste par surcroît, les remèdes sont en nombre incalculable. L’organisation de Fleurette était imbattable. C’était une femme solide, travailleuse,dévouée en tout : une vraie perle ! Elle savait comme nulle autre plaisanter au bon moment avec les malades et les détendre en les faisant rire, ce qui atténuait leur anxiété avant les interventions.

Lorsqu’il rentra à la maison, Albert, en grand désarroi, se mit à implorer le ciel. Il réquisitionna son épouse pour les dévotions promises, persuadé que Dieu est plus sensible aux prières des femmes et qu’il les exauce plus volontiers !

Quel dommage que les deux civilisations, celle de mes ancêtres et celle des Blancs, n’aient pu s’entendre ! Avec ce qu’elles ont de meilleur, on aurait pu tisser de nouvelles coutumes afin que tous soient sans distinction les enfants de l’Amérique moderne, une Amérique bénie et heureuse... Mais non, il faut depuis bientôt quatre cents ans se soumettre à des usages étranges et inconnus, des principes humiliants pour les Amérindiens,et les Blancs y semblent si attachés qu’ils ne reculent devant rien pour les faire respecter. Pourtant, ils ont fait fi de toute justice sur cette terre qui ne leur appartenait pas... Ils ont pris et massacré.

Impressionnées par son élégance naturelle et par une sorte de charme irrésistible qui se dégageait de toute sa personne, les dames ’agglutinaient autour de lui et lui réservaient leurs rêves les plus fous.
Bien sûr, Son Eminence était loin d’être insensible aux charmes du beau sexe ; il aimait à s’entourer de jolies personnes qui assuraient la réussite de ses œuvres, travaillant comme de vraies fourmis et espérant toujours recevoir de lui quelque faveur plus ou moins spéciale. Il aimait ce jeu auquel il se prêtait tout à fait consciemment en affichant une innocence parfaite.

Au début, voilà quelques années, elle prenait cette passion pour une ferveur religieuse bien naturelle mais, petit à petit,elle s’était rendu compte qu’il s’agissait de beaucoup plus que cela. Il l’attirait physiquement, agissant comme un aimant qui faisait réagir chacune de ses cellules et la mettait dans un état indescriptible. Dès qu'elle le rencontrait, il se produisait dans tout son corps une réaction instantanée.C’était une sorte de déclic instinctif qu’elle ne pouvait pas maîtriser, un appel d’une force renversante et inconnue jusqu’alors.

Évariste Adrien Joseph Grenier,futur prêtre, s’était bien juré, dans l’ardeur de ses vingt ans,de maîtriser ses pulsions et de réprimer farouchement sa trop grande sensualité. Au fil des ans cependant, cette nature s’était manifestée chaque fois qu’il avait côtoyé une charmante personne du sexe opposé, ce qui constituait un réel danger pour le jeune prêtre qu’il était. Il avait éprouvé maintes difficultés à rester de glace lorsqu’une jeune fille dans tout l’éclat de sa beauté venait s’en remettre à lui pour guider sa conscience.