Nadine Mousselet

A Tatihou, on se couche tôt et on se lève tôt.

Le corps reposait sur une table en acier de la morgue. Le soir tombait. Lambert finissait son triste travail. Il avait fait son possible pour effacer l'expression terrorisée que gardait la jeune fille au-delà de la mort. La famille, si on arrivait à identifier le corps ne devrait jamais voir ce visage. Aucun proche ne supporterait d'imaginer les souffrances endurées par l'adolescente.

Il choisissait ses victimes pour leurs cheveux. Leur personnalité restait une surprise. Cela mettait du piquant dans l'affaire. Il adorait dominer. Il avait le pouvoir suprême. Laisser la vie ou donner la mort.

Lambert, légiste à Avranches était un des piliers de notre équipe. Il n'avait pas son pareil pour faire parler un corps. Sa devise était qu'un être mort de façon violente avait une histoire à raconter. Il était le messager, celui qui donnait à mes collègues enquêteurs et à moi, psycho-criminologue, les éléments qui nous permettraient de remonter jusqu'à l'auteur du crime. Il parlait beaucoup de retraite, mais en réalité ne pouvait vivre sans ses morts. Il leur avait consacré toute sa vie, tout comme Jumet consacrait la sienne à la poursuite des criminels.

- Pensez au nouveau monde que vous voulez. Un monde nettoyé du mal... Voulez-vous nettoyer le monde du mal ?
Un " oui " collectif lui répondit.
- Alors réfléchissez. Réfléchissez à qui il faut éliminer de cette terre pour que le nouveau monde soit pur et sans tache. Je vais faire le tour de la table, vous me citerez votre ennemi intime. Alors le crâne de cristal vous aidera à atteindre la perfection dans vos abris loin du chaos. Le nouveau monde vous appartient !

De nuit, le site était quelque peu sinistre. Le donjon s'élançait vers le ciel, silhouette sombre annonciatrice, au vu des circonstances, de tous les dangers. Qui serait la prochaine victime ? Serions-nous en mesure d'éviter un nouveau massacre ?

Deux morts en deux jours, Dieu seul savait ce qui pouvait arriver la nuit prochaine si nous ne trouvions pas rapidement le fil qui nous mènerait au coupable. Une machine à tuer était en marche et rien ne semblait pouvoir l'arrêter. Sauf peut-être notre équipe et ce, de préférence, avant qu'il n'y ait d'autres victimes. Car si ce type avait décidé de nettoyer la ville de tous ceux qui déviaient par rapport à sa propre morale, la liste des victimes risquait d'être longue.

Elle avait quinze ans et subjuguée par ses yeux s'était laissée entraîner à la sortie d'un bal. Au départ, il ne voulait pas la tuer. Il n'y avait même pas pensé. Mais quand au moment de faire l'amour, il s'était trouvé maladroit au point de perdre toute ardeur sexuelle, elle s'était moquée de lui. Ouvertement, il n'avait pas supporté. Il l'avait étranglée et tandis qu'elle suffoquait, son désir était revenu, impétueux. Il avait eu son premier orgasme alors qu'elle rendait son dernier soupir.

- On a un malade qui prend possession de femmes en leur brûlant le visage à l'acide et en leur mettant une ceinture de chasteté ! Quand il a fini de s'amuser, il les bat à mort et fait brûler leur cadavre !

La fille, une brune à cheveux longs reposait, les jambes pliées dans une position bizarre, la jupe relevée jusqu'à la taille. Elle n'avait plus de culotte et des mouches et des puces de mer envahissaient déjà sa toison la plus intime. Son corsage était déchiré, son soutien-gorge avait été tranché net, sans doute à l'aide d'un couteau.

Nous n'avions pas besoin du légiste pour savoir qu'on lui avait retiré des organes. Il gisait sur le dos. Sa poitrine n'était plus qu'un trou béant. Il avait été ouvert par une incision en croix. Les chairs avaient été déchirées en force comme en témoignaient les bords irréguliers de la plaie.

Fred Jumet, capitaine de police, défenseur de la veuve et l'orphelin, chasseur de tueurs en série, ennemi juré des psychopathes en tous genres était désemparé devant le corps de sa mère. Ses yeux brillaient, sa voix cassée trahissant son émotion.
- Tu as le droit de pleurer, dis-je doucement. Tu viens de perdre ta maman.
Alors, il s'écroula en sanglots.

- Ici il y a l'énucléation. C'est de toute évidence la priorité du tueur. Pour le reste on dirait qu'il s'amuse à tester différentes façons de faire... Je n'y crois pas... À moins que l'on ait plusieurs tueurs ayant chacun un objectif mais avec une motivation commune, ramener les yeux.

Crois-moi j'ai le pouvoir et je sais m'en servir. Tu vas mourir mais surtout tu vas souffrir. La mort n'est rien. La souffrance est tout. Je saurai t'emmener aux frontières de la mort mais ton envie de vivre sera telle que chaque fois, tu repousseras les limites. Tu souffriras encore et tu en supporteras plus encore en espérant que dans ma grande mansuétude je t'accorde la grâce suprême, celle de te laisser vivre.

Claire s'était tassée, ne comprenant rien à ce qui lui arrivait. Elle avait juste eu le temps de hurler " Luc ! ", avant que la Chose ne lui bondisse dessus. Elle lui avait jeté un liquide à la figure. La douleur avait été fulgurante. Une brûlure atroce lui lacérait le visage. Elle avait l'impression qu'on lui avait donné des milliers de coups de couteau. Elle voulut porter sa main vers son oeil qui ne voyait rien. Il n'était plus qu'un cratère de douleur. Son cerveau enregistra des bruits infimes, celui des bulles d'acide qui attaquaient la peau si fragile de son visage.

- Tu veux dire qu'elle s'est fait livrer la cervelle de son mari et qu'elle l'a avalée ?
- Avec des morilles...
Bricart leva les yeux au ciel :
- On croit chaque fois que l'on a tout vu, et chaque fois c'est pire !

Pendant que je parlais, mon collègue avait continué à feuilleter le dossier. Il était d'une pâleur extrême. Nous échangeâmes un regard interrogatif, Bricart et moi. Jumet releva les yeux de son dossier. Il était blanc et sa main tremblait :
- " Le pénis que le chien a trouvé...
- Eh bien quoi ?
- Ce n'est pas celui de Du pré !! C'est un autre ADN. "

Un frisson m'envahit le corps. Sous ses airs polis, cet homme qui devait paraître charmant à tout un chacun, me fichait la trouille. Je savais de quoi il était capable. Il m'avait kidnappée et droguée d'entrée. Juste ce qu'il fallait pour pouvoir jouer au chat et à la souris sans que je puisse offrir de vraie résistance.

La femme supplie, pleure, implore pour la vie de son enfant. Tue-t-il d'abord la mère avant de pratiquer la césarienne ? Peu probable ; il n'aurait pas de foetus vivant. Il éventre des femmes pour leur voler leur enfant. Il jouit, il est Dieu.

Ses cheveux du plus beau brun coulaient en cascade ondulée jusqu'au creux de ses reins. Habituellement tordus en chignons habilement attachés par un tour de passe-passe bien féminin, il lui arrivait le soir de les laisser libres. Créant l'admiration de tous les mâles présents et la jalousie des femmes.
C'était bien ce point précis qui tracassait le directeur du camp. L'histoire des scalps non retrouvés avait horrifié toute la population des alentours ; malgré cela, lui chef de stage irresponsable avait laissé la nuit, seule, une candidate idéale à un nouveau massacre.
Autant attacher une chèvre au milieu de la montagne en espérant que le loup ne la mange pas.