Citations de Nathalie Peyrebonne (60)
(...) esquiver la petite vieille aux cheveux violets - attention, les vieux aux cheveux violets ne sont pas des punks, les gamins de la 4è3 se demandaient l'autre jour, non, ce sont des vieilles dames élégantes qui ne veulent pas avoir les cheveux blancs qui jaunissent, oui, car le violet est semble-t-il plus présentable que le jaune - (...)
Mon rêve à moi, c'était de devenir chef de gare. A la SNCF, il y avait un dictionnaire des grades présentant les postes, certains étaient réservés aux hommes, d'autres étaient mxtes. Et le grade de chef de gare était pour les hommes uniquement. De nos jours, tout cela a changé, je sais qu'il y a des femmes chefs de gare. Mais il a fallu attendre, la SNCF a trainé les pieds longtemps, très longtemps, elle préférait réserver les postes d'encadrement et de sécurité à des hommes, et donnait aux femmes des postes de garde-barrière ou de gérante d'une toute petite gare. J'aurais aimé naître une génération plus tard. Enfin c'est ce que je me dis parfois, même si, aujourd'hui encore, s'il y a des femmes chefs, le mot n'a toujours pas de féminin, les filles restent sur des strapontins ajouté à la va-vite sur une rangée décidément masculine.
"Le monde est une branloire pérenne : toutes choses y branlent sans cesse", écrivait Montaigne il y a quelques siècles, et cette idée d'un monde en mouvement permanent est très belle, mais Montaigne n'avait pas idée de ce que cela allait devenir, qu'il faudrait désormais se battre pour retrouver un certain droit au calme, a la solitude, au repos et a tout ce qui va avec, la lecture, la pensée, la rêverie, mais on n'a plus le temps, alors les vieux dansent et courent et rient et applaudissent et se lèvent et se rassoient et ne s'arrêtent jamais, rhumatismes et prothèses de hanche n'y font rien, et le monde les regarde, affalé dans un fauteuil ou sur un canapé, mais c'est qu'on peut bouger par procuration, idée piquée au sport télévisé, l'important c'est d'en être, on colle a l'agitation, a l'émotion qui se dégage, on suit, quoi.
Et alors, a répondu Eugène, on est tellement peu responsable du métier que l'on exerce, résultat d'une équation complexe ou entrent le milieu social, le lieu de vie, les gens rencontrés, la chance aussi, parfois.
(...) cuit à la vapeur, assure santé, joie, bonne conscience et surtout longévité, vivre plus longtemps, bien plus longtemps, quelle horreur, et sans alcool, et sans bonnes viandes grasses, tout gris et désséché par pur amour du sain, pauvre humanité perdue dans la détestation qu'elle a d'elle-même et de ses plaisirs, occupée à se hair et à s'imposer des régimes sans goût, sans plaisir mais si sains, pour soi, pour la Terre, pseudo-écoresponsables hérauts de la lutte pour la nature, la Nature cette douce nature réduite à deux ou trois stéréotypes, (...)
-Finalement, ils font un peu comme toi les vieux.
(...)
-Ils s'écartent. Je veux dire qu'ils ne se contentent pas du rôle qui devrait être le leur. Ils refusent de jouer les anciens, d'incarner les ancêtres certes sur la touche, mais respectés parce que sages : ça, c'est le vieux tradi, un genre de bibliothèque ambulante et de machine à débiter des aphorismes profonds et avisés sur la vie, la mort, l'amour et le temps qui passe. Ils refusent aussi d 'opter pour la version moderne, de jouer les vieux futiles et jouisseurs, incapables de rester en place et de se faire à l'idée de vieillir, constamment par monts et par vaux, jonglant entre les cours de yoga et les stages de remise en forme : ça, c'est le vieux pseudo-nouvel adolescent qui fait vivre la Silver Economie, les cheveux blancs sont une minde d'or paraît-il.
La scène politique aujourd'hui ne compte plus de Lop, elle les a remplacés par des crétins : ils parlent de pragmatisme, de réalisme, d'adaptation au contexte social et économique, se privant du même coup de tout projet susceptible de le modifier. il faut s'adapter au contexte et surtout ne pas le déranger, ne pas le pousser, pas même un tout petit peu, attention, ne le réveillons pas, il se facherait tout rouge, et alors là gare, horreur et damnation, les conséquances seraient imprévisibles mais prévisiblement désastreuses, alors, prudence, glissons-nous à pas comptés, suivons bien les petites bandes blanches réfléchissantes, ainsi pas d'accident, et le contexte pourra dormir sur ses deux oreilles.
Et voila qu' Eugène se surprenait a vouloir poursuivre, on finit souvent par reproduire les manies les plus étranges de nos proches, on creuse le même sillon, on se dit qu'on respecte les traditions, que c'est important de s'inscrire dans une lignée.
Lucia a l'indécision chevillée au corps, son cœur balance toujours longuement et douloureusement entre les différents possibles, elle n'aime pas décider de ce qu'elle fera, avec qui, à quelle heure.
La nuit est le refuge indispensable des conversations à cœur ouvert, où l'on se livre et l'on partage sans compter. Jamais la journée ne pourra offrir ce temps qui s'étire, cet éloignement du quotidien nécessaire à ceux qui racontent, il faut pour cela que la majorité dorme, que les commerces soient clos, que le monde ait baissé d'un ton pour qu'on puisse s'entendre. Alors peuvent s'ouvrir ces brèches magnifiques, élargies peut-être par un vin soyeux emportant plus loin encore les conversations nocturnes.
(...) à croire que l'humain s'habitue à tout, à croire que la fibre tragique n'est pas donnée à tout le monde, à croire que l'immense majorité des hommes et des femmes s'accroche et s'accrochera toujours à la vie, à ses plaisirs, à ses beautés, à ses futilités.
- Je vais vous dire, moi, tonne un cinquantenaire à l'allure négligée, le monde, depuis le temps qu'on s'en fiche, pas étonnant qu'il en ai marre, il se rebiffe, vous voyez, il en a sa claque, plein le dos, qu'on aille d'un côté ou de l'autre, qu'on s'arrête plus, qu'on regarde plus, qu'on écoute plus, qu'on saccage tout, alors il s'éteint, voilà, fallait faire attention.
Seul le bistrot peut donner à un drame planétaire ce fumet familier, cet accent du coin qui permet à tout un chacun de se l’approprier. Le comptoir a le bras long, pas une catastrophe universelle ne sait lui résister.
Eugène lui raconte ses Pyrénées tout en conduisant. Seules les montagnes ne se rencontrent jamais, dit le proverbe...
Ici, explique Eugène, abondent les géants protecteurs ou menaçants...des nains aux pieds palmés...des fées et sur le toit de certaines maisons on peut voir des tuiles ou des pierres dressées de formes variées, ce sont des "espantabrujas", des effraie-sorcières, car ces dernières aiment entrer dans les maisons pas la cheminée...
On peut aisément se gâcher la vie par manque d'imagination.
Bah, après tout, quand on capte le regard on voit moins la silhouette. Les yeux mentent tellement. La silhouette parle, elle dit le poids de la vie, elle dit certaines blessures, elle s’allège ou pas selon les jours mais n’en reste pas moins elle-même, alors que les yeux, des puits aux reflets changeants qui vous attrapent en vous balançant de jolies teintes, du bleu irisé de vert ou du marron étoilé d’or, le tout ondoyant au rythme des saisons et des humeurs.
N’empêche. La silhouette, c’est peu. - p. 79
On a perdu cela, la durée du voyage, ce temps hors du temps avec ses temps morts, ses rencontres, ses rêves. Il faut, pour retrouver ces sensations délectables, savoir aller un peu moins loin, bizarrement, prendre sa voiture et non pas l'avion, rouler et ne surtout pas voler, le voyage aérien stoppe net bien des tentatives d'évasion, Icare l'a appris à ses dépens il y a déjà bien longtemps.
Alors voilà, les statues, parfois, disparaissent sans laisser de traces, comme les gens. Elles sont lourdes, hautes, solidement scellées, et pourtant, la nuit, de temps à autres, elles s'évanouissent.
Le monde a quelque chose du verre d’eau dans lequel fond un cachet d’aspirine : ca grouille, ça bouillonne, et, si par malheur vous étes dedans, vous etes ballotté, retourné, renversé, jusqu’à ce qu’un jour, terminé, plus de bulles, et vous vous écrasez, lentement mais sûrement, au fond, en de multiples particules.
Il y a des êtres et des rencontres qui se passent de prologue