"Des rêves à tenir" de Nicolas Deleau
Pourquoi cherche t-on toujours à voir les choses de plus près, alors que le recul est nécessaire à celui qui veut embrasser le monde?
« Il bruinait. La bruine est une grande maîtresse ; elle donne au monde la cohérence d’un crépuscule. Tout s’y floute, gris- bleu; on baigne dans un élément qui n’est ni l’air ni l’eau , qui fond l’aube et le couchant , et vous enveloppe plus sûrement encore que le malheur » .p. 95.
Il paraît qu’il y a des endroits de côte, ailleurs, qui donnent envie de voyager ; des ports riches, des ports prolongés par des routes qui s’enfoncent dans des territoires inconnus comme des cordons de vie frémissante. Il paraît que mon pays devient montagne, forêts, déserts, quand on s’y enfonce.
Ici, on regagne nos côtes comme on bute au fond d’un sac. Mais cela ne me rend pas malheureux : c’est ici que j’ai grandi et ce sac, est le mien
Il en est ainsi des ordres anciens: peu à peu ils deviennent tacites et leur nature exacte s'efface avec la raison premier de leur décret dans les brumes du temps. Ces ordres, chacun sait pourtant encore intimement qu'ils ne peuvent être transgressés
« Le jour mourait quand il avait traversé la Grand - Place jusqu’à la rue de la Cale.
C’était l’hiver: un vent glacial balayait l’eau du port et les flaques blafardes des quais ; de petits lambeaux de goémon dansaient , soulevés par les rafales . Autour, le village s’allumait de lueurs orange ; un néon verdâtre éclairait pour rien l’entrée de la coopérative maritime , les viviers et le silo à glace » .
L'idéal du journal est dans l'ordonnancement qui précède sa consommation. Avant lecture, le monde semble en ordre. Lecture faite, on s'aperçoit du chaos.
Il n'y a rien de plus sérieux qu'un gosse, quand il joue.
« À Job.
Au théâtre du monde.
À toute absence .
À tous ceux qui partent chercher Dimitri .
Aux partisans de la Langouste.
À l’Amour enfin : c’est bien , avec le rire , la seule chose qui vaille la peine qu’on lutte » .
Le train est à soi un voyage, aux autres incommensurable. Notre convoi s'arrête, repart, s'arrête encore, au milieu de rien, dans des stations improbables, hors du temps.
Pour Job, c'était différent. J ne savais pas ce qu'il écrivait, personne ne le savait. Si ça se trouve, il écrivait de la poésie-et la poésie est à soi seule une sorte de vérité. On ne contredit pas de la poésie.
Ce n'était pas plus simple, cela dit, s'il écrivait de la poésie, parce que la poésie, elle doit avoir l'incandescence de l'acte-sinon, c'est rien qu'une sale manière, de la déco. La poésie, c'est un acte. Et pour que ce soit un acte-vraiment un acte, un truc incontestable- il faut y arriver, au point d'incandescence. Qui n'a jamais eu l'impression, en lisant un poème, qu'on a causé à sa place?