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Critiques de Norbert Alter (9)
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Sans classe ni place

Avec Sans classe, ni place, Norbert Alter nous livre un récit sociologique et subjectif à mi-chemin entre l'essai et la fiction, puisant dans sa propre histoire et dans un parcours hors norme les éléments propres à nourrir une réflexion qui touche à l'idée même de reproduction sociale.

Norbert Alter est devenu professeur des universités et sociologue. Or, si l'on s'en tient aux enseignements de la sociologie française qui, dans la lignée d'Emile Durkheim, accordent une place prépondérante au déterminisme social, le destin de Norbert Alter aurait dû le conduire et s'achever en prison.

Né dans une famille gravement dysfonctionnelle dans laquelle les règles, les rôles communément admis, la morale n'ont pas cours, il a clapoté durant toute son enfance dans un « vide social », un « nulle part sociologique ». Coincé entre un père faible, escroc à la petite semaine, effectuant de fréquents séjours en prison, et une mère instable en proie à des colères imprévisibles aboutissant à des crises de violence soudaines, son seul souci d'enfant est de ne pas subir l'exclusion et la honte.

« La certitude d'être différent, incapable de tenir les rôles sociaux conventionnels représente, pour un enfant, une misère plus grande que l'indigence. On n'est jamais tranquille, toujours fautif. »

L'imprévisibilité, les déménagements très fréquents pour cause de loyer impayé, l'absence de cadre, l'absence de règles minimales, tout cela « le fait plus souffrir que n'importe quelle forme d'autorité. »

Très tôt, comprenant que sa vie, comparée à celle de ses camarades, est anormale, il ment, s'inventant des obligations, comme celle de devoir rentrer chez lui à heure fixe, il ment à propos de son père, expliquant ses nombreuses absences par un métier qui l'oblige à se déplacer beaucoup, il ment à propos de sa mère qui, de cinglée vociférante, se métamorphose sous ses dires en mère popote « trivialement assignée à son genre ». Mais il ne peut mentir sur tout et tout le temps, il apprend donc à se sentir différent et à être perçu comme tel.



Pour autant, Norbert Alter ne s'étend pas sur ses malheurs, la dernière chose qu'il souhaite est de passer pour une victime, il préfère insister sur tout ce qui, durant son enfance et sa jeunesse, lui a permis de se construire, à commencer par l'école, où il a trouvé une « maison »:

« Dès le hall d'entrée, il perçoit l'odeur infiniment rassurante du bâtiment : un mélange de bois, de crayon, d'encre, de cuir et de sueur. »



Il y a également ces fées qu'il a croisées sur son parcours, professeurs, filles, amis, mère de famille, flic, qui lui font le don le plus précieux qui soit, l'accepter et l'aimer tel qu'il est et qui, en créant chez lui un puissant sentiment de gratitude, l'engagent à « donner » à son tour, ce que Marcel Mauss a désigné par le terme de « don et contre-don ».

« Elles et eux m'ont donné la vie, la vie sociale. Sans ce don, je n'aurais jamais pu rattraper mon histoire par le bras, éviter le « à vau-l'eau » vers lequel tout m'engageait. »



Même les petits boulots dévalorisants qu'il enchaîne dès ses quatorze ans à un rythme effréné et qui lui prennent tout son temps libre pendant que ses camarades s'abandonnent à l'insouciance des vacances, même le travail le plus harassant et le plus ingrat lui apporte cette chose précieuse qui lui manque cruellement et qu'il recherche éperdument : un statut, une place.

« Dans mon métier de limonadier, je portais avec plaisir la veste blanche des garçons de salle. Elle traduisait la servilité de mon activité et j'en souffrais, mais, plus encore, elle m'attribuait un statut dont j'étais fier. Plus précisément, j'étais fier de disposer d'un statut. »



Norbert Alter n'emploie jamais le terme de résilience, et pourtant, ce terme est revenu souvent dans mes échanges avec Berni (@Berni_29) qui a eu la gentillesse de m'accompagner au cours de cette lecture magnifique, mais aussi douloureuse pour moi tant ce récit est entré en résonance avec l'histoire de mon père. Tout le livre nous montre la lente et erratique construction d'un individu en dépit des traumatismes subis, sa formidable capacité d'adaptation, son incroyable aptitude à capter la moindre lumière au coeur des ténèbres. J'ai parlé plus haut des crises de violence de la mère qui, aux prises avec l'alcool, se met soudainement à bourrer de coups son mari et son fils, des coups « jamais trop violents pour le blesser sérieusement, mais suffisamment engagés pour produire la terrible crainte de la sentir le posséder. »

« La terrible crainte de la sentir le posséder »… L'emprise que cherche à exercer la mère sur son fils s'aventure très loin, et même si l'auteur l'évoque avec infiniment de pudeur, le lecteur comprend qu'en plus de tout, elle a été une mère incestueuse.

« Pour rire et le faire rire, elle s'amuse à le toucher, à lui faire sentir qu'elle le touche. C'est son jeu préféré. Puis elle l'invite à devenir le spectateur de ses ébats. »



Si Norbert Alter n'a pas été détruit par ce qu'il a vécu dans l'enfance et à l'adolescence, c'est en raison sans doute d'une intelligence hors norme, mais c'est surtout en raison d'une aptitude exceptionnelle à transformer un handicap lourd et mortifère en force vitale. Il raconte avoir vécu comme une révélation la découverte de la Beat generation lors de ses années étudiantes, dans laquelle il trouve « le cadre idéologique et moral parfait pour rendre compte de sa différence et la clamer légitimement », parvenant ainsi à « transformer les sources de sa honte d'adolescent perdu en fierté de jeune homme libertaire, les sources de ses inquiétudes en goût pour l'aventure. »



Prenant alors la route à l'instar de Jack Kerouac, sillonnant l'Amérique en auto-stop, il renonce pour la première fois à l'idée même de place, de Maison, puisant dans l'inconfort et l'instabilité la satisfaction sereine d'être de nulle part et la certitude d'être en accord avec lui-même. Enfin libéré de son enfance, allégé de son fardeau de responsabilité trop précoce, enfin grand.



« Voilà, se dit-il, c'est fini et ça peut commencer. »

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Sans classe ni place

À table ! À travers ces deux mots anodins qui sonnent comme un rituel quotidien, on ne mesure pas le bonheur immense qu'aurait eu Norbert Alter, l'auteur du livre dont je vais vous parler, à les entendre durant son enfance...

Il les a entendus pourtant, mais pas chez lui...

Lorsque mon amie Anna m'invita à cheminer ensemble dans la lecture de ce livre, je ne soupçonnais pas encore à quel point ce récit me toucherait de différentes manières. Qui plus est, c'est un essai sociologique, le genre aurait pu me rendre un peu rétif, il n'en fut rien...

Sans classe ni place, le titre est un peu énigmatique, le sous-titre en dit déjà un peu plus : L'improbable histoire d'un garçon venu de nulle part.

Les premières pages s'ouvrent sur l'enfance, mais ce n'est pas l'enfance idyllique que nous aimons parfois si sottement convoquer dans nos retours de lecture comme une petite madeleine de Proust. Ici Norbert Alter nous décrit son enfance comme un univers disloqué fait de ruines. Comment dire autrement un no man's land où le père et la mère ne sont plus ensemble, - cela encore pourrait paraître presque normal, mais ils offrent chacun de leur côté l'absence d'un territoire à proposer où un enfant aurait pu se poser, identifier des repères rassurants, c'est un père souvent volage, souvent en prison, c'est une mère quasiment incestueuse, au bord de la folie. À quel parapet un enfant peut-il se retenir ici pour ne pas à son tour devenir fou ou se jeter dans le vide ?

De nulle part, c'est bien le point de départ de l'itinéraire sur lequel nous invite Norbert Alter à nous pencher, devenu sociologue. C'est un point de départ chaotique, où il n'y a rien, presque rien et de ce presque rien, cet enfant venu de nulle part va entreprendre un chemin qui bouscule tous les déterminismes inscrits dans les tables sociales si bien apprises.

Sur les décombres de son enfance, Norbert Alter va construire l'édifice de sa vie et le faire tenir debout. Plus tard, vraiment plus tard, Norbert Alter est devenu sociologue et c'est en sociologue qu'il se penche sur la construction de ce chemin social. J'ai alors trouvé ce récit poignant dans la manière qu'a l'auteur de se mettre à nu tout en demeurant digne, à la fois intime et distant avec les choses de son passé, de son voyage intérieur.

De cette enfance bousculée, abimée, pour ne pas dire presque broyée, Norbert Alter va s'éveiller, se révéler, en faire quelque chose qui va dessiner son identité, par sa force intime sans doute, sa capacité incessante à savoir capter des parcelles de lueur dans les ténèbres. Savoir les voir, savoir les capter. Anna et moi, nous penchant sur ce texte ensemble, avons exprimé le même mot lors de nos échanges : la résilience, pas ce mot galvaudé qu'on a eu de cesse d'entendre sur les réseaux sociaux tout au long de la période du confinement. Non, c'est bien ce mot rattaché au concept qu'exprime Boris Cyrulnik dans ses travaux, notamment auprès des enfants abimés par les guerres, les séismes et les désastres plus intimes.

Mais l'auteur avoue que c'est grâce aux autres qu'il s'en est tiré, ces autres qu'ils nomment joliment ses fées et qui vont l'aider à inverser son destin.

Ce livre est nourri de rencontres, d'altérité, de voyages, d'engagements, d'errances aussi, d'erreurs forcément, parce que c'est beau l'erreur et dans ce genre de chemin elle est inévitable mais inspirante aussi... C'est un livre empli d'humanité.

Nous avons tous des fées qui se sont penché un jour sur notre berceau, qui ont jalonné notre parcours de vie. Moi mes fées, ce furent tout d'abord mes trois soeurs, puisque je suis né entre dix-huit et dix ans après elles... J'étais comme on dit le petit dernier, choyé, protégé, celui sans doute épargné par les malheurs d'avant...

J'ai eu le sentiment de rencontrer ici Norbert Alter comme un ami, comme un frère, dès les premières pages.

Ce nulle part est un nulle part social. Même les familles les plus pauvres, les plus démunies disposent malgré tout d'un lieu, d'un cocon protecteur ou à défaut quelque chose qui y ressemble, qui pose quelques fondamentaux, quatre murs, un toit, le tout formant un foyer où se retrouver le soir autour d'une table, des repères pour unir et aider à avancer.

Comment un enfant peut-il être condamné par avance à naître, à mal naître, en venant au monde dans un fatras fait autant de vide que de violence ?

Loin de l'approche dogmatique et froide que pourrait dresser un sociologue classique, ce récit force le respect et m'a touché au coeur par la démarche intime de son auteur.

Convoquant son expérience, Norbert Alter n'y trouve pas forcément de réponses toutes faites et c'est peut-être tant mieux, c'est peut-être rassurant de laisser l'improbable surgir dans nos vies pour tenter de dévier les trajectoires tracées par avance.

Mais Norbert Alter invite à situer dans son parcours atypique les endroits où il a pu trouver la maison qui lui manquait. Celle de son ami Antonio tout d'abord et c'est là qu'il a entendu pour la première fois ce cri de ralliement : À table ! L'école ensuite, l'école comme une maison qui abrite, protège, rassemble, rassure, tient à distance les malheurs du monde. Il y a toujours un enseignant qui prend alors sa baguette magique et devient une fée... Il le fait autant pour l'institution qu'il représente mais sans doute aussi parce qu'il n'est pas venu ici par hasard, animé par des valeurs qui l'ont poussé à faire ce métier.

De même, Norbert Alter transgressera pour éprouver les limites de son chemin, exister aussi dans cette transgression sociale, alors parfois un policier devient une fée à son tour, on ne sait pas pourquoi ce jour-là dans un commissariat de police, un policier, celui-ci et pas un autre, n'excuse pas la faute, mais redonne une chance tout simplement et ne fait rien d'autre que son métier, prévenir, aider, protéger, anticiper sur le malheur qui pourrait renaître plus tard et s'engouffrer insidieusement dans une vie, être pire... Mon neveu est gendarme, issu lui aussi d'un véritable parcours atypique, il m'a raconté quelques anecdotes où à sa manière il lui arrive d'être une fée, mais ça on n'en parle jamais.

Les fées chez Norbert Alter, c'est le coeur d'un ami, c'est le coeur des femmes qu'il a rencontrées. On ne dira jamais assez combien l'éducation sentimentale peut être source d'inspiration pour se construire. Parfois ici une fée s'appelle Véronique et je me suis à mon tour fondu dans ses bras, sa chaleur, ses fêlures. Car souvent les fêlures des femmes qu'il rencontre invitent Norbert Alter à venir s'y engouffrer, comme un effet en miroir, on se reconnaît à nos blessures et on peut s'aimer pour cela aussi, peut-être pour cela surtout... Qu'elles soient bourgeoises ou prostituées, on est juste ici à des années-lumière de la séduction.

Chez Norbert Alter, les fées ne sont pas là pour inviter à rentrer dans le rang. Surtout pas . C'est juste une main tendue, une main réconfortante, un regard, des mots posés là. C'est un don, un échange chaleureux, un geste, quelque chose qui pourrait ressembler plus tard, à une gratitude éternelle. C'est l'évocation aussi du contre-don cher à l'auteur.

En 1977, un fils d'ouvrier non qualifié avait 5% de chance de venir cadre ou d'exercer une profession intellectuelle (8% en 2019). J'en sais quelque chose, issu d'une famille de parents ouvriers où nous étions cinq enfants, où mon père avait participé à la construction de notre maison dans un projet collectif de quartier qu'on appelait alors les castors... Ce fut d'ailleurs une magnifique aventure collective qui créa des liens d'amitié durables. Ma mère s'était arrêtée de travailler pour nous élever. Plus tard, elle est retournée à l'atelier de textile pour financer mes études supérieures. Lorsque je suis entré dans une école supérieure de commerce, sur une promotion de 84 élèves, nous étions me semble-t-il 3 élèves issus du monde ouvrier. Je vous laisse calculer le ratio, moins que la moyenne. Je découvrais un monde nouveau, étrange, oppressant, pour la première fois je ne saurais dire pourquoi j'éprouvais une sorte de honte par rapport à l'endroit d'où je venais. Je vous le confie aujourd'hui, c'est ce que j'ai ressenti la première fois en entrant dans ce monde qui n'était pas le mien, les élèves que j'allais côtoyer durant trois années étaient des enfants d'avocats, de notaires, de chefs d'entreprise, de banquiers, d'experts-comptables... Je ne sais pas ce que je faisais là, moi fils d'un charpentier et d'une couturière et je m'apprêtais à entrer dans leur monde sans leurs codes... Lorsque mon père le lundi matin venait m'amener à l'école avec sa Citroën Ami 8, je lui demandais de ne pas se garer devant l'école, mais dans une rue adjacente... Quel idiot j'étais ! J'ai honte aujourd'hui je vous l'avoue, alors que d'où je viens j'en fais à présent ma fierté. Pardon, Papa.

Sans classe ni place, c'est l'expérience qui prévaut. Rien d'autre.

Le chapitre intitulé « Politique » est à ce titre jubilatoire. Norbert Alter découvre la politique par le prisme d'un mai 68 pris en otage par de jeunes bourgeois gauchistes qui n'ont jamais quitté papa et maman. D'ailleurs, la politique a-t-elle changé ? Combien de femmes ou d'hommes politiques peuvent se prévaloir d'avoir exercé une réelle expérience professionnelle, sociale ou culturelle sur le terrain, pour éprouver les arguments qu'ils défendent ? Levez les mains, je vais compter...

D'une écriture fluide et belle, ce livre m'a happé comme dans un roman.

J'ai trouvé ici un texte pouvant réenchanter le monde, tel que nous sommes capables de l'imaginer.



« L'idée est pourtant simple : si la différence ne tue pas, elle permet d'envisager plus librement le monde. Mais surtout, l'expérience de la différence construit plus souvent notre identité qu'on ne le suppose. »



Merci à toi, chère Anna (@AnnaCan), de m'avoir pris par la main pour découvrir ce livre si inspirant du très beau parcours de Norbert Alter et qui m'a permis de me pencher quelques instants aussi sur le chemin qui me façonne chaque jour encore.

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Sans classe ni place

Norbert ALTER est sociologue. Dans Sans classe ni place il fait de son expérience personnelle un sujet d’étude. On est donc à la limite entre le roman, la biographie et l’étude sociologique. Mais l’auteur ne parle pas de lui directement, peut être pour garder une distance avec les évènements et être en mesure de les écrire avec plus d’objectivité. Il choisi d’avoir recours à un personnage fictif : Pierre. Pierre et l’auteur se rencontrent et deviennent amis, ce sont ces moments d’échanges et de confidence qui seront le terreau du livre.



On pourrait donc s’attendre à une charge émotionnelle élevée. Toutefois, l’émotion ne nous est pas livrée à l'état brut. Il y a un intermédiaire même si c'est un personnage de fiction. La conséquence pour moi fut justement que l’émotion a été tenue à distance. Il y a une retenue qui inhibe les émotions mais ne les fait pas pour autant disparaître. Comme par exemple quand l’auteur fait dire à Pierre que s’il avait vraiment abolie les barrières sociales et réussi sa vie il serait capable d’écrire ce livre lui même. Un terrible aveux du sentiment d’infériorité et de souffrance qui demeure à fleur de peau malgré sa réussite.



La première partie fut pour moi la plus intéressante, c’est celle où l’auteur a le plus laissé filtrer ses émotions. J’ai été touchée par le sentiment de solitude et de marginalité seule compagne des jeunes années de Pierre. Difficile de se construire hors d’un cadre, hors de tout. La partie concernant le travail m’a beaucoup intéressée également. L’auteur montre combien le travail physique nécessite un savoir faire, une intelligence du corps, un investissement. Il montre comment le travail peut être à la fois source de fierté et de honte. Une honte suscitée par le regard de l’autre et par la pitié que l’on peut y lire. Un sentiment d’infériorité en réponse au sentiment de supériorité qui se lit dans l’attitude de celui qui n’a pas à travailler dur dans la sueur et la souffrance pour vivre décemment. Comme si il avait mérité de ne pas transpirer pour gagner sa croute.



Passée la première moitié du livre les sentiments se font plus discret, ce qui domine c'est l'analyse des mécanismes du déterminisme social. L'auteur cherche à comprendre les mécanismes qui ont déterminés son parcours. Il cherche à comprendre comment cette différence a influencé ce qu'il est, ce qu'il est devenu et ce qu'il aurait pu être. Les thèmes abordés sont moins intimistes (fautes, politique, voyage) que ceux précédemment évoqués (maison, école, travail…). Le chapitre « filles » pour moi fait la transition entre ceux deux parties. A partir de là j’ai moins accrochée car j’ai relevé des redondances. L’auteur se répète en tentant d’aborder un même problème sous différents angles.



Cependant dans cette partie j’ai trouvé très intéressant le ressenti de Pierre quand à l’absence de place pour les gens qui ne font plus vraiment partie des classes sociales pauvres, dont ils sont issus mais qui ne feront jamais non plus partie des classes privilégiées. Une sorte d’entre deux comme quand on ajoute un bis entre deux numéros. Comme si cette possibilité n’avait jamais été envisagée et peut importe qu’elle se produise. C’est tellement rare qu’il paraît superflue de prévoir une vraie place dans la société pour ces personnes. Il y a une vraie souffrance et une marginalité qui découle de ce constat.



Pourtant si on s’en tient au déterminisme social nous sommes nombreux à ne pas être devenus ce que nous aurions dû être. A avoir défier le système et à s’être rebellés. C’est le lot de ceux qu’on appelle pour faire joli « les transfuges de classe ». Et pour ces personnes peut être que ce destin paraît moins extraordinaire que pour ceux qui sont nés du bon côté de la barrière et pour qui ce destin apparaît poignant et exceptionnel. Cela n’enlève rien à la détermination de l’auteur et ne dévalorise pas non plus son parcours. Ce n’est pas non plus un jugement de valeur par rapport à ceux qui ont eu une vie un peu moins compliquée. Simplement certains d’entre nous peuvent mettre plusieurs visages sur celui de Pierre alors que d’autres n’ont jamais rencontré un tel personnage. C’est peut être une explication à ma lecture en demi-teinte.

Pour autant certains mots de l’auteur ont raisonné en moi et y ont laissé une empreinte, comme une légitimation.



«  L’idée est pourtant simple : si la différence ne tue pas, elle permet d’envisager plus librement le monde. Mais surtout, l’expérience de la différence construit plus souvent notre identité qu’on ne le suppose. La trajectoire de Pierre s’apparente à celle d’autres exclus qui ont pu échapper à leur sombre destin et à subvertir l’inégalité des chances. »



Merci à Sandrine, berni, Nico et Chrystèle mes compagnons de lecture qui comme à chaque LC ont enrichi la lecture de ce livre par leurs remarques, leurs questions, leur bienveillance, leur humour et leurs regards. On ne le dit pas assez que les babels potes sont supers ;-)
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Sans classe ni place

Le livre de Norbert Alter fait parti de ces nombreux romans que l'on voit passer mais sur lesquels on ne s'arrête pas. Cela aurait été le cas si je n'avais pas profité d'une lecture commune pour le découvrir, j'en remercie mes ami.es qui m'ont mise sur son chemin.

C'est un livre très différent de mes lectures habituelles, entre l'autobiographie et l'essai sociologique, avec une thématique centrale autour de la notion de « transfuges » ou les « transclasses ».



*

Pierre, la soixantaine aujourd'hui, professeur d'université, a eu un parcours atypique.



« Pierre aurait dû vivre dans la misère et aller en prison, mais il a finalement échappé à son destin social, à ce que les sociologues nomment la reproduction. »



Né dans une famille dysfonctionnelle, il se rend compte dès tout petit que son environnement familial ne ressemble pas à celui de ses autres camarades.

Alors il rêve d'une vie banale et rassurante ; d'un foyer accueillant et sécurisant ; de parents aimants, bienveillants, attentifs, rassurants, réconfortants ; d'une place parmi les autres.



D'un père représentant de commerce et d'une mère cuisinière, sa famille appartient à la classe ouvrière. Mais c'est sans compter leur incapacité à rentrer dans une norme et à la respecter, à avoir une vie stable, agréable et chaleureuse.

Son foyer est comme un bric-à-brac qui n'offre pas de limites, de cadres, d'intimité et où le rôle parental non assumé n'aide pas Pierre à acquérir des valeurs et des attitudes adaptées, des bases intellectuelles et émotionnelles solides pour se construire.



Evidemment, tout le monde est différent et notre différence constitue notre richesse. Mais il est plus facile de se démarquer et de choisir l'orientation de sa vie lorsque les fondations sont bien solides.



N'appartenant pas à un milieu bien défini qui reposerait sur des normes sociales et des valeurs communes, Pierre vit dans un entre-deux incertain, exclus d'une vie sociale. Pierre souffre des imperfections de sa vie, du manque de règles et de cadre qui le marginalise. Il se sent différent, honteux, isolé des autres, désorienté de ne pas avoir une place claire, définie.



Pourtant, malgré ce sentiment d'exclusion, d'isolement, de rejet, alors qu'il ne baigne pas dans un milieu économique, social, culturel et intellectuel riche, ses résultats scolaires sont excellents. Très tôt, il apprend à être autonome, mâture et responsable, mais le manque de repères, de stabilité affective et psychologique qui l'habite, contribue à développer un sentiment de peur, de solitude.



Alors l'école est son premier foyer, un endroit accueillant, chaleureux, protecteur. Les leçons du maître seront un univers rassurant loin des violences de son quotidien.

Il aura d'autres foyers, mais jamais le foyer familial.



*

Aujourd'hui sociologue, Norbert Alter jette un regard sur son passé : en alternant narration et essai, il décortique les mécanismes sous-jacents à la socialisation à travers son parcours, analyse les trajectoires qui s'offraient à lui.

Cette approche est très intéressante et j'ai aimé que l'auteur ne s'arrête pas là, expliquant comment il a réussi à se libérer de parents défaillants, toxiques, maltraitants pour se reconstruire et devenir la personne qu'il est aujourd'hui.



Pour écrire le récit de son enfance, Norbert Alter a tenu à distance ses émotions et s'est créé un double, Pierre. Ce « jumeau » lui permet de poser plus facilement des mots sur les meurtrissures de son enfance. Cette prise de recul a été, je pense, nécessaire pour disséquer sa vie en toute objectivité et comprendre comment ses parents ont eu un impact sur son développement.



« … il crée une distance avec son propos comme s'il ne faisait que transmettre une information extérieure à la relation, pour s'assurer de pouvoir tout dire ; mais, en même temps, l'intensité de son regard et le rythme syncopé de ses phrases indiquent précisément l'inverse. »



L'histoire personnelle de Norbert Alter est très différente de la mienne et pourtant j'ai pu faire des parallèles avec mon histoire familiale. Il a mis le doigt sur des éléments de ma vie auquel je n'avais pas prêté attention.



*

L'écriture est agréable, fluide et j'ai aimé le fait que l'auteur passe par le récit pour aborder des thématiques sociales et sociologiques.



Mais cette mise à distance et cette cassure dans la narration par une réflexion sur les mécanismes du déterminisme social ne m'a pas permis d'entrer véritablement dans le récit. Cette retenue m'a donné l'impression de rester à la porte du récit, d'être spectatrice, j'ai eu du mal à me mettre à la place de l'auteur pour comprendre ce qu'il avait vécu, sauf lorsqu'il évoque ses années de primaire, où là, j'ai ressenti avec force ses émotions d'enfant. Peut-être parce que je suis maîtresse d'école et que mon regard perce parfois, pas toujours, la coquille fragile de mes petits élèves.



*

L'auteur évoque souvent la notion de « maison », un thème que j'aime particulièrement dans mes lectures. Ce lieu intime si familier et ordinaire est comme notre reflet dans le miroir.

L'auteur a choisi une définition de Bachelard :

« La maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix. »



La maison de Pierre est pleine de courants d'air, de craquelures, de fissures, de chausse-trappe et d'incertitudes. Elle n'est pas un nid moelleux pour son enfance, un abri pour ses rêves et ses espoirs, elle n'est pas un refuge contre les agressions du monde extérieur.



« Je ne faisais pas partie d'une classe, j'étais de nulle part. Je n'avais pas de maison… »

« Et, tout au long des années ils répètent et rappellent la place des choses et des êtres, l'usage évident de l'espace. Ces maisons représentent un petit monde, clos, dont l'étroitesse semble vouloir contenir la chaleur du foyer. »



Pierre s'invente d'autres "maisons", goûtant la chaleur d'une salle de classe, essayant de se fondre dans un collectif au lycée ou dans une cause commune lors des émeutes de Mai 68, recherchant l'amitié et le partage, croisant de bonnes « fées » qui l'aideront à baliser sa route, se lovant dans l'intimité de ses petites amies, ...



« Dans la chaleur qui émerge des êtres qui s'emparent doucement l'un de l'autre il distinguera, en miniature, l'idée qu'il se fait d'une Maison : le plaisir d'être ensemble, de se nicher, d'être attendu, de se fondre, protégé du reste du monde. »



« La douceur de la chair de Véronique, de son sexe, le protège du reste du monde. Elle murmure parfois : « Tu es là, dans mon corps, à ta place. » Elle le lui dit vraiment. Cela le bouleverse : en elle il est chez lui. »



*

Pour conclure, « Sans classe ni place » est un livre positif qui ne se pose pas en victime. Au contraire, Norbert Alter montre comment la différence peut être une force et non une renonciation, elle peut être une source de richesse pour se construire « sa maison ».

Le parcours atypique de Norbert Alter fut l'occasion d'un voyage dans mon histoire, son regard m'a peut-être permis de mieux comprendre comment je me suis construite.



*

Merci à Doriane, Nicola, Bernard et Chrystèle pour cette lecture commune riche d'échanges et de tolérance. C'est toujours un plaisir de vous retrouver et de pouvoir poser des mots sur ses émotions, ses ressentis avec confiance, sans l'appréhension d'un jugement.
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Sans classe ni place

"Sans classe ni place" est un très beau livre, qui mélange admirablement littérature et sociologie. Cet ouvrage, autobiographique, nous raconte la construction d’un homme, avec toutes les hésitations, les découvertes, les joies…et en premier lieu les difficultés qu’un « garçon venu de nulle part », privé d’un cadre social et affectif structurant, a rencontrées. Ce qui est passionnant dans ce livre, c’est de voir comment ce garçon arrive envers et contre tout à construire son monde et sa route, puis sa place dans le monde.



On est très touché par l’histoire de cette jeunesse hors normes. L’auteur nous fait pénétrer au plus profond de son univers tout en préservant la délicatesse, l’étonnement, et finalement la pudeur de l’enfant. Le recours à un « double », Pierre, donne du recul au récit mais ne lui fait rien perdre de sa force : on ressent avec Pierre le désir d’une vraie « maison », le terrible trouble par rapport aux gestes déplacés de la mère ou à sa violence, l’angoisse par rapport à l’absence de véritable foyer ou aux fautes du père, le bien-être apporté par le refuge de l’école, avec ses rites et sa chaleur et aussi, parfois, le réconfort des mains tendues - d’un policier, d’un professeur ou d’un ami - qui permettent de construire sa route.



On lit aussi ce livre très imagé avec le même plaisir que si on regardait un film. On plonge dans l’ambiance des années 60 et 70 et dans une multitude d’expériences hautes en couleur, fortes et parfois brutales : quand le jeune homme est garçon de café, déménageur, qu’il frise ou épouse la délinquance, qu’il part faire des voyages, dans le sillage de la Beat Generation, ou quand il participe (ou pas !) aux évènements de mai 68. « Les filles » occupent aussi une place de choix : l’auteur nous rappelle, pour notre plus grand bonheur, que les femmes peuvent se transformer en fées et changer notre vie, sa vie…

Page après page, on a « l’impression d’y être ». D’une aventure à l’autre, on est touché par cette histoire singulière. Cette lecture est un vrai plaisir !



Le message sociologique est puissant. Ce livre nous dit qu’on n’est pas seulement déterminé par l’Histoire, et qu’on peut aussi s’emparer de son histoire pour la construire. Une vision revigorante, à rebours des discours sociologiques traditionnels qui « désenchantent » le monde en oubliant les marges et les libertés des individus. On retrouve là la force et la liberté d’analyse du narrateur, qui n’est autre que le sociologue reconnu du même nom, auteur de nombreux ouvrages.



Un livre à lire absolument, pour l’histoire qu’il raconte et la leçon qu’il en tire !

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Sans classe ni place

Singulier récit que ce texte du sociologue Norbert Alter : un texte a priori sociologique dans lequel l'auteur fait le récit de la trajectoire d'un certain Pierre, issu d'une famille évoluant dans la marginalité. Mais Pierre, c'est Norbert Alter. C'est sa propre vie qu'il raconte comme un cas d'espèce de sociologie.



Et vraiment, c'était passionnant !



Pierre n'a pas de vraie maison au sens d'un lieu qui protège et dans lequel on se love (il emploie souvent ce mot). Ses parents déménagent souvent faute de payer leur loyer. Même s'il a une adresse, elle ne ressemble en rien à un foyer. La violence est présente, les rôles ne sont pas respectés et souvent le frigo est vide. La famille de Pierre ne fait aucun cas des règles sociales et ne peut pas davantage s'intégrer au milieu populaire qu'au milieu bourgeois. La mère choque par ses cris et sa tenue indécente.



"l'imprévisibilité des rôles fait bien plus souffrir que n'importe quelle forme d'autorité" affirmer Norbert Alter.



A l'âge de 15 ans, il retrouve dehors, chassé par la nouvelle femme de son père. Il va dormir régulièrement chez des ami(e)s qui l'accueillent et l'hébergent. Le récit de sa véritable découverte de la vie familiale, alors qu'il est hébergé par la famille de son ami Antonio émeut. Il raconte le plaisir des choses simples : " A table", l'agitation de la famille autour de la préparation des repas, la place de chacun dans la maison...



Le récit est structuré autour des grands thèmes permettant d'illustrer ce qui a permis à Pierre d'échapper à son destin : le travail, l'école, les filles, la politique et les voyages plus un chapitre plus énigmatique intitulé " fautes" consacré aux libertés qu'il a pu prendre avec les règles et les normes depuis sa façon de jouer aux billes ou de vendre des tickets de tombola jusqu'à des vols plus importants à l'adolescence.



Pierre commence à travailler très jeune dans la restauration. Il apprécie ce travail car il a une place un rôle, ne serait-ce que celui d'éplucher les patates. Le travail est dur. Pierre est parfois victime de la méchanceté de certains patrons et d'humiliation de la part des clients. Mais il s'y accroche, devient serveur et plus tard déménageur.

L'école a été essentielle : tout enfant, elle était le seul lieu avec un cadre et un rôle d'élève. Il travaille et cherche à compenser les lacunes liées à son éducation. Quelques professeurs joueront un rôle décisif pour lui. Une prof de collège convainc les autres de l'orienter vers un lycée général et non pas technique comme son profil de cas social l'y poussait. Quelques autres au lycée, conscient de ses difficultés, tolèrent ses absences et lui permettant de continuer. "On ignorait ma différence pour m'associer à la vie des normaux". Sans cela que serait-il devenu?



Les filles ont joué un rôle clé pour Pierre : elles l'ont hébergé quand il était dehors, l'ont réchauffé, lui on fait sentir qu'il n'était pas seul. Les parents de Véronique, de milieu bourgeois, l'accueillent. Il y apprend beaucoup, en permanence angoissé à l'idée de faire une faute qui révèlerait son milieu social, de ne pas être habillé comme il le faudrait, de ne pas utiliser les bons couverts, de s'exprimer mal.. Il rencontre aussi Viviane, une prostituée avec laquelle il nous une relation étroite, mais bien différente, dans laquelle ils partagent leur solitude.



Mai 68 est un moment marquant. Pierre n'apprécie pas les gauchistes qu'il considère comme des bourgeois, des nantis qui ont toujours été protégés du monde. Au lycée, Pierre se lance dans le mouvement, toujours pour les mêmes raisons, avoir une place, faire partie d'un tout. En outre, le marxisme lui donne des clés de lecture pour son histoire familiale. Pour autant, les contradictions et l'hypocrisie lui apparaissent très vite. Lui doit aller travailler dans son café, alors qu'"eux" continuent de parler de la lutte des classes et viennent parfois avec leurs parents se faire servir un verre. Alors qu'il est enfermé suite à une manifestation avec d'autres, un policier demande : " C'est qui De quelque chose?" et le "de quelque chose " peut sortir car "l'amirauté a appelé". Il finit par abandonner le mouvement. Il va alors découvrir la Beat Generation qui va le bouleverser. Le dernier chapitre est consacré aux voyages réalisés en Amérique dans le plus pur style Beat generation et qui vont lui permettre de trouver sa place.



En plus d'être passionnant, ce récit a une vraie dimension sociologique qui m'a beaucoup donné à penser. Quelques citations que je retiens :

> Pierre n'avait pas de place, et donc pas grand chose à perdre. S'inventer une vie représentait ainsi pour lui un coût de sortie plus faible que pour la plupart de ses copains et un coût d'entrée dont il ne pouvait avoir idée. Mais si des militants ou des experts en science sociale avaient réussi à lui faire admettre que sa misère provenait de sa seule misère de classe, il y serait demeuré assigné, écrasé par un déterminisme qui ne laisse de liberté à personne, sauf aux puissants et ceux qui veulent renouveler l'histoire sans s'intéresser aux histoires individuelles.



plus loin





> Cette perspective [théorie verticale démontrant la reproduction des mécanisme de domination] propose en revanche de changer l'histoire puisqu'on ne peut échapper à son histoire. Je pense exactement le contraire. On n'échappe jamais à l'histoire, qui produit, sous des formes diverses, des dominants, des censeurs et des colonels, qui tous souhaitent dicter les destins individuels au nom du bien. Mais on peut échapper, au moins partiellement, à son histoire pour la réinventer et se réconcilier avec elle, puisqu'on n'est jamais seul . (page 298)



La clé du destin de Pierre : les autres ! Pas un trajectoire individuelle exceptionnelle basée sur ses seules forces!
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Bureautique dans l'entreprise

Lu pour un mémoire en psychologie clinique dans lequel j'essayais de comprendre ce qu'il subsistait d'humain dans les entreprises structurées puissamment par l'informatique. Ce livre m'a été très utile. Puisqu'à la base, je n'y m'y entendais guère...



Quelques éléments :



Alter s’attache à repérer les situations nouvelles dans lesquelles les utilisateurs des nouvelles technologies de l’information, loin d’être aliénés par le poids croissant d’une technologie oppressante les confrontant à des problèmes concrets posés par son utilisation, acquièrent progressivement une véritable maîtrise de leur travail. La plupart des applications originales seraient aujourd’hui plus développées par les agents situés aux différents niveaux d’exécution, seuls à posséder le savoir-faire pratique nécessaire pour imaginer des utilisations nouvelles, que par les responsables informatiques. Cet auteur met l’accent sur le côté stratégique de la constitution d’un tel savoir-faire. En effet, il permet aux exécutants de disposer d’un sérieux atout dans leurs négociations quotidiennes avec leurs supérieurs hiérarchiques :

« Le goût pour le « bricolage » ne correspond en aucun cas à une donnée naturelle […]. Si la plupart investissent beaucoup de temps et d’énergie à découvrir de nouvelles procédures, c’est parce que jouer avec l’outil permet dans un deuxième temps de jouer en acteur, d’imposer sa propre rationalité. […] La technique étant initialement vide de sens, les Innovateurs multiplient les découvertes leur permettant de « créer de l’incertitude », de faire de la technique un atout essentiel dans leur participation au jeu social. »



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Sans classe ni place

'Sans classe ni place' est le récit autobiographique de la jeunesse difficile, dans les années 1960, de Norbert Alter, professeur de sociologie. Il se présente sous forme d'échanges avec un de ses amis, Pierre. Celui-ci n'est que son double. " Pierre est mon double. Il m'aide à élucider et à dire ce que le « je » ne permet pas. Je tenais à faire ce récit pour mieux saisir le sens de mon histoire."



Norbert Alter fait un récit captivant : il évoque avec talent ses souvenirs, analyse les situations avec finesse et montre que, si on a l'ambition de s'accomplir en étant soi-même, on peut trouver un soutien auprès des rares personnes qui vous acceptent telle que vous êtes.



Je recommande la lecture de cette confession profondément humaine, loin de la morale facile et des idéologies "prête-à-porter" de ceux qui n'ont jamais eu d'épreuves à surmonter.

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Sans classe ni place

L'auteur, un sociologue français, raconte sa propre histoire. Il crée un personnage nommé Pierre qui n'est autre que son alter ego, avec lequel il imagine des dialogues, des récits, et dont il décrit les réactions.

Il se dit "venu de nulle part" parce qu'il ne se sent appartenir à aucune classe sociale, à aucun collectif. Il vient d'une famille pauvre et marginale, exclue de la classe ouvrière puisqu'elle est hors normes, hors du collectif. Son père est emprisonné ; sa mère exhibe sa sexualité et va jusqu'à l'inceste. L'enfant déménage beaucoup, dort parfois dans la voiture. Il est très bon à l'école mais sans aucune culture. L'aide de quelques personnes, le travail assidu, les études universitaires et la fréquentation des bibliothèques lui permettront néanmoins de se faire une place dans la société, de se trouver un travail.

J'ai aimé son rapport distancé, assez joueur et critique, à sa réussite scolaire ou à son parcours politique. Il montre qu'il a trouvé quelques astuces pour avoir toujours des bonnes notes (resservir la même théorie marxiste à toutes les sauces et attirer la compassion des professeur•es sur son sort d'étudiant sans avenir !). Il dépeint dans des portraits caustiques les militant•es de gauche de Mai 68 qui sont des bourgeois attablés dans le café où il travaille, dissertant à l'infini sur la révolution prolétarienne, fantasmant sur la condition ouvrière pour asseoir leur désir de revendication de liberté.

Pierre décrit ses difficultés, ses emplois (garçon de café, déménageur...) et ses nombreux larcins, qui lui font honte ou le rendent fier selon le contexte.

Il se décrit comme un indiscipliné, qui a défié les lois statistiques (qui programmaient socialement son échec), grâce essentiellement à des personnes nommées "bonnes fées" (amoureuses, professeur•es ayant convaincu sa mère de le laisser poursuivre ses études, etc.)

Un mélange de littérature et de sociologie plutôt réussi, piquant et jamais mélodramatique.
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🎬 Alors qu'il s'apprête à démissionner de ses fonctions de shérif pour se marier, Will Kane apprend qu'un bandit, condamné autrefois par ses soins, arrive par le train pour se venger. Will renonce à son voyage de noces et tente de réunir quelques hommes pour braver Miller et sa bande. Mais peu à peu, il est abandonné de tous... Ce film de Fred Zinnemann, avec Gary Cooper s'intitule "le train sifflera ... "

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