"C'est la terreur qui est indicible."
Nous avons tous regardé Alan Querdilion.
C'était la première fois qu'il prenait part à la conversation ; presque la première fois qu'il parlait depuis le début du dîner. Il s'était contenté de rester assis, à fumer sa pipe et à regarder tour à tour ceux qui parlaient, avec sur leur visage cet air d'étonnement mitigé qui lui était maintenant devenu habituel : une air qui me rappelait moins l'innocence enfantine que la simplicité du sauvage pour lequel l'étrangeté de votre voix est une surprise qui distrait son attention et l'empêche de saisir le sens de vos paroles. Après avoir observé cette expression pendant trois journées consécutives, j'avais compris ce que sa mère avait en tête quand elle m'avait dir, en confidence et avec quelque tristesse, que les Allemands, en 1945, n'avaient pas complètement libéré Alan de sa prison.
Je montrai du doigt le petit nom " 102".
-Ach, Ja, dit-il. Il y a aussi l'année. On aurai pu penser que c'était à peine nécessaire.
-L'année ? répétai-je en le regardant.
Il rejeta la tête en arrière et éclata de rire, puis s'en excusa en même temps.
-Hélas ! C'est qu'il est difficile de rester logique quand deux personnes vivent dans deux siècles différents en même temps. Excusez-moi, mais il faut que je vous explique que-pour des raisons de pure convenance- je souscris à la convention selon laquelle nous vivons actuellement dans l'année cent-deux du Première Millénaire Germanique, ère qui fut inaugurée par notre Premier Führer, l'Immortel Esprit Germanique, Adolf Hitler.