Citations de Patrice Delbourg (56)
Languide à l’extrême, luttant comme il pouvait contre son oblomovisme de souche, candidat à une totale ignorance, sa bibliothèque rétrécissait à vue d’œil, tous les soirs il lacérait, incinérait, anéantissait trois ouvrages presqu’au hasard qu’il se gardait bien de remplacer.
Ce matin,il avait choisi d'extraire en douce des rayonnages un exemplaire de -Corinne ou l'Italie-, d'Anne-Louise Germaine Necker, baronne de Staël Holstein,dite"Mme de Staël ", et d'aller consciencieusement le noyer sous l'arche du pont Marie.Une avoine bourrative de moins. Cet interminable pensum restait comme le douloureux souvenir d'une expérience de ses quinze ans sous la férule d'un enseignant qui se coiffait comme Jules César et ne jurait que par la beauté des choses au-delà des Alpes.
Il ne s'agissait pas ici de désavouer les séduction d'une tournure.Au contraire.Avoirdu styles,c'est important, quand notre époque en génère si peu. Du style dans la vie quotidienne bien sûr, car celui déployé dans les grimoires est à la portée de n'importe quel singe savant venu,ayant eu la possibilité d'exercer sa panoplie de mimétisme en classes préparatoires. (p.173)
Les coups de foudre ne font pas des mariages du tonnerre.
"Les Poulpes", excroissance fantasmatique et baroque qui retrace la vie larvaire des prisonniers de guerre, impitoyable réquisitoire contre la tyrannie de la chiourme nazie, guignol dérisoire d'un gnouf de mort lente écrasé sous la botte totalitaire, élève l'entreprise de Guérin à la hauteur d'une Métropolis moderne. Des pages concassées, broyées pour faire digue contre le temps. Maëlstrom de langage en fusion, coulée croissante, irrésistible, qui jette la passerelle d'une osmose entre quotidien et imaginaire.
Pépiniériste du quotidien, grand taxidermiste de parcelles magiques, il bricole des petites beautés va-nu-pieds qui ont la brusque luisance des cassures de houille. Comme un don d'ubiquité dans le manège des mots.
Romancier de la défaite sociale, de la faillite intime, Bove s'est très tôt instruit de la précarité, de l'instabilité de la vie quotidienne dans une mystique du banal.
"De toutes parts la vie éclate, de toutes parts
des paroles, des cris, des bals, des épluchures
er des lumières traînent leurs robes de soirée
-qui versera cette nuit dans le goulot des nuits?"
Benjamin Fondane.
Jamais le lyrisme quotidien n'aura manifesté une telle liesse, une telle incandescence, un tel besoin d'amour torréfié : "J'ai tellement de seins dans ma poitrine que deux cratères fumants s'y dessinent comme un renne dans une caverne pour te recevoir comme l'armure reçoit la femme nue."
(À propos de Benjamin Péret. )
On dira à l’entrée du palafitte: «Je vous présente un monsieur qui fut moitié un autre, moitié tout le monde, surtout personne. Il n’eut ni enfance ni maturité. Il ne fut rien après comme il avait été zéro avant.» Avec un peu d’aubaine, il bénéficiera peut-être d’un non-lieu.
Un essaim de grues flèche le ciel cyanosé.
La rue sature ses slogans.
La seule vie de café le tenait en équilibre
comme l'assiette en kaolin toupille au bout de la tige du saltimbanque chinois.
p 49
Ah! Le pouvoir séditieux de la communauté des enseignées amorphes,
le regard dans le vague,
mâchouillant leurs crayons,
hébétude taille XXL.
p 122
De quelle manière transmettre le goût d'un style distingué
à ces cerveaux désherbés ?
Inculquer une tournure,
une manière soignée
à des intelligences dont la lucidité
ne dépasse pas la vigilance du bulot à marée basse
P 111
Je propose chaque jour de la moquette pour leur cerveaux désherbés.
Je devrais être décoré pour mon dévouement au lieu de subir à jets continus l'acrimonie de ma hiérarchie .
p 47
le vin du jour est un plaintif Coteau-du-Forez,
Écrit Vin suggère Delbourg,
tout le reste n'est que litre et rature ajoute Blondin.
transi sous son feutre taupé mendiant d'éternité
Léon Bloy siffle un Pécharmant
p 230
les nuages pleurent à la sanguine
le ciel doit avoir des meurtres sur la conscience
carreaux cassés fenêtres borgnes
Il hésite à quitter le cocon de la buvette du marché
dehors il fait si mal vivre
p 27
Je suis un ancien artiste de la magie noire, voltigeur de la manipulation sous gobelet et de la cabriole visuelle, à ce titre je peux me prévaloir d’être un éveilleur de consciences, un rebouteux de l’âme, celui qui fait disparaître le temps d’une soirée les embarras, chicanes et autres tiraillements avec la belle-famille, voire les médecins ou les huissiers, ce qui est un peu la même chose. Bref, toutes ces scories malencontreuses qui se logent dans vos chaussures, et plombent au quotidien la vie des petits et des grands. Oui, cher pèlerin du bitume, je peux sans doute vous épauler pour dépêtrer quelques-uns de vos désagréments.