Si Napoléon n'était pas né en 1769 mais en 1789, il serait assurément arrivé trop tard. Un autre aurait-il accédé au rôle de « sauveur » créé par la crise révolutionnaire et par l'impasse où elle avait conduit ? Rien n'est moins sûr. Dans tous les cas, l'histoire aurait été différente : l'heureux élu aurait tenu cet emploi à sa manière, selon ses capacités et en fonction de ses objectifs propres. L'histoire des grands hommes ne se confond pas avec l'histoire de leur temps. C'est en quelque sorte le paradoxe du grand homme : il est saisi par l'histoire au point de la remplir de son nom et de faire corps avec elle, jusqu'à l'indistinction dans certains cas, mais il lui donne un caractère réside en lui et en lui seul, qui n'appartient qu'à lui et dont il faut bien admettre que le secret
L'irruption du grand homme dans l'histoire ne dépend pas de la naissance d'un individu doué de capacités hors du commun et des efforts qu'il déploie ensuite pour dominer son époque. Le rôle joué par Napoléon ne tient pas, d'abord, à l'existence de Napoléon, mais à la crise provoquée par la Révolution française. Les grands hommes sont enfants des temps de crise, de ces époques qui permettent aux individus doués d'exercer leurs facultés, et d'abord leur volonté, avec une étendue et une intensité inconnues des temps ordinaires où coutumes, lois et institutions circonscrivent l'action de la volonté dans d'étroites limites. Les époques paisibles n'ont pas besoin de grands hommes.