C’est embêtant, l’épreuve du premier roman.
Pour le français Patrick Coudreau, la chose s’avère épineuse. Traître même.
Trois recueils de poésie à son actif et cet ancien journaliste se décide à passer à la prose. De son travail naît Maître des eaux, court roman publié aujourd’hui par La Manufacture du Livre pour la rentrée de janvier.
Volontiers décrit comme une histoire de revanche familiale, le récit de Patrick Coudreau nous invite à Brissole, un petit village français comme il en existe tant. Un lieu de secrets et de mesquinerie où revient pourtant Mathias Grewicz, enfant meurtri qui ne rêve que de confronter ceux qui ont démoli sa vie.
Un roman paysan
À Brissole, la famille Grewicz a jadis prospéré. Avec leur enfant, Mathias, et le grand-père, Ladislas, la vie aurait pu être un long fleuve tranquille. Mais le grand-père croit posséder un don, celui de commander à l’eau. En le surprenant à détourner une petite source, Mathias comprend que lui aussi peut en faire autant. Ces fantaisies vont finir par coûter cher aux Grewicz, conspués par leurs voisins et les autres pays, bien français eux, merci m’sieurs dames, et surtout bien médiocres. Ces juifs-là, avec leurs magies et leur réussite, c’est forcément louche. Jean Préret en est convaincu, et d’autres amis à lui aussi, de bons gars qui pensent que les Grewicz leur vole le succès qui leur revient de droit. La jalousie, comme toujours, mène au drame et bientôt les parents de Mathias et son grand-père trouvent la mort. Bien des années plus tard, le garçon choisit de revenir à Brissole pour se venger de Préret et de sa bande, de tous ces gens qui ont choisi de regarder ailleurs quand ses parents sont morts. Sauf que les choses ne se passent pas comme prévues et que Mathias se retrouve le gibier de Préret, Fivaire, Bernoux et Lotrain. Une seule personne tente de l’aider, une gamine qu’il ne connaît pas mais qui n’a aucune intention de le laisser crever comme une écrevisse que l’on ébouillante.
Sur le papier, Maître des eaux à de nombreuses cartes à jouer : la description du monde paysan, la rancune comme moteur d’existence, la cruauté du monde ou encore la magie de l’eau.
Patrick Coudreau entraîne le lecteur dans cette chasse à l’homme dès les premières pages qui voient un Mathias fuir à toutes jambes Préret et ses acolytes. Pendant longtemps, l’auteur français décrit patiemment son petit monde qui fonctionne en vase clos, dressant un portrait au vitriol du paysan français qui apparaît grossier dans l’accumulation des tares, ou, du moins, dans leur représentation rébarbative. Le paysan est médiocre, misogyne, violent, fourbe, raciste et fasciste. Rien que ça.
Et si certaines comparaisons s’accommodent fort bien de la traque qui se déroule sous nos yeux, notamment la nostalgie de l’Occupation et du travail des Nazis pour éliminer les juifs (et qui permet à Coudreau de justifier fort intelligemment le surnom d’Écrevisse donné à Mathias par les paysans pour le ravaler au rang de bête), d’autres semblent franchement forcées. Comme ses allusions aux actes pédophiles et/ou incestueux de Préret, véritable caricature sur pattes qui a, semble-t-il, tous les vices.
De l’autre côté, Mathias s’avère un héros falot qui n’en finit pas de fuir et écarte une cascade de temps en temps. L’élément fantastique ne sert pas à grand chose ici, si ce n’est à justifier quelques deus ex machina opportunistes.
Le tout a pourtant de quoi convaincre au début, notamment dans cette vision désabusée d’un monde rural tellement replié sur lui-même qu’il en devient haineux et xénophobe à souhait. Mais là où la grand-mère Julienne nous apparaît comme nuancée et digne de compassion, les autres ne suscitent que dégoût extrême ou indifférence. Des extrêmes difficiles à comprendre dans un monde en niveaux de gris.
Une vengeance qui tourne en rond
Mais le véritable problème ne vient pas forcément de cette peinture monochrome du monde paysan.
Patrick Courdeau, après avoir dévoilé le drame de Mathias et avoir emmené le lecteur auprès d’Elia et de sa mère, revient sur la traque et n’en sort jamais.
Maître des eaux est un roman répétitif et rébarbatif au possible où Mathias se planque et où les méchants paysans cherchent en grommelant des « On t’aura Crevisse ! ». Le récit se replie sur lui-même à l’image de ce village à l’écart du reste de la France. L’histoire piétine et l’on se fatigue devant le jeu du chat et de la souris des deux partis dont on finit par se désintéresser totalement.
Le pire, dans cet échec narratif, c’est que l’écriture de Patrick Courdeau a quelque chose d’envoûtant, avec son parler franc gouaillant qui dit la haine et l’impossible pardon des uns et des autres.
Malheureusement, la chose ne suffit pas et les péripéties manquent, les histoires ne se creusent pas ou apparaissent à peine effleurées.
Après un énième chapitre sur un Mathias nostalgique ou sur un Préret bouffi de médiocrité, Maître des eaux lasse.
Incapable d’utiliser l’élément fantastique pourtant prometteur du départ, le récit s’assèche pour délivrer une fin à l’image de son parcours : fade et oubliable.
Maître des eaux peut compter sur sa prose maîtrisée pour capter l’attention du lecteur mais cela ne suffit guère en fin de compte. Piégé par son histoire répétitive condamnée à répété les mêmes motivations et sentiments, Patrick Coudreau oublie de donner d’autres souvenirs et sentiments à ses personnages qui apparaissent fades ou caricaturaux.
Et le récit, dans son ensemble, prend l’eau.
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