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Critiques de Paul de Brancion (7)
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L'Ogre du Vaterland

DOUBLE TENTATIVE D'ASSASSINAT DANS LA RUE OGRE...



Cette douleur enfouie toujours, au plus profond, d'avoir eu un père que l'on n'a pu qu'aimer haïr. Ce mal que l'on traîne, ans après ans, plus que comme un fil à la patte : comme une sorte de prison qui vous enferme à jamais dans ce mal que l'on vous a fait, sans explication possible, sans justification autre que «Léon Jacques [le père] ne m'aimait pas, ne me trouvait ni charmant ni beau. Il m'en voulait de porter son nom, souhaitait qu'ich disparaisse, que cela cesse.»



Ce que cela doit être terrible, pour un fils, de comprendre cela. Terrible au point de camoufler le Je derrière un Ich qui, pour être de commun usage au philologue Paul de Brançion, n'en est pas moins un évitement narcissique fort, désespéré peut-être, une sorte de "je est un autre" rimbaldien s'affranchissant de sa langue, s'évoquant lui-même comme un inconnu dans le refus du père de le reconnaître pour Je.



L'Ogre du Vaterland... Quel nom terrible donné à son propre père. La carte et le territoire en deux mots. La carte, spirituelle, malfaisante, c'est cet homme, digne des personnages les plus noirs, les plus mortifères et ignobles des contes - en l'occurrence, ceux de Charles Perrault, dont les extraits et citations émaillent de leur éclaircissement symbolique, souvent violent, le fil de cette lecture tragique -, le Vaterland (pour les non-germanistes, ce mot se traduit par "la patrie" en français mais, mot pour mot, c'est "la Terre du Père", et l'on pourrait ainsi lui donner comme équivalent, avec une inversion du genre, de "Mère Patrie"), c'est le territoire, cet endroit terrible, infranchissable, inviolable et pourtant lieu parfait d'enfermement avec lequel l'enfant du construire son propre monde, à l'exception de ces quelques trop rares moments de respiration durant lesquels le père était parti pour voyage d'affaire.

Qu'il doit être terrible de haïr à ce point un père et qui vous a haï d'abord et en retour...



Alors, sans expliquer ni justifier, sans pardonner ni absoudre, se conter une histoire : l'histoire de ce père honni, parce que brutal, parce que mal aimant, parce qu'ennemi de la mère aussi, parce qu'oublieux de ses rejetons ; parce que mort au-dedans et imposant sa mort alentour. Explorer le territoire de cet autre, l'histoire de ce père ancien officier de marine (est-ce un hasard : un paquebot allemand, antérieur à la seconde guerre mondiale, fut baptisé "Vaterland". Ce fut par ailleurs un énorme échec commercial. Ainsi que furent, semble-t-il, certaines affaires du père), «plus mussolinien que naziste, plus fachiste que léniniste, malin, habile, retors», et Paul de Brancion de préciser, implacable, «retors jusqu'à la fellation du monde». "Ich" nous dresse le portrait d'un être terrifiant dans sa banalité mauvaise, qui épouse une femme avec laquelle il sera en conflit larvé jusqu'à la fin, qui lui fera enfants sur enfants, sans pourtant aimer la "marmaille", parce qu'on est catholique traditionnel et que Vatican II n'est jamais passé par là.



On découvre aussi des tractations d'un genre qui aurait pu s'avérer épique s'il n'était aussi sordide, entre le futur beau-père et Léon Jacques, le père, dont l'enjeu fut la jeune fille sans beau parti ni atout personnel qu'un nom et une petite fortune. Ainsi, par le biais d'une entourloupe dérisoire, le futur père se retrouva légalement fils adoptif de ce vieillard un peu fourbe, et par là même, mari de sa propre sœur... La guerre passant par là, ce père détestable et détesté parvint à faire oublier cet imbroglio douteux. Lorsque la justice le rattrapera, il sera trop tard, il avait le nom, la fortune et... La mère pondeuse.



Mais «le Vaterland est un lieu dangereux» rappelle l'auteur. Aussi n'y pénètre-il que prudemment (surtout lorsqu'il s'agit, même une fois adulte, de s'opposer à l'Ogre). Et encore : juste pour contrer ses attaques.



Haine. Haine jusqu'au bout. Du père qui ne cesse d'assassiner le fils, de son enfance jusqu'aux derniers instants. Du fils qui veut vivre son "ich" avec lucidité qui ne le peut sans peine, qui s'avoue tout de même avoir aimé ce père, même si en le tenant à distance. Terribles et douloureux constats, d'une lutte sans repos ni merci (que la mort physique de ce père, peut-être), mais dans laquelle «ich n'ai pas cédé» dans ce «combat sans parole».



On sort de cette lutte un peu exsangue - Ô! pas forcément de suite. Il faut y revenir de multiples fois pour bien saisir l'énormité de ce récit à l'étrange et sombre poésie -. On se prend parfois à douter que tout est bien consommé, consumé de ce qui devait être. On songe que la lutte est toujours incertaine, toujours sur le métier remettre l'ouvrage. On comprend, sourdement, ce besoin de répondre à la tentative d'assassinat symbolique du père par un genre d'assassinat mémoriel. Même si ni l'un ni l'autre n'aboutit vraiment, sinon alors, pourquoi l'écrire ?



Un livre fort, troublant que cette longue narration s'établissant sur deux plans, parallèles tout autant que liés : les extraits de contes joints à l'écriture de Paul de Brancion. Déroutant aussi, surtout après la lecture de l'admirable essai biographique - qui fut une des très belles découvertes de l'an passé - consacrée à un astronome danois méconnu chez nous et intitulée "Le château des étoiles : Etrange histoire de Tycho Brahé, astronome et grand seigneur", rédigée dans un style notoirement élégant mais d'un contenu tant éloigné de ce texte-ci. L'exploration de l'oeuvre de cet auteur ne fait donc que commencer !



Il ne reste plus qu'à remercier Babelio ainsi que les intelligentes éditions Bruno Doucet pour ce livre reçu à l'occasion de la Masse Critique de ce joli mois de Mai 2017. Grâce leur en soit rendue car il me faut désormais acquérir au plus vite l'ouvrage qui fait pendant à celui-ci, intitulé Ma mor est morte, consacré à sa mère, comme il semble aisément concevable, et publié chez le même éditeur.



A suivre...
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Le château des étoiles : Etrange histoire de Ty..

Je referme ce livre à l'instant et j'avoue être embarrassée. Pour moi, Tycho Brahé était un astronome de génie, qui , même si son système pour décrire les mouvements célestes était erroné, avait fait énormément progresser la science. Dans mon inconscient, j'avais imaginé un homme "parfait" ayant mené une vie de rêve, dans les plus belles cours d'Europe de l'époque. En vrai, on est loin des paillettes et des strass. Sa vie a été rude, solitaire malgré la présence de sa femme et de ses 13 enfants, avec peu place pour la joie et le bonheur. A croire qu'il faisait tout pour les éviter. Tout cela m'a un peu perturbé dans ma lecture.

Cela étant dit, j'ai appris de nombreuses choses sur Tycho Brahé et cela m'a donné envie d'en apprendre un peu plus sur les recherches de l'époque.

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Le château des étoiles : Etrange histoire de Ty..

PLUS PRES DES ETOILES !



Certains ouvrages, une fois refermés, vous laissent un goût de trop peu, dans la bouche et à l'âme, tel est le cas de ce "Le château des étoiles : Étrange histoire de Tycho Brahé, astronome et grand seigneur", livre impeccable et fulgurant s'il en fut.



Tycho Brahé... Soyons honnête : malgré une assez bonne connaissance des pays scandinaves, quelques pas effectués jadis au Danemark, le souvenir très lointain d'une sonde, d'un télescope ou autre satellite à son nom, un intérêt réel bien que très amateur pour l'astronomie, il fallu se rendre à l'évidence, je ne savais pas grand chose de cet homme-là.



Voici ce que nous en dit, en très résumé, le premier dictionnaire croisé sur mon chemin : Tycho Brahe (en danois : Tyge Ottesen Brahe), dit Le noble Danois ou L’homme au nez d’or (14 décembre 1546 — 24 octobre 1601), est un astronome danois originaire de Scanie danoise, région historique du Danemark qui fait maintenant partie de la Suède. Il est connu pour avoir établi un catalogue d’étoiles précis pour son époque, ainsi que pour avoir produit un modèle d’univers cherchant à combiner le système géocentrique de Ptolémée et héliocentrique de Nicolas Copernic.

Tycho Brahe a pu mener ses travaux en astronomie grâce à l’octroi d’un domaine sur l’île de Ven [Vaine dans le roman] où il fit construire un observatoire astronomique qu’il appela Uranienborg et une pension annuelle accordés par le roi Frédéric II de Danemark.

De 1600 jusqu’à sa mort survenue en 1601, il fut assisté par Johannes Kepler, qui allait plus tard utiliser ses données astronomiques pour développer ses propres théories sur l’astronomie et formuler les trois lois du mouvement des planètes dites lois de Kepler.



Permettons-nous d'ajouter qu'il dut sa célébrité naissante à la première observation tant méticuleuse que documentée de ce qu'il appellera une "Stella nova", que nous dénommons aujourd'hui une supernova. Et ce n'est pas un détail vain puisque cette observation remis, scientifiquement, en cause la théorie aristotélicienne jusqu'à cette époque indétrônable du caractère immuable de l'univers.



Voila pour la vie, en bref, de notre célèbre astronome. Cependant, tout le génie de Paul de Brancion ne se situe bien évidemment pas dans le rapport fastidieux de l'existence passée d'un savant, aussi géniale ait-elle pu être. Ce qui fait le charme et la force de ce roman -car c'est bien un roman, avant que d'être une biographie-, c'est que notre auteur n'hésite pas à donner vie à un homme connu, certes, mais aux zones d'ombre suffisamment importante pour se l'approprier, et au caractère assez bien trempé pour en faire un personnage attachant tout autant que pétrit de défauts.



Ainsi, Paul de Brancion entame-t-il son récit à la naissance du treizième fils (chiffre magique s'il en est) de Tycho Brahé et fait dérouler la vie de cet homme probablement génial mais aussi irascible, phallocrate, vigoureusement indépendant -au point de se mettre à dos la plupart de ses soutiens danois à la mort du Roi Frédéric II de Danemark- détestant la cour et ses hypocrisies, s'emportant facilement -ce qui lui aurait valu de perdre son nez au cours d'un duel face à un contradicteur jugé stupide. Après ce jour, il dut porter à vie un faux nez en alliage de métal-. Tour à tour aimant et tyrannique, dédaigneux ou en manque d'attachement, capable des plus sincères amitiés comme des plus vives inimitiés, Tycho est véritablement l'homme d'une époque entremêlant, joyeusement ou dans les pires horreurs, bien des contraires, bien des antagonismes, laissant entrevoir les balbutiements de nos temps actuels, partagée entre magie, alchimie, astrologie et prémices d'une science plus rigoureuse, sérieuse, raisonnable et peut-être raisonneuse, une période de notre histoire tour à tour sauvage et raffinée, passant de période d'une fertilité, d'un bouillonnement de vie aux pires états de dépression et de folie, capable des plus incroyables constructions (tel ce "château des étoiles" que fut Uranienborg, et que l'on peut considérer comme le premier ensemble scientifique astronomique jamais conçu en Europe), ou des plus froides destructions (ce même château, pourtant véritable bijou, fut totalement démantelé dès la mort de son concepteur).

Tycho Brahé, homme de son temps jusqu'au bout, qui pressent -c'est ainsi que l'imagine l'auteur- que, malgré la précision de ses recherches et de ses observations, malgré l'utilisation d'instruments plus précis que jamais (mais avant l'invention des premières lunettes astronomiques), malgré quelques intuitions géniales, il pressent, disais-je, que sa théorie n'est probablement pas juste, que c'est Copernic et ses tenants qui ont raison, mais comme il l'explique lui-même, il veut croire jusqu'au bout à une humanité attachée, ancrée à une terre stable, immobile, éternelle, centre divin d'un univers à jamais fini. Pour l'histoire, la vraie, son ultime assistant, le non moins génial Kepler, se servira abondamment des observations de toute une vie du danois pour établir, définitivement, la véracité de la thèse héliocentrique de Copernic...



Je passe -mais c'est aussi l'un des aspects éminemment bouleversant de ce livre- sur les rapports de Tycho Brahé aux différents membres de sa famille, à commencer par son père adoptif, père tant aimé, qui était aussi son oncle, lequel avait pour ainsi dire kidnappé Tycho à son propre frère (les circonstances exactes de ce fait n'ont jamais vraiment été établies). Je passe rapidement sur les relations étranges et excessivement ambiguës entre notre héros et les femmes, qu'il aima au moins autant qu'il put les ignorer. La force de l'amitié qui le fit voyager à travers une bonne partie de l'Europe centrale. La puissance de travail de cet être aux facettes d'une richesse inouïe. Tout cela, et mille autres éléments, aventures, péripéties font la richesse de ce roman biographique (ou biographie romancée, c'est selon) au style d'une très grande élégance, toujours juste, parfois sensuel, souvent emprunt de poésie, ici et là rude et même brusque, qui ne cède jamais -cela pourra surprendre les habitués du genre- aux ficelles de ce genre romanesque. Qui, pour en terminer, introduit une très belle réflexion sur notre rapport au monde, depuis que la science s'est insinuée dans presque tous les replis de la vie humaine, dans nos pensées, nos actes, notre devenir.



Mais il est temps de s'en retourner nuitamment en nos châteaux intérieurs, tournés patiemment vers les étoiles tant aimées de Monseigneur Tycho Brahé, noble danois, homme libre, fier astronome, astrologue et alchimiste d'un autre temps, si loin, si proche, comme ces cieux qui nous juchent et nous contemplent de leurs fragiles feux.
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L'Ogre du Vaterland

J’ai beaucoup aimé ce recueil que j’ai lu il y a déjà quelques années et que j’ai relu récemment avant de le prêter à une amie. Paul de Brancion évoque avec beaucoup de recul et pourtant une simplicité qui tient presque de la voix de l’enfant, son père tyrannique, parfois avec beaucoup d’humour ce qui m’a rappelé ma lecture de Vipère au poing. La forme poétique rend bien l’émotion d’une telle situation et les cicatrices que peut laisser un tel parent sur son enfant.
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Black out

"Black-out" est une affaire d’entre-deux, de temps suspendu et de mise sur pause. Bref, d’interstices temporels desquels surgit la poésie méditative de ce [...] recueil.
Lien : https://www.liberation.fr/cu..
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L'Ogre du Vaterland

Lecture hypnotique que celle de "l'Ogre du Vaterland"

De courts chapitre, un Ich qui raconte le Vater : un père taiseux, qui ne s'occupe pas des enfants (c'est la partie de la Mère), mais partage gifles et mépris. Ce Léon Jacques apparait comme l'Ogre: immense, il prend de la place , et le narrateur apprend à le haïr.

Même plus vieux, même grabataire, il est là, la parole qui blesse, le lien coupé. Et on dit que Ich lui ressemble: il en a conscience, mais il fait tout pour ne pas être ce père-là pour ses enfants.

Ces courts récits autour de la figure paternelle sont accompagnés d'extrait de conte, comme si l'enfance se racontait d'une autre manière, comme si le narrateur la rendait plus lointaine, d'un autre univers et classait ainsi ce père dans les êtres imaginaires et finalement peu dangereux.

Merci à Babelio et aux Editions Harmonia Mundi pour ce petit livre vite lu et original

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L'Ogre du Vaterland

Etrange opus entre contes, poésie et parricide... Car, pour moi, c'est bien à ce dernier acte que se livre l'auteur en "achevant" le père.Même s'il remplace "je" par "ich" , même s'il cite le Chat botté dévorant l'ogre devenu souris. Il a sûrement fallu qu'il en passe par là pour trouver son équilibre.

Ce sont un peu plus de cent pages qui se lisent très vite, mais qui ne peuvent laisser indifférent.

J'ai retrouvé avec plaisir les extraits de contes classiques ( que je connais bien) et qui sont là pour donner du relief aux griefs murmurés, esquissés, sous entendus, car ce n'est quand même pas rien de "tuer le père", même si celui-ci vous a dès la naissance rejeté jusqu'à souhaiter votre mort !

Je ne regrette pas mon choix- par défaut- de la liste supplémentaire proposée par "masse critique".
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