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EAN : 9782362291555
78 pages
Editions Bruno Doucey (01/06/2017)
3.75/5   4 notes
Résumé :
En 2011, par urgence vitale de s’éloigner d’une mère dévoratrice et de la langue maternelle, Paul de Brancion écrivait en trois langues Ma Mor est morte. Cinq ans plus tard, il revient à cette histoire familiale en s’attachant à la figure haute en couleur de son père. Comme le premier volet de ce diptyque parental, L’Ogre du Vaterland est un texte singulier, inclassable, souvent jubilatoire, où se mêlent deux niveaux de narration : d’un côté, « l’incroyable histoire... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
DOUBLE TENTATIVE D'ASSASSINAT DANS LA RUE OGRE...

Cette douleur enfouie toujours, au plus profond, d'avoir eu un père que l'on n'a pu qu'aimer haïr. Ce mal que l'on traîne, ans après ans, plus que comme un fil à la patte : comme une sorte de prison qui vous enferme à jamais dans ce mal que l'on vous a fait, sans explication possible, sans justification autre que «Léon Jacques [le père] ne m'aimait pas, ne me trouvait ni charmant ni beau. Il m'en voulait de porter son nom, souhaitait qu'ich disparaisse, que cela cesse.»

Ce que cela doit être terrible, pour un fils, de comprendre cela. Terrible au point de camoufler le Je derrière un Ich qui, pour être de commun usage au philologue Paul de Brançion, n'en est pas moins un évitement narcissique fort, désespéré peut-être, une sorte de "je est un autre" rimbaldien s'affranchissant de sa langue, s'évoquant lui-même comme un inconnu dans le refus du père de le reconnaître pour Je.

L'Ogre du Vaterland... Quel nom terrible donné à son propre père. La carte et le territoire en deux mots. La carte, spirituelle, malfaisante, c'est cet homme, digne des personnages les plus noirs, les plus mortifères et ignobles des contes - en l'occurrence, ceux de Charles Perrault, dont les extraits et citations émaillent de leur éclaircissement symbolique, souvent violent, le fil de cette lecture tragique -, le Vaterland (pour les non-germanistes, ce mot se traduit par "la patrie" en français mais, mot pour mot, c'est "la Terre du Père", et l'on pourrait ainsi lui donner comme équivalent, avec une inversion du genre, de "Mère Patrie"), c'est le territoire, cet endroit terrible, infranchissable, inviolable et pourtant lieu parfait d'enfermement avec lequel l'enfant du construire son propre monde, à l'exception de ces quelques trop rares moments de respiration durant lesquels le père était parti pour voyage d'affaire.
Qu'il doit être terrible de haïr à ce point un père et qui vous a haï d'abord et en retour...

Alors, sans expliquer ni justifier, sans pardonner ni absoudre, se conter une histoire : l'histoire de ce père honni, parce que brutal, parce que mal aimant, parce qu'ennemi de la mère aussi, parce qu'oublieux de ses rejetons ; parce que mort au-dedans et imposant sa mort alentour. Explorer le territoire de cet autre, l'histoire de ce père ancien officier de marine (est-ce un hasard : un paquebot allemand, antérieur à la seconde guerre mondiale, fut baptisé "Vaterland". Ce fut par ailleurs un énorme échec commercial. Ainsi que furent, semble-t-il, certaines affaires du père), «plus mussolinien que naziste, plus fachiste que léniniste, malin, habile, retors», et Paul de Brancion de préciser, implacable, «retors jusqu'à la fellation du monde». "Ich" nous dresse le portrait d'un être terrifiant dans sa banalité mauvaise, qui épouse une femme avec laquelle il sera en conflit larvé jusqu'à la fin, qui lui fera enfants sur enfants, sans pourtant aimer la "marmaille", parce qu'on est catholique traditionnel et que Vatican II n'est jamais passé par là.

On découvre aussi des tractations d'un genre qui aurait pu s'avérer épique s'il n'était aussi sordide, entre le futur beau-père et Léon Jacques, le père, dont l'enjeu fut la jeune fille sans beau parti ni atout personnel qu'un nom et une petite fortune. Ainsi, par le biais d'une entourloupe dérisoire, le futur père se retrouva légalement fils adoptif de ce vieillard un peu fourbe, et par là même, mari de sa propre soeur... La guerre passant par là, ce père détestable et détesté parvint à faire oublier cet imbroglio douteux. Lorsque la justice le rattrapera, il sera trop tard, il avait le nom, la fortune et... La mère pondeuse.

Mais «le Vaterland est un lieu dangereux» rappelle l'auteur. Aussi n'y pénètre-il que prudemment (surtout lorsqu'il s'agit, même une fois adulte, de s'opposer à l'Ogre). Et encore : juste pour contrer ses attaques.

Haine. Haine jusqu'au bout. du père qui ne cesse d'assassiner le fils, de son enfance jusqu'aux derniers instants. du fils qui veut vivre son "ich" avec lucidité qui ne le peut sans peine, qui s'avoue tout de même avoir aimé ce père, même si en le tenant à distance. Terribles et douloureux constats, d'une lutte sans repos ni merci (que la mort physique de ce père, peut-être), mais dans laquelle «ich n'ai pas cédé» dans ce «combat sans parole».

On sort de cette lutte un peu exsangue - Ô! pas forcément de suite. Il faut y revenir de multiples fois pour bien saisir l'énormité de ce récit à l'étrange et sombre poésie -. On se prend parfois à douter que tout est bien consommé, consumé de ce qui devait être. On songe que la lutte est toujours incertaine, toujours sur le métier remettre l'ouvrage. On comprend, sourdement, ce besoin de répondre à la tentative d'assassinat symbolique du père par un genre d'assassinat mémoriel. Même si ni l'un ni l'autre n'aboutit vraiment, sinon alors, pourquoi l'écrire ?

Un livre fort, troublant que cette longue narration s'établissant sur deux plans, parallèles tout autant que liés : les extraits de contes joints à l'écriture de Paul de Brancion. Déroutant aussi, surtout après la lecture de l'admirable essai biographique - qui fut une des très belles découvertes de l'an passé - consacrée à un astronome danois méconnu chez nous et intitulée "Le château des étoiles : Etrange histoire de Tycho Brahé, astronome et grand seigneur", rédigée dans un style notoirement élégant mais d'un contenu tant éloigné de ce texte-ci. L'exploration de l'oeuvre de cet auteur ne fait donc que commencer !

Il ne reste plus qu'à remercier Babelio ainsi que les intelligentes éditions Bruno Doucet pour ce livre reçu à l'occasion de la Masse Critique de ce joli mois de Mai 2017. Grâce leur en soit rendue car il me faut désormais acquérir au plus vite l'ouvrage qui fait pendant à celui-ci, intitulé Ma mor est morte, consacré à sa mère, comme il semble aisément concevable, et publié chez le même éditeur.

A suivre...
Commenter  J’apprécie          2011
Lecture hypnotique que celle de "l'Ogre du Vaterland"
De courts chapitre, un Ich qui raconte le Vater : un père taiseux, qui ne s'occupe pas des enfants (c'est la partie de la Mère), mais partage gifles et mépris. Ce Léon Jacques apparait comme l'Ogre: immense, il prend de la place , et le narrateur apprend à le haïr.
Même plus vieux, même grabataire, il est là, la parole qui blesse, le lien coupé. Et on dit que Ich lui ressemble: il en a conscience, mais il fait tout pour ne pas être ce père-là pour ses enfants.
Ces courts récits autour de la figure paternelle sont accompagnés d'extrait de conte, comme si l'enfance se racontait d'une autre manière, comme si le narrateur la rendait plus lointaine, d'un autre univers et classait ainsi ce père dans les êtres imaginaires et finalement peu dangereux.
Merci à Babelio et aux Editions Harmonia Mundi pour ce petit livre vite lu et original
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Etrange opus entre contes, poésie et parricide... Car, pour moi, c'est bien à ce dernier acte que se livre l'auteur en "achevant" le père.Même s'il remplace "je" par "ich" , même s'il cite le Chat botté dévorant l'ogre devenu souris. Il a sûrement fallu qu'il en passe par là pour trouver son équilibre.
Ce sont un peu plus de cent pages qui se lisent très vite, mais qui ne peuvent laisser indifférent.
J'ai retrouvé avec plaisir les extraits de contes classiques ( que je connais bien) et qui sont là pour donner du relief aux griefs murmurés, esquissés, sous entendus, car ce n'est quand même pas rien de "tuer le père", même si celui-ci vous a dès la naissance rejeté jusqu'à souhaiter votre mort !
Je ne regrette pas mon choix- par défaut- de la liste supplémentaire proposée par "masse critique".
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J'ai beaucoup aimé ce recueil que j'ai lu il y a déjà quelques années et que j'ai relu récemment avant de le prêter à une amie. Paul de Brancion évoque avec beaucoup de recul et pourtant une simplicité qui tient presque de la voix de l'enfant, son père tyrannique, parfois avec beaucoup d'humour ce qui m'a rappelé ma lecture de Vipère au poing. La forme poétique rend bien l'émotion d'une telle situation et les cicatrices que peut laisser un tel parent sur son enfant.
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Nous avançons très lentement en procession parmi les arbres. Ich ne sais pas où nous allons. Ich reconnais en Léon Jacques cette sécheresse qui claque dans certaine paroles blessantes. Ich ne veux pas la transmettre. Ich ne veux pas la déposer aux pieds de mes enfants. Ils doivent rester indemnes de cette brutalité. Ich ne veux pas qu'ils aient à souffrir des vilenies de Léon Jacques. Telle ou telle grimaces, gestes de virulence, projets malsonnants, avidité, cupidité, cette façon qu'il avait de congédier, imposer une distance sans appel. Surdité à la difficulté d'exister des autres, ses enfants, ceux dont il avait la garde.
Désolidarise-toi de Léon Jacques. Laisse-le dériver comme un mort sans attache. Que les courants l'emportent, le submergent.
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Elle disait de lui qu'il était un pessimiste méridional.

Qu'est-ce qu'un pessimiste méridional ? C'est un triste qui ne l'est pas totalement à cause du soleil. Quelque chose comme ça. En tout cas, c'est quelqu'un «d'oxymorique». Léon Jacques portait en lui une part funéraire, sa proximité instinctive avec la mort ne le constituait pas de prime abord comme un rigolo plein de verve. Il n'était d'ailleurs oas dans soçn intention de s'amuser.

Trop d'onction pour cela.
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Tous les deux, ils ressemblaient à Babar et Céleste.
Ils en avaient la corpulence mais pas la gentillesse.

Ils formaient une paire capable de torsions mais s'entendaient malgré tout à nous étouffer le cœur. Lorsqu'ils étaient ensemble, la machine à aliéner fonctionnait parfaitement bien.
Sans doute cela a-t-il cimenté leur couple.
Solidaires jusque dans les désagréments,
tenaient leur rôle.
Ne s'opposant jamais l'un à l'autre devant les enfants. Quelque chose de faux pourtant s'élevait de la triste lumière de la maison de cette enfance-là.



«Car cet Ogre ne laissa pas d'être fort bon mari, quoi qu'il mangea les petits enfants.»
Le Petit Poucet.
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Ne pas s'étendre sur ces sujets sordides,
où le vieux pachyderme éructe des contre-vérités
et manipule
pour assassiner symboliquement le fils de sa femme-sœur,
fils du grand absent lui-même.

Roi des Aulnes indigne et père de surcroît.
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Alors il eut des vertiges, des maux de ventre. Il prenait du charbon dans le buffet de la salle à manger et sa langue devenait anthracite. Ich adorais cela, il devenait plus humain avec cette langue voilée de crêpe, portant deuil de tous les procès perdus.

Grâce soit rendue au ministre de l'Industrie d'alors et à ses polytechniciens butés. Grâce à eux, Léon Jacques avait enfin un corps morcelé.
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Vidéo de Paul de Brancion
Festival Voix Vives 2020 Musique a capriccio : Paul de Brancion Images et montage : Thibault Grasset - ITC Production #Poésie #VoixVives #PaulDeBrancion
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