Londres avance inexorablement, elle avale toutes les autres villes qu’elle trouve sur son passage, dévore ses habitants qui se retrouvent projeter dans ses Entrailles et continue son chemin, inlassablement, traversant des océans de boues à perte de vue. Elle a un objectif : la Barrière de Batmunkh Gompa et ses villes sédentaires.
De son côté, Tom Natsworthy, est un jeune apprenti historien désireux de faire ses preuves. Alors quand une intruse s’introduit à bord pour tuer Taddeus Valentine, un homme qu’il admire par dessus tout, il s’élance à sa poursuite. Oui mais voilà. Hester Shaw n’est pas une jeune femme comme les autres, une cicatrice immonde lui défigure le visage et la voilà prête à sauter dans le vide ordure. Projetés tous les deux dans cette terre boueuse et désolée, seuls contre des villes affamées, nos jeunes héros vont devoir affronter bien pire que des mécaniques : la nature humaine.
Mon avis
Mécaniques fatales est un premier tome qui prend ses marques dans un monde post-apocalyptique à la Mad Max où la nature n’est plus que boue et poussière. La Terre, détruite il y a plusieurs siècles par des armes nucléaires, a forcé les villes à se déplacer. Devenues locomopoles, elles sont régies par le darwinisme municipal. Les plus petites sont mangées par les plus grosses et tout ce qu’elles contiennent est recyclé. Une loi qui semble dépasser le stricte cadre de la machinerie et des rouages des cités pour se projeter aussi dans les normes humaines, les plus forts réduisant en esclavage les plus faibles. Son univers, marqué par une bonne dose de steampunk est ce qui le rend extrêmement intéressant. Ça, et le fait que, dès les premières pages, on soit entraîné dans une espèce de page turner haletant à travers l’occident.
Les pages défilent à une vitesse incroyable et on est directement mis « dans le bain » avec la course-poursuite dans la cité entre Hester et Tom. Ce sont des personnages dont l’évolution est très travaillée, à coup de confiance renouvelée ou trahie, de mensonges ou de vérités. Ils changent, grandissent et apprennent beaucoup de choses l’un de l’autre. Là où le personnage de Tom est assez naïf, malgré la mort prématurée de ses parents, il a toujours eu tout ce qu’il voulait, il entrevoit un monde fait de dangers, d’explorations et de morts. Le sang lui colle à la peau, la crasse le rend poisseux, et tout le vernis londonien fond comme neige au soleil dans la boue de la Terre. Hester, elle, est plus combattante, ses parents ont été assassinés sous ses yeux, et une coup de sabre lui a massacré le visage. Son enfance a commencé dans le sang, puis au contact d’une machine incapable d’éprouver des émotions avec un maître mot dans la bouche : vengeance. D’une nature revêche et indépendante elle devra se faire à la présence de Tom mais aussi réapprendre à s’écouter.
Outre ces deux personnages on en croise aussi beaucoup d’autres qui symbolisent presque tous un point particulier de leur personnalité ce que j’ai trouvé parfois un peu dommage mais qui n’est pas dérangeant dans la lecture. Les femmes y ont une place très importante, puisque chaque personnage féminin a un rôle capital dans l’intrigue : Hester Shaw, bien sûr, mais aussi sa mère, Pandora, qui a découvert une technologie Pré-Tech à la puissance inégalée, Katherine, la fille de Taddeus Valentine, qui fera tout pour déjouer les monstruosités prévues par Londres et son maire, Fleur du Vent, Fang, dont les dents rouges ne dévoilent rien de ses secrets, appartenant à la Ligue Anti-Mouvement et étant une grande combattante, etc., etc. Des personnages forts au caractère bien trempé que j’ai grandement appréciés.
Pour autant, Mécaniques fatales n’est pas exempt de défaut. Pour un premier tome, j’ai parfois trouvé qu’il manquait de profondeur. On suit énormément de péripéties différentes, les actions vont bon train et on ne voit guère les pages défiler, mais on manque parfois de réalisme dans les réactions des personnages à cause de ce manque de retenu, d’analyse, et d’introspection. La plume manque également d’un peu de finesse et de souplesse, on reste dans quelque chose d’assez basique malgré les nombreux clins d’œil et références à d’autres œuvres littéraire et cinématographiques. Sans parler forcément de poésie (parce que tout le monde sait que j’adore les plumes poétiques), il me manquait un je ne sais quoi de plus tangible, de plus épique pour me la rendre addictive.
Ce premier tome pose également énormément de questions, interrogeant son lecteur sur l’immobilisme, la sédentarisation, l’esclavage, mais aussi la politique, les technologies de destruction massive, la nature, la vengeance…et bien sûr, l’ultime interrogation, qui a tort : celui qui fait de mauvaises choses pour de bonnes raisons, ou celui qui fait de bonnes choses pour de mauvaises raisons ?
Identifié comme « jeunesse » par Gallimard, Mortal Engines est toutefois relativement violent autant dans ses propos que dans ses actions, notamment la seconde partie du roman qui étale allègrement une bonne dose de cadavres enchaînant les batailles mortelles et les accidents malheureux. A ne pas mettre entre toutes les mains mais plutôt dès 14 ans selon moi 🙂
En résumé
Mécaniques Fatales est un premier tome à l’univers extrêmement développé et passionnant. Des locomopoles et leurs rouages à Port-Céleste et leurs dirigeables, Philip Reeve nous entraîne dans un territoire hostile et dangereux où les villes sont aussi affamées que les hommes et où nos deux héros vont devoir apprendre à démêler le vrai du faux pour réussir à sauver leur peau. Servi par une plume assez classique, le roman n’en est pas moins explosif et repose l’éternelle question du mouvement ou de l’immobilisme.
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