La clairière est magique. On y voit des lumières changeantes, on y entend d'étranges bruissements, des frôlements, des souffles évoquant des arpèges de la flûte de Pan, on y espère des rencontres peu communes. Pour l'artiste, le poète, le musicien, c'est un théâtre. La qualité du décor et le microclimat créent un biotope parfaitement adapté aux apparitions mythiques. Le vivant de la clairière n'a cure du rationnel. Avec un peu de chance, on y trouve licorne et lys martagon, chèvre-pied et chèvrefeuille, sabot-de-Vénus et Diane chasseresse, fontaine et nymphes au bain, ce qu'il faut de chair fraîche pour occuper le matin d'un centaure ou l'après-midi d'un faune. Scènes étonnantes, ô combien fugitives... Il suffit d'un coup de vent pour que disparaisse tout ce beau monde. Rien n'est plus fragile qu'un soleil de clairière.
Il y a trois ailleurs : celui de l'espace géographique, celui du temps et celui de l'imaginaire. Les romanciers et les poètes voyagent librement dans ces trois univers qui parfois se rejoignent.
Du bon usage des paysages : en profiter au gré des élans du cœurs, ne pas chercher à se les approprier. Il est dans la nature des choses que les grands espaces appartiennent à ceux qui les traversent. Y planter sa tente est légitime, s'y tailler un domaine serait arrogant. Les hauts lieux déserts où nous ne faisons que passer s'inscrivirent durablement dans nos mémoires. Nous les faisons nôtres, à notre façon, sans contrainte et sans attache.
Le désert est ainsi, témoignant à sa manière de la beauté du monde, portant la trace de civilisations retombant en poussières, un paysage immuable balayé par l'éphémère où la mémoire du séjour des hommes s'efface avec une infinie lenteur, ce désert où l'on retourne encore et toujours, dont on croit avoir démasqué les mirages, déjoué les pièges, dont on a réussi à percer d'humbles mystères et qui, pourtant, demeure insaisissable, un lieu d'exception, celui de la magnificence et de l'effroi, le grand espace énigmatique.
C'est d'abord une interrogation, un désir tenace d'en savoir plus, de découvrir la singularité d'un morceau de montagne aperçu un jour dans l'échancrure d'une brèche, ou deviné très en amont des gorges d'une vallée sauvage. C'est parfois le choc d'une simple photo, sans doute un peu flatteuse, sommet majestueux, lac d'outremer, cirque glaciaire d'un massif inconnu.
Il faut alors se pencher sur la carte, la prendre en main, scruter attentivement les évidences et les secrets du terrain convoité; carte précise, évocatrice, généreusement légendée, carte sachant pourtant préserver ses mystères, tels ces chemins à continuité aléatoire et ces détails linéaires non identifiés... Négligeant ces chausse-trappes, évitant d'instinct les vallées sans âme et les sommets sans attrait, on explore donc le nouveau territoire à travers le gris moucheté des éboulis, l'ocre des rochers, le blanc-bleu des glaciers. Poussé par la curiosité, on se plaît à suivre des tracés de plus en plus fins, à franchir le pointillé des passages délicats, à évaluer les altitudes et les dénivelées, à jauger les difficultés de l'escalade, là où les courbes de niveau disparaissent, laissant soupçonner d'affreuses déclivités.
La pensée se faufile dans ce désert minéral, l'idée fait son chemin, l'aventure a déjà commencé.
Peuples dignes, courageux, répartissant de façon moins injuste qu'en d'autres régions les droits et les devoirs de l'homme et de la femme.
La foule est de plus en plus dense. On est, malgré soi, saisi par l'animation, le bruit et les odeurs, la rumeur des bêtes parquées dans les enclos, chameaux entravés, ânes, chèvres et moutons, leur remugle auquel se mêlent les senteurs fortes des brochettes grillant sur les feux de braise, le parfum des brouets épicés et des galettes de riz arrosées de sauce piquante.
Au carrefour central du marché, le va-et-vient est permanent : femmes portant ballots et calebasses sur la tête, portefaix, mendiants, va-nu-pieds, forbans, adolescents agiles, marabouts portant la toge romaine, vieillards chenus, nomades de fière allure, beautés impériales.
Sahara, terre de découvertes et d'interrogations. Sahara insaisissable.
Marche à l'estime, exercice à éviter dans l'herbe haute et les pentes boisées, exercice de haute volée dans l'herbe rase, la neige et le rocher. Marche attentive, divagation maîtrisée, privilège des horizons dégagés. Marche solitaire, parfois, avec la précieuse compagnie du sac et des bâtons. Marche légère sur la pelouse alpine, sol élastique, fleurs à foison, petites joies des rencontres ludiques, chardons baromètres, ronds de sorcière, oreillers des lapons, champignons fumigènes. Montée ingrate et monotone dans les gradins de mottes herbeuses, dans les rampes de gravillons se redressant sous les moraines.
Trouver le meilleur cap, éviter les pentes les plus raides. Ne pas perdre d'altitude. Rester groupés dans les passages délicats, ne pas glisser, ni trébucher.
Marche sur terrain nu, faite de visées successives d'un repère à l'autre, ces discrètes balises que l'on choisit soi-même, monticule caillouteux, bloc erratique, semblant de trace à l'aplomb d'une muraille, plaque de neige accrochée tout là-bas, juste au-dessous du col.
Au-delà, c'est encore l'inconnu, un autre paysage, un terrain différent que l'on découvrira bientôt, un autre mouvement qui prendra la couleur d'un andante, peut-être d'un allegro, selon les dispositions du corps et l'humeur du moment.