Citations de Radu Bata (155)
l’état de ma nation
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dans mon pays d’élection
mon travail est
de dissiper
les nuages
qui s’amassent
sur ton front
de provoquer les sourires
qui donnent à tes yeux
cet éclat espiègle
qui efface les frontières
et renforce l’amitié
entre les peuples
la géographie
de mon pays d’élection
suit les contours de tes lèvres
voilà pourquoi
aujourd’hui
je lui demande
l’asile politique
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starea națiunii mele
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în țara visurilor
întreaga mea responsabilitate
este să alung norii
ce ți se adună
pe frunte
și să-ți eliberez surâsul
care dă ochilor tăi
acele scântei jucăușe
ce dizolvă frontierele
și întăresc prietenia
între popoare
geografia țării
visurilor mele
are conturul
buzelor tale
iată de ce
azi
îi cer
azil politic
(p. 19)
aphrodite est un fruit
de mer
tu as beau être
un océan
si tu n'as pas une île
à tenir dans les bras
les pissenlits-régnants
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(le gouvernail
comme épouvantail)
je me demande
de quelles plantes sont faits les hommes
pleins de certitudes
certains décident
sans ciller
même pour les autres
quand
comment
combien
moi je n’ai que
les certitudes
du doute
et je ramasse
les épines des hésitations
de la tige des aubes
avant de savoir
si le jour qui se lève
arrivera
rien n'est dû au hasard
même le hasard
n'en fait pas
qu'à sa tête
le karma reste une affaire
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non négociable
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j’ai passé un accord
avec monsieur chronos :
je tire la langue de ses horloges
et il me met en stand-by
j’ai un contrat
avec l’oiseau-lyre :
j’efface les barreaux de sa cage
et il me donne le la
j’ai même un arrangement
avec dieu :
je ne réécris plus ses versets
et il bénit mes délires
je t’ai proposé un transplant
mon amour :
mon cœur
en échange du tien
mais le sang des ombres
n’est pas compatible
et maintenant
mes nuages orphelins
sont dépliés dans l’armoire
et sentent bon
les phéromones
(p. 127)
nous sommes tous
une fourmi
traversant
-insouciante-
le tranchant
de la hache
(p. 129, poème de Petre Stoica)
L'amour c'est le soleil qui pleut
Entre éclairs et sauve-qui-peut
Sentiments hésitants
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refrains gondolés
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(un rondeau et une rondelle feraient un beau duo
s’ils pouvaient jouer ensemble)
La vie est un accordéon qui a du mal à trouver un orchestre.
À emballer les caisses.
À s’accorder.
À nous mener en bateau.
Nous sommes tous de la famille des vents, sensibles au passage de l’air.
Il y en a qui ont des hanches libres excitées par les soufflets des partenaires, il y en a qui ont le clavier ankylosé par tant d’injustices, il y en a qui ont une languette de bois, il y en a qui - comme moi - ne sont pas sur la même fréquence.
Difficile alors d’avoir une bonne touche.
Tout le monde ne peut pas sentir le vernis et jouer Wagner sur le bout des doigts.
Parfois, la survie n’est qu’une question de soupape dont nous sommes les instruments. Instruments involontaires et pourtant amoureux, nous avons le paradoxe dans le sang.
La musique intérieure nous dépasse, elle n’est pas à notre portée.
Affranchie, elle donne le la pour l’au-delà.
pétrichor
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(les goldokaps ont trouvé l’astuce pour nous pomper l’air
mais n’ont pas encore fait main basse sur nos songes)
aujourd’hui la pluie a tenu
une conférence de presse
il y en eu pour tous les goûts :
des rafales au rabais
des tonnerres de contrebande
des éclairs à la vanille
et l’on a pu compter des gouttes chinoises
des nuages de grêle
et des chars de gouttière
bref tout un badaboum
pour la galerie
(on n'avait accrédité que des putois)
où seulement l’eau manquait
ou alors elle était distribuée
au compte-goutte
par économie sans doute
depuis qu’il y a de l’eau
dans le gaz russe
même qu’il va faudra cet hiver
nous serrer la ceinture
boire de l’air à crédit
respirer moins
et gagner du froid
comme au temps de Ceaușescu
pour que les huiles
aient de quoi nous faire peur
et voyager en jet privé
quant à la flotte qui guérit
et la joie qui inonde
ta chute de reins
mon amour
est plus vertigineuse
que les chutes de Niagara
et l’odeur de ta pluie
m’envoie express
au paradis
ode à la joie
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quand elle ouvrait la porte
comme l’orée d’un bonheur
le soleil se levait
sans regarder l’heure
quand elle ouvrait la bouche
dans une moue de désir
les mots tus faisaient taire
les phrases de l’univers
quand elle ouvrait les jambes
une nuée de rouges-gorges
qui sentaient bon les champs
s’envolaient dans mon sang
quand elle fermait les yeux
criant de tout son corps
les anges chantaient la vie
louant la petite mort
…………………………..........
on renaît dans une ombre
effaçant tout son sort
un seul souvenir demeure :
l’amour n’a jamais tort
la faille san andreas
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(surveille-toi toi-même)
de plus en plus
d’agences de sécurité
et d’appareils sophistiqués
pour protéger surtout
les mauvaises consciences
et les grandes fortunes
mais aussi les commerces
les banques les personnalités
les sociétés les résidences
les produits industriels etc.
et parfois même
des biens quotidiens
mais
on n’a pas encore créé
l’agence de sécurité
ou l’appareil sophistiqué
qui nous protège
de nous-mêmes
eh bien
cette faille semble être
notre dernière chance
d’échapper aux mabouls
qui conduisent la planète
comme une tamponneuse
dans une foire
sans un regard pour l’horizon
sans un regard pour les étoiles
qui brillent encore
dans les yeux
de la mer
des oiseaux qui volent dans ta tête
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(the only way out)
ce que tu vois à travers une fenêtre inexistante
est bien plus profond que la réalité immédiate :
c’est ainsi que tu peux trouver des réponses
à des questions qui n’ont pas encore été formulées
c’est ainsi que tu peux t’arrêter un peu
pour que l’avenir te rattrape
c’est ainsi que tu peux revenir
au premier amour
avec l’esprit bien mûr
c’est ainsi que tu peux chasser les mauvaises langues
des horloges de malheur
c’est ainsi que tu peux te retirer dans un oiseau
qui te ressemble
ce que tu vois à travers une fenêtre inexistante
n’est que ton for intérieur
à la puissance 14
à l’instar d’une prison comptant ses jours
avant la libération
avec des myriapodes unijambistes
des désirs dans chaque pore
des regrets
comme des fleurs tissées dans le tapis
et des rêves
toujours sur la grève
morale :
de ta vie
tu ne peux t’évader
qu’à travers
une fenêtre inexistante
(traduit du roumain par Gabrielle Danoux)
avant que la fin du monde
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ne vous embrase
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sur la bouche
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(portrait d'une fille qui nous ressemble)
l'humanité est comme un moineau fou
qui mange des feuilles d'absinthe
pour réparer
sa glycémie
un remède salutaire
comme une compresse
de camomille
sur un cœur blessé
de toute façon
à partir d’un certain âge
les merveilles sont délavées
les mirages plus réfléchis
les bonheurs bien plus jaunes
et la vie est un petit être
prêt à se faire un
changement de sexe
on n'y peut rien
sauf renverser la table
de multiplication
pour sauver les lettres
de l'alphabet biographique
et pousser les comptes
du progrès global
dans la fosse d'orchestre
car il est grand temps
de cocufier la réalité pathétique
qui insulte les sens
cette réalité qui quantifie le songe
et légifère le vent
au bénéfice des calories
fabriquées à la chaîne
sur l’échelle de Darwin
nobody’s fool
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(la pluie lave plus blanc
que la maison blanche)
les gens me prennent
pour un fou
parce que je parle
avec les ombres
mais les ombres
sont plus vraies
que les gens
qu’elles représentent
elles me comprennent
mieux
et ne veulent pas me mener
en bateau
elles me ressemblent
comme deux gouttes de pluie
pendant que les gens
sont du vent d’autan
les gens – le sentiment
de troupe
les ombres – l’immunité
de groupe
pourtant ces gens
si souvent décevants
font tourner l'œil du temps
comme une roue de paon
saturn pas rond
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(ces volatiles qui se prennent pour la cuisse de jupiter)
quelle mouche a piqué l’humanité
pour confier les clés de sa maison
à des volatiles orwelliens ?
des volatiles dont les connexions neuronales
sont configurées comme les billets de cinq cents ?
des volatiles qui ne cessent d’accumuler
au détriment des autres
jusqu’à ce qu’ils arrivent tout en haut de l’échelle
de la basse-cour royale
jusqu’à ce qu’ils soient confondus avec le tas d’ordures
sur lequel ils sont assis
des volatiles qui se couvrent de plumes
pour justifier
l’injustice
des volatiles qui ne jouent qu’aux millionnaires
parce que les autres sont rien
des volatiles qui n’écoutent pas les hommes
piégés comme ils sont par les refrains de leur ego
et par la musique des pièces
de collection
qu'ils picorent dans leurs bunkers
des volatiles qui veulent faire du chiffre
sur le dos de la terre
au risque de la foutre en l’air
i’m a looser baby
et je m’en porte bien
l’argent plombe toujours les gagnants
les anges ne sourient qu’aux perdants
l'enfance prend toujours un coup de vieux
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entre les interstices de la mémoire
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(les hommes feraient l’amour en guirlandes
s’ils savaient conter fleurette)
des fantômes nous accompagnent partout
– même dans le futur –
et nous n’en sommes pas conscients
car pris entre les frontières des minutes
comme entre les jambes d’un amour toxique
nous ne regardons plus derrière nous
vers ceux qui nous ont modelés
en douceur
ces fantômes attendent un petit signe
pour voler à notre secours
et quand ils s'introduisent dans nos rêves
ils ne veulent plus s'en aller
tels des amis qui ne quittent plus
l'album photo des jours heureux
de peur que la joie d'autrefois
ne se dilue dans l’oubli
il suffit que nous mettions un regard
sur eux
et ils s'animent
comme si une statue
leur faisait l'amour
comme si le temps crucifié
par ses aiguilles
prenait la poudre d’escampette
mais le monde est prisonnier
d'étranges mécanismes
de vie personnelle
et il n’a plus d’yeux pour
les mendiants d'affection
les anges gardiens déchus
les êtres chers disparus
entre hier et demain
Je trottine sur le trottoir, devant la colossale bâtisse, en essayant de ramasser mes esprits. J'évite de penser à qui vous savez, de peur de me retrouver devant lui sans être vraiment préparée. Parce que je suis encore sous l'effet de ma nouvelle découverte : le Palais Universel, c'est du solide, de l'airain probablement, et si j'ai pu le constater, c'est que dans ce monde du futur, le toucher marche !
(p. 42)
la greffe cardiaque
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de dracula
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au pays des vampires
il est naturel
de se faire vampiriser
à tout moment
on en a l’habitude
on connaît les suceurs par cœur
on les reconnaît même déguisés
en angelots
alors quand on voyage dans d’autres contrées
nos globules rouges sont tellement affûtées
qu’elles sentent le danger
sur 239 mille kilomètres carrés
elles reconnaissent ces malfaisants
même dissimulés en sociétés humanitaires
elles savent qu’ils ne sont jamais loin de la croix rouge
des dons et des collectes
ou bien des écrans plasma du pouvoir
pour combler leur soif
se faire des transfusions de masse
et voyager dans les vaisseaux de notre corps
quand bon leur semble
les copycats de dracula recourent à toutes les astuces
ils se constituent par exemple dans un parti sans idéologie
et légifèrent à droite et à gauche selon leurs flux veineux
pour justifier leurs immenses fortunes d’hémoglobine
garder leurs prérogatives sanguines
et couper la carotide à toute contestation
s’ils peuvent le faire
c’est que l’état est en phase terminale
mais dans une vraie démocratie
les vampires se font
du mauvais sang
elle a traversé le continent en douceur
comme un gendarme le jardin
pour échouer dans mon lit comme un dauphin
avec sa ronde pudeur
on n'a partagé qu'efforts avertis
pour bâillonner la solitude
mots d'esprit et humeurs travesties
par similitude.