Ma vie arrive à ce terme beaucoup moins par les épreuves qui m'ont atteinte moi seule, que par le malheur qui s'est abattu sur l'humanité toute entière, parce que la justice est en deuil, que les affligés ne sont pas, ne peuvent pas être consolés, que les persécutés ne sont pas secourus, que la vérité de Dieu n'est pas dite, et parce que tout à coup le monde est devenu si petit, si étroit pour l'esprit, par l'uniformité du mensonge qui y règne et presque seul fait entendre sa voix.
Pâque juive
Mais la fête plus impressionnante était celle de Pâques. Aux premières vêpres avait lieu le repas liturgique. la table était mise avec beaucoup de recherche, on sortait ce qu'on avait de plus beau. Une nappe éblouissante, des flambeaux d'argent l'éclairaient. mon grand-père paternel présidait le repas, assis sur le plus haut siège, exhaussé par des coussins. La nuit tombait, on goûtait aux herbes amères, les prières commençaient. Toute pénétrée du mystère de cette Pâque j'étais chargée de poser en hébreu les questions auxquelles mon grand-père répondait par le déroulement du récit biblique et l'explication des rites de la nuit pascale. C'était un long discours, en hébreu aussi, mais dont on nous avait expliqué le sens auparavant, en même temps qu'on ne faisait apprendre ma partie dans le dramatique dialogue.
Tous les cœurs étaient étreints par la grandeur des promesses et des faveurs divines, par la pathétique histoire de tant de siècles de souffrances qui n'avaient pas éteint l'espoir. Je ressentais obscurément cette immensité de douloureux mystères sans me rendre compte, naturellement, de leur signification et de leur contenu. Alors arrivait le point culminant de cette nuit sacrée: le passage de l'Ange. On remplissait toutes les coupes d'un vin rouge, doux et fort, dont je n'ai jamais retrouvé la saveur comme liturgique en aucun autre vin même de France. A la coupe la plus grande, remplie de ce beau vin, devait goûter l'Ange de Dieu. qui cette nuit là visitait la maison des Juifs. On éteignait toutes les lumières et dans le silence lourd d'adoration et de crainte on laissait à l'Ange le temps de passer. Puis, les flambeaux rallumés, on terminait rapidement le souper, et et chacun allait à son repos conscient d'avoir participé à une grande action.p27/30
J’appris de cette manière ce que l’acquisition d’un peu d’argent peut coûter de forces, ce que le manque d’un peu d’argent peut représenter de souffrances (page 36).
Nos entretiens devinrent de plus en plus rares par ma faute, et cessèrent bientôt complètement. Je les regretterai beaucoup par la suite. Cet homme bon, généreux, loyal, méritait une entière confiance ; par maladresse je mettais fin à une précieuse amitié, mais j’étais trop jeune pour penser alors à tout cela, et j’agissais avec les gestes brusques et maladroits de ceux qui n’ont encore que peu d'expérience humaine (pages 66-67).
Je me présentai à l’examen avec une dispense d'âge, et mon professeur, tout enflammé de mon succès, me fit une déclaration -la première que je recevais- et me demanda en mariage. J’en fus surprise et bouleversée, et je refusai la main de mon professeur. Le sentiment d’une grande responsabilité me pénétra et je me sentis tout à coup dépossédée de la longue sécurité de mon enfance (page 38).
Transfiguration
Extrait 2
Quand j'aurai surmonté la joie et la détresse
Quand j'aurai survolé les sentiers des désirs
Et que j'aurai choisi le chemin le plus dur
Comme le ciel nocturne illimité et pur
Dans l'équilibre sans défaut de tous ses astres
Sera mon cœur dans l'équilibre de la grâce
Moi je t'aurai gardé — amour
…
Transfiguration
Extrait 1
Quand je t'aurai vaincue ô ma vie ô ma mort
Quand je t'aurai vaincu — amour
Et serai conformée à l'amour éternel
Comme un oiseau battant de l'aile
Dénouant dans son vol les attaches terrestres
Quand je t'aurai défait dur attrait du bonheur
Et que j'aurai conquis ma liberté céleste
…
Si vous saviez la douceur que Dieu donne, et le goût délicieux du Saint-Esprit !