Rana Soleimani

Ainsi, le combat des femmes en Iran possède une profondeur historique. [événements de 1911]
Je suis persuadée que ces trois cents militantes méconnues, aussi bien en Iran qu'ici, continuent de vivre dans l'inconscient collectif. Elles ont laissé en héritage le courage et l'audace qui caractérisent les Iraniennes d'aujourd'hui.
(P. 94)

Ils ont un proverbe à Téhéran : « Quand
les femmes prennent part à une émeute, contre un cabinet du gouvernement, il faut prendre la situation au sérieux. »
(P. 95)

Le dilemme de Judas est propre au christianisme. Le musulman chiite expédie ses doutes à coups de sabre de ses certitudes.
(P. 69)

Des êtres aux existences ambiguës, que seuls les mots pouvaient faire émerger, seule l'écriture pouvait libérer de l'obscurité. Aida Moradi Ahani

Je ne suis pas de ceux qui transforment la souffrance en une expérience grandiose. Il n'y a rien de grandiose dans la blessure ou la contrainte, excepté un grain de lumière qui éclaire des parties ignorées de nous même. Aida Moradi Ahani

A ce moment-là, une voiture s'arrêta. Une femme passa la tête par la fenêtre côté passager.
- Tu viens d'être relâchée ?
Azar ne reconnaissait pas cette femme, mais elle était sûre que c'était une prisonnière. Elle le voyait à son visage. Hagard, pâle. Et cet épuisement. Cet épuisement immémorial, comme si l'âme avait été mâchée puis recrachée à l'intérieur.
(P. 84)

Devant les supérieurs, tu devais te tenir immobile et muette. Ce silence constituait le secret de ta survie face à tous types de responsables: familiaux, éducatifs, politiques, religieux.
Tous souhaitaient ton bien, excepté, fallait-il s'en convaincre, toi-même et ton démon. Il s'agissait là des principes d'une génération conservatrice et frustrée, dont la plus grande vague de protestation prendrait quelques années plus tard la forme d'une manifestation dite «du silence ».
(P. 64)

Je suis terrifiée quand elle sort comme ça. Au début, je me souciais de ce qu'allaient dire les voisins. Certains obéissent aux ordres du régime et pourraient la dénoncer. Mais elle est d'avis qu'il faut avoir du courage, qu'il faut se battre pour obtenir des changements. "Si toi et moi nous sortons telles que nous sommes, on encouragera les plus peureux à en faire autant." Mehri dit qu'on l'applaudit quand elle se promène, tête nue, dans les rues. Les voitures klaxonnent et s'arrêtent pour la laisser passer. Les gens lui sourient chaleureusement, il y en a même qui l'approchent pour la féliciter.
Elle me taquine parce que je voile mes cheveux dans notre quartier et ne les libère que quand je suis loin de chez nous. Quel soulagement à ce moment-là ! Ceux qui n'ont pas vécu quarante-quatre ans de hijab obligatoire ne peuvent pas comprendre. Mon rêve s'est réalisé le jour où je me suis retrouvée avec mes amis dans un café. Nous avions bu un verre, tête nue.
Parfois, je m'en veux de ma lâcheté. Si les mères étaient aussi courageuses que leurs filles et les soutenaient mieux, les criminels auraient plus de réticence à les attaquer, les frapper, les kidnapper, les violer et les tuer. Notre présence leur inspirerait la honte. Mais nous restons à la maison, et nous laissons nos enfants courir les quartiers à risques, dans l'espoir que leurs actions amélioreront nos vies.
(P. 53)

Je me demande où sont passés les petits délices de notre jeunesse : visiter un pays lointain ; déguster une glace délicieuse à la brasserie Chattanooga en compagnie de Parto et éclater de rire; assister à la projection du film britannique Un goût de miel au cinéma Empire avec Safoura et fondre en larmes; acquérir la cassette de La Flûte enchantée de Mozart au magasin Beethoven et se mettre spontanément à danser; assister en jupe bariolée à un spectacle au Petit Théâtre de Téhéran... Comment compenser la perte de nos petits plaisirs dans les rues ? Ces rues arpentées avant la révolution par des jeunes gens dont, adolescentes, nous rêvions de prendre la place.
Comment contempler à nouveau l'envol de l'oiseau de ces doux printemps ?
(P. 46)

Je voudrais tout comprendre, être libre et rentrer tard à la maison, mais je crains mon père. Lui, il craint tout : la liberté, la vie, la féminité. "N'oublie pas ! Ne traîne pas dans la rue ! On a affaire à une bande de sauvages. Si tu es arrêtée, tu vas en prison et tu seras violée!" me sermonne-t-il chaque matin.
Le viol est sa plus grande terreur; être née fille, ma plus grande erreur. Quant à la liberté, c'est la chasse gardée des hommes. Mais me voilà habillée en garçon et, sous le prétexte de la pièce de Tchekhov, dehors jusque tard. Je me leurre de la sorte.
(P. 45)

Un conflit entre les Tchouboukov et les Lomov à propos d'un lopin de terre qui met fin à la demande en mariage de la pauvre Natalia... Oui, les filles finissent toujours par être les victimes.
(P. 43)

Des mois plus tard, Azar découvtirait que les gardiens jouaient à ce jeu-là avec les prisonniers. Ils disaient aux détenus qu'ils allaient être relâchés, ils informaient même leur famille, et puis ils ne les relâchaient pas. La liberté était une blague qui, entre leurs mains, pouvait mal tourner.
( p. 83)