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Critiques de Richard Hoggart (2)
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La culture du pauvre

La culture du pauvre de Richard Hoggart est un pilier de la littérature sociologique, qui devrait faire partie des lectures fondamentales des esprits ambitieux de comprendre notre époque.



C'est une déclaration qui peut sembler hasardeuse étant donné l'année de publication et les thématiques travaillées. Je vais donc essayer de soutenir cette affirmation.



La culture du pauvre est une implacable critique du jugement, en ce que le jugement est inlassablement autocentré, socio-centré, ethno-centré, ... Vous m'avez compris. Par critique du jugement, j'entends quelque chose de très précis. Il est de bon ton, au sein du climat libéral et multiculturel des métropoles occidentales, de se réclamer de l'ouverture d'esprit, de l'ouverture à l'autre, de l'ouverture à l'inconnu - tout en oubliant que l'épreuve de l'inconnu provoque, en première instance, inconfort, incompréhension et anxiété. En réalité, le jugement normatif outrageux n'est jamais loin. Dans la culture du pauvre, Hoggart nous offre une profonde ethnographie des différents aspects de la vie des classes populaires anglaises de la première moitié du 20e siècle. Par la même, de sa propre confession et de celle de Passeron qui en a rédigé la préface, Hoggart administre une claque majestueuse aux intellectuels, qu'ils soient sociologues, journalistes ou petits intellectuels des villes, qui s'aventureraient à émettre des jugements sérieux sur les comportements des membres d'autres groupes sociaux, et en particulier sur les classes populaires, éternelles victimes des petites ignominies paternalistes et de la dépossession culturelle.



"Protestation élevée, au nom de l'objectivité, contre les poncifs aristocratiques ou populistes qui s'interposent entre les classes populaires et ses observateurs, nécessairement intellectuels ou bourgeois".



D'une certaine façon, Les enseignements de La culture du pauvre peuvent aller jusqu'à remettre sur le devant de la scène l'importance capitale de l'initiation, du processus d'apprentissage, patient et humble, lors de l'appréhension culturelle.
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33 Newport Street - Autobiographie d'un int..

Reconstruire un puzzle à partir de pièces apparemment disparates





Je n’aurai probablement pas lu de la même façon ou la même chose dans les années 90. Aujourd’hui je suis séduit par la partie la plus intime de ce livre, « qu’on ne peut lire sans entendre une voix qui vous parle » comme l’écrit justement Claude Grigon. Je ne vais donc pas proposer ici une lecture détaillée. Juste, après quelques remarques d’ordre critique, puis une promenade entre les pages et parmi certains points faisant écho à des souvenirs ou des préoccupations plus actuelles…



113494_couverture_Hres_0Dans sa présentation Claude Grigon, indique « Hoggart prête une attention constante, minutieuse, et rare à tout ce qui est extérieur à ses ego successifs, à ce qui lui préexiste, à ce qui l’entoure, à ce qui lui arrive et à ce qui l’attend ». Il parle, entre autres, des modèles, des normes, des standards et des ajustements et des prises de distance successives, des effets de la domination, des réflexes d’auto-dévaluation, des sentiments de honte ou d’indignité culturelle…



« Je », la production du « moi », l’acceptable, la revendication de « son origine populaire sans la fétichiser », le système de contraintes « locales », le voisinage et le quartier « à la fois ce qui soutient et ce qui enferme », les privations « qui ne coïncident ps avec les manques », l’école, les apprentissages intellectuels…



Je ne suivrais pas le présentateur ni dans sa curieuse « défense de l’universel », dans une méchante polémique sur « le point de vue situé » qui ne saurait être « un fétichisme des racines », ni sur la soit-disant « école post-méritocratique ».



Je reste dubitatif sur la notion de « culture populaire » même avec la précision indiquée « il n’est pas de culture populaire, si fermée, si repliée sur elle-même et si protégée soit-elle, qui ne soit investie et habitée par la relation qui l’oppose à la classe et à la culture dominante ». Cette vision, trop « sociologique » ne me semble pas prendre suffisamment en compte l’ensemble des rapports sociaux et leurs effets y compris dans les domaines culturels. S’il s’agit bien aussi d’un livre d’apprentissage, sur les apprentissages intellectuels, je me garderai d’utiliser le terme « apprentissage d’intellectuel » catégorie bien vague…



Enfin un mot sur un choix de traduction de « working class » par « classes populaires », me semble gommer un rapport social central dans la société, le travail et son exploitation…



En absence de connaissances sur la situation socio-économique ou scolaire en Angleterre durant les périodes concernées, je ne saurais établir de parallèle avec des « plausibles » par exemple en France…



Certes il s’agit ici d’une autobiographie. Les apports « sociologiques » ne sont pas du même ordre que dans une analyse des rapports sociaux. Je remarque cependant une certaine particularisation qui ne peut rendre compte des complexités et des contradictions. Lorsque Richard Hoggart aborde les relations entre les femmes et les hommes ou les enfants-hommes, il tend à naturaliser des attitudes et des pratiques de « femmes » (voir sur ce sujet : Sous la direction de Danielle Chabaud-Rychter, Virginie Descoutures, Anne-Marie Devreux, Eleni Varikas : Sous les sciences sociales, le genre. Relectures critiques de Max Weber à Bruno Latour).



Enfin, si je me suis déjà interrogé sur le « apprentissage d’intellectuel », je signale que la quatrième de couverture parle du « portrait de l’intellectuel d’élite standard » qui me laisse perplexe, comme par ailleurs l’usage répété par Richard Hoggart, des mots « intelligence » ou « enfant intelligent »…



Tout cela n’enlève rien aux qualités propres de l’ouvrage, à cette autobiographie située. Comme déjà indiqué, je me contente ici d’une promenade, sans revenir nécessairement sur les points soulignés dans la présentation de Claude Grignon…



La force simple d’une phrase « Ma tante Annie est en train de mourir à l’hôpital St. James », le « ma » et « mourir », une rétrospective, prendre en compte l’actualité du passé…



Les mots pour dire, décrire, analyser, faire ressentir, « Les mots nous tourmentent parce que la vie nous tourmente, et nous tourmentons le langage pour apaiser le tourment de la vie ; d’où se recours habituel à l’évasion linguistique ». Les mots de l’odeur, une « exhalaison composite », l’odeur de l’hôpital, « Mais l’odeur continue à vous ramener en arrière, instantanément, une odeur d’encaustique institutionnel, de cuisine institutionnelle, de désinfectant, de draps, d’antiseptique, de bassins hygiéniques, de crachats dans les mouchoirs, avec une touche d’urine, l’odeur omniprésence de confiné que la maladie continuelle, individuelle ou collective, crée continuellement », l’ordre chronologique et l’ordre des mort-e-s, le respect du modèle « âge-sexe de la mort »…



Les voitures à bras, le crottin de cheval et le chiffonnier. Je me souviens de voitures de brasseurs tirées par des chevaux…



« La gloire de ce grenier, l’honneur de la maison, était la baignoire, la seule baignoire à eau courante et froide de la rue et par conséquent l’une des très rares du coin ». La baignoire et ses rituels. Ou à l’inverse, aller chercher l’eau, la faire réchauffer sur le poêle à charbon, le lavage au lavabo… hier pour beaucoup d’entre-nous, aujourd’hui encore… L’auteur parle de « classe ouvrière respectable ».



L’histoire, la mémoire, « décousue, confuse et vite perdue ». A voir. Au XIXe siècle, au cœur des villes françaises, une autre mémoire, lire par exemple, Michèle Riot-Sarcey : Le procès de la liberté.Une histoire souterraine du XIXe siècle en France.Mais de manière plus générale, les conflictualités sociales ne donnent lieu à aucun commentaire. Mais delà à négliger leur existence…



Le savoir « comme libération de la personne », le poids de la naissance paysanne, du fil non rompu avec un certain attachement au rythmes propres de la vie rurale. Dois-je préciser que pour celles et ceux né-e-s et grandi-e-s en ville, la rupture et ses effets seront décisifs.



La famille, l’enracinement familial, l’« immensément enfamilialisée ». Je m’interroge sur cette réalité ou plutôt sur ces réalités, ces familles et ces autres organisations qui devaient exister. Les rôles de femme et d’homme, la division sexuelle du travail (terme que n’utilise pas l’auteur), la (dé)mesure de l’amour et sa naturalisation. L’auteur parle de ressources biologiques et d’instinct…



La prononciation, le poids des accents, ces parlers que l’on dit particulier, comment ne pas penser à Audrey Hedburn dans My Fair Lady, les manières, le correctement habillé… L’école, pas encore « massifiée » mais assurément l’évasion possible…



Le fléau de l’alcool, les disputes, « l’ambiance lourde, sombre et sans espérance », les devises imprimées dans la mémoire, la nécessaire imagination pour comprendre, le changement du sentiment et de la trame du quotidien…



Les présent-e-s, les absent-e-s, Leeds, « pour moi quatre Leeds », les lignes de communication et de division, le quartier juif, les traces dans les hommes, « celui d’hommes à la jambe de bois ou au bras artificiel en acier », la Grève Générale de 1926, la relégation « dans un coin oublié d’une des plus grandes cités de l’un des continents les plus riche de la terre », les conditions « mêmes de nos vies », celles et ceux qui parlent de vous en votre présence « à la troisième personne », les allocations de l’Assistance publique, des écrivain-e-s contribuant à façonner et le présent et la mémoire, le bonheur plus difficilement localisable que le malheur…



L’auteur parle d’absence d’attentes, « cette absence d’attentes a été l’histoire de leurs vies et de leurs croyances ». S’il convient d’historiciser les « attentes », l’absence de celles-ci, ici, me laisse très dubitatif…



L’enfouissement dans la mémoire, la crainte d’être sans travail sans argent, les Woolworth, la grand-mère, les tantes, les croyances sur « la gent féminine », le vélo et les possibles circulations, « par dessus tout, être libre de décider soi-même où aller et quant y aller, aussi bien du plaisir clair et simple de pédaler… », les odeurs dont celles des désodorisants de WC, « Le mélange de ce parfum avec l’odeur d’une défécation était plus déplaisant que l’odeur de merde elle-même ; il évoquait une végétation fétide et puante concoctée dans un laboratoire louche, ou une plante exotique vénéneuse et artificielle », le feu de charbon, chez soi et « chez » les autres, « Nous avions rarement l’occasion de voir l’intérieur des maisons des autres ; ça ne se faisait pas », les paiements par versements hebdomadaires…



La rareté de la viande et sa réservation à l’homme, l’odeur reconnaissable de la fête foraine, « les odeurs, les bruits et les lumières », les clubs à dominante masculine, la virginité des femmes, les veuves âgées tout en noir, « Il n’est pas facile de s’évader de cette ceinture minière et c’était un endroit dur »…



Je souligne le très bel « Interlude » : Ledds, vue générale. La dépendance historique de la ville envers la laine, les industries de l’habillement, les pratiquants réguliers et puritains, les salles de lecture, les manières de parler, les pubs et les chapelles, « l’aversion envers les petits fonctionnaires », la police, « Les flics ne chient pas des roses », l’immobilité écrasée et l’absence d’attentes (j’ai déjà exprimé mon sentiment sur ce sujet), un énorme « gaspillage de talents », l’antisémitisme, les folklores, la sexualité des hommes…



L’écolier, la couleur de la rue et la couleur de l’école, l’absence du sens de la camaraderie, l’intériorisation des habitudes, les vantardises sexuelles, le « tirer un coup » qui en dit plus sur la mâle socialisation que la sexualité partagée, la compétence verbale, l’absence ou la présence de curiosité intellectuelle, les cicatrices de la « cruauté banale », les normes admises et les déterminismes sociaux, avoir l’air minable, le lycéen, le faible nombre de boursiers, le nombre encore plus réduit de filles, les droits de scolarité, l’intense processus de sélection, les histoires d’expériences sexuelles masculines, les professeurs, l’investigation intellectuelle, la bibliothèque comme second foyer, la littérature, « Je ressentais pour la première fois, puissamment et consciemment, le choc grisant que l’on éprouve lorsqu’on se rend compte qu’on peut et qu’on doit contester les étiquettes mondaines, non seulement dans la vie ordinaire mais aussi dans la vie intellectuelle, ne pas prendre les mots à leur valeur faciale ; et qu’en conséquence on peut résister au fait d’être mis soi-même dans une case, et étiqueté », le baccalauréat, l’étudiant et les rares étudiantes, la poésie, la puissance des œuvres, les « petits bâtons dans les roues de nos bicyclettes mentales », la mémoire sondée, les classes sociales, le fer rouge sur la langue, Venise…



Gouter le récit, en comprendre les portées et la musique et interroger ces arrangements sociaux perçus, masquant ou révélant plus ou moins la complexité des situations. Une lecture personnelle. Un livre passionnant.
Lien : https://entreleslignesentrel..
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