Citations de Richard Rognet (137)
Le ciel pose à peine sur les arbres dépouillés
L’air d’un léger rose effleure les nuages
Où parfois une percée de bleu survient
Comme le souvenir d’une tendresse jusque là oubliée
On se dit que l’hiver n’est pas aussi cruel qu’on le pense
Qu’un soupçon de douceur niche encore dans les branches
Et que les oiseaux reviendront bientôt
Avec leurs chants de délivrance.
Et l’on se repli en soi
Sans peur
Sans secousses
Avec la chaleur d’un sang neuf
La vibration d’une feuille dorée qui n’a pas rejoint le sol
Et le chuchotement des ombres invisibles
Que laisse le temps qui passe
Sur les ombres à jamais passées.
Tu m’as reçu comme le jour reçoit
les premières rumeurs de l’aube,
tu m’as dit que derrière le soleil
des poèmes prenaient racine,
Tu m’as parlé d’oiseaux perdus,
de fleurs inapaisées,
tu m’as dit qu’une source
jouait dans les replis de ta mémoire
et je t’ai cru,
je t’ai suivi
sous la neige qui venait de tomber
sur le jardin muet,
je me suis serré contre toi,
sans crainte,
sans efforts,
avec le souvenir d’étreintes passées
qui m’avaient tant charmé,
je suis entré en toi,
tu m’as reçu comme la nuit
reçoit le frisson des étoiles,
comme le silence appelle le silence
jusqu’aux frontières de l’échange,
comme tout se résout dans ce qui nous attend.
Que m'emporte le printemps!
qu'il m' entraîne ! Je ne veux être
que son souffle et la légèreté
de ce qu'il dissimule
sous ses offrandes et ses promesses.
Je viens de déchirer
un mot, pour voir
ce qu'il avait dans
le ventre, je viens
de me faire grand
mal, j'ai entendu
les cris de la défaite
de ses frères, parce qu'il
faut bien admettre
que ce mot anéanti
entraîne avec sa mort
toute ma vie passée.
Qui me dira,
Avec la rosée qui clignote dans le matin humide
Qui me dira
Où se trouve l’entrée de la lumière ?
Qui ?
Je sais qu’on ne revient pas aux sourires qu’on n’a pas su cueillir,
De même qu’on n’oublie pas le couteau sous la gorge,
L’insoumission qui nous donna la force des pierres,
Le claquement de la solitude après les portes sourdement refermées,
Je sais que je ressemble à une langue morte
(...)
C'est un ruisseau qui chante,
dans les bras bleus du crépuscule.
Regarde où l'automne pose ses pas sur les
feuilles humides, et les oiseaux, regarde
où ils s'assemblent pour que le jour se
colore et reçoive du ciel une sincère
offrande. Tu es seul, chez toi, mais tu sens
que la vie a les accents de l'amour lorsque,
par la fenêtre de ta cuisine, tu aperçois,
dans son jardin, une femme courbée sur des
fleurs un peu lasses. Les brumes, au loin,
se défont. Un chien aboie. Le monde devient
lisible. N'oublie pas cette femme penchée
sur ses fleurs, et n'oublie pas non plus
cette mélancolie qui donne au temps qui
passe la douceur d'une étreinte imprévue.
Ah! l'amour comme une main
qui éclôt sur la mienne,
comme le choc ardent d'une étreinte absolue
et comme ce martèlement du sang
qui libère des feux
jusqu'au fond des ténèbres.
Le muguet rougit
Le muguet rougit — le
sang tire à soi
les blancs, nous
sommes suspendus
au-dessus du chagrin,
désarticulés, gauches,
paroles défleuries,
mémoire au rebut,
nous bourlinguons
dans nos noirceurs,
nos bouches s’unissent,
ténèbres — traversée
des étoiles mortes.
///de nouveau : joyeux muguet à toutes et tous.
La beauté des étoiles dépend de l'oeil
qui les regarde, comme l'amour
dépend des caresses données.
Paisible, oui, paisible, tu n'es plus menacé
par le sombre silence qui se dressait devant
toi durant tes nuits trop blanches, tu retrouves
l'innocence du souffle et le calme du sang
qui nomme à nouveau ton corps, tu sais que
l'aube sera heureuse et qu'en ouvrant tes volets
les sommets lumineux guideront tes regards,
tu tiens bon, tu renais, tu arraches les voiles
étouffants des peurs bleues, tu recomposes ton
présent, tu es le messager de ta propre existence,
tu viens à ta rencontre dans le jour qui palpite,
tu serres de près les lueurs en équilibre sur
les arbres et tu te dis que si la roue tourne
impitoyablement, tu es vivant quand même, vivant.
Appelle
dans la nuit, appelle les étoiles
vigoureuses. Qu'elles bourdonnent
comme un feu, dans les paroles
souterraines qui parcourent ton corps.
Dérive heureuse — tu
t'étonnes qu'un voyageur
détaille tes secondes
passées à vivre,
il prend son temps,
le voyageur, il
connaît tes impasses,
tes chemins de traverse,
il dit que ta vie est là,
dans les petites plaies,
les rires furtifs, les
plis à peine aperçus —
heureuse dérive, lueur
de qui se voit près de soi.
Fenêtre, me dit-elle, distance,
puis elle détourne son visage
vers d'autres inconnus,
le printemps lui rend grâces,
un moment la possède,
je la retrouve au loin, azur,
azur, azur indifférent,
je me suis fourvoyé
en l'amour qu'elle me donne,
je suis dans sa maison,
l'autre saison repasse,
je suis ce qu'elle attend,
elle sans moi, cruelle.
Un parfum de lilas remplace
qui nous sommes, et c'est très bien ainsi,
puisque le merle noir qui enfonce
son chant dans les sursauts du temps,
suffit au monde et le prolonge
sans que nous y soyons vraiment
pour quelque chose. Le parfum des lilas,
même s'il semble plus fragile
que nous, c'est lui que le vent
descendu des montagnes
retiendra dans ses profondeurs.
Ai-je un visage devant elle,
devant l'œuvre du vide,
devant l'aube sur sa nuque ?
nos corps s'effritent,
substance des ténèbres,
illusion d'une haleine voleuse
dans le matin discret,
nos regards longent la courbure
d'une œuvre imprononçable,
nos doigts, sans issue,
sans réponse, caressent,
entre le jour et nous,
des songes, des ébauches
dont nous ne savons rien.
Je suis passé chez toi…
Je suis passé chez
toi. Personne. J’ai
embrassé ton absence,
puis griffonné, sur
un papier froissé,
que j’avais cueilli
une primevère, dans
un de tes jardinets,
j’ai noté aussi
qu’un chat blanc
et noir était venu
se blottir contre
mes jambes. Ces
mots, je les ai glissés
sous ta porte — sans
ajouter que je t’aimais.
Matin — immense force
du matin, fourmillement
de l'été, pierre et braise.
Matin sans tendresse,
réfractaire — pas
de bonjour dans le miroir,
poussière sur
les vitres — piège
de l'enfance qui broie
l'aujourd'hui — matin
du piège entre mes os.
Étreins les ultimes
fumées sur les champs,
élève-toi, écoute
l'espace fidèle
aux tombes négligées.
Les reflets journaliers
qui hantent tes yeux
éclairent dans ton sang
les chemins qu'emprunta
ton père — dompteur
aujourd'hui des mirages
où se débat ta parole.
Je maintiens l’identité
Je maintiens l’identité,
mais en la dédaignant,
les majuscules de la nuit
animent une ombre vaine,
ma place avale ma durée,
je m’alourdis d’un ciel
qui sait que sa chute est mon centre.
Comment vont-ils se rencontrer
ceux qui se pressent
en mes paroles ?
Comment faire leur jeu sans dénoncer
l’emplacement que ma naissance a laissé vide ?
Interroger tous les côtés,
faire semblant, remplir mon nom,
rester au bord de l’écriture,
m’obliger à l’amour d’une fausse douceur,
me dire clair, offrir, attribuer,
parler de conséquence
alors que le passé ne se prononce pas.
Rien de ce que je suis ne me fut accordé,
j’étais mis à l’écart dès ma première phrase,
lorsque je veux mourir, c’est un mot qui surgit
et la mort vit sans moi qui la garde en réserve.