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Citations de Rosa Liksom (81)


En 41, Staline s’est trouvé dans la merde. Les nazis étaient à trente kilomètres de la place Rouge et leurs avions de reconnaissance volaient déjà au-dessus de Stalingrad. Dans le pétrin où il était, le généralissime a décidé de libérer définitivement tous les criminels des camps de travail forcé qui jureraient être prêts à monter en première ligne pour défendre la patrie. Et donc, si tu partais pour le front, le passé t’était pardonné et, après la guerre, tu étais un homme libre. Le vieux a gobé l’hameçon et a été libéré, comme des dizaines de milliers d’autres. Tous ces assassins, voleurs et autres bandits ont été entassés dans des wagons de prisonniers et conduits sur le front. … » 122
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Une piquante odeur de kérosène flottait dans le compartiment. Elle montait du verre de vodka plein qui tressautait sur la table au rythme des cahots du train. La jeune femme le repoussa. L'homme suivit son geste du regard.
"Vous, l'étrangère, vous me blessez profondément en ne buvant pas avec moi."
Il croqua dans un cornichon malossol et fixa la jeune femme d'un air mauvais. Elle lui lança un regard noir et détourna les yeux.
"Ma mère me donnait de la vodka chaque fois que j'étais malade. Je me suis habitué à son goût quand j'étais encore bébé. Je ne bois pas parce que je suis malheureux ou parce que je voudrais l'être encore plus, mais parce qu'un serpent, à l'intérieur de moi, le réclame à grands cris."
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« Nous avons cherché du pétrole pendant des mois, loin dans le Nord. Cette fois nous n’en avons pas trouvé.»
[ … ]
Quand on en trouve, on rase le village à la tractopelle et on construit des derricks à la place. On abat les chiens, parce qu’on n’en a plus besoin. On transfère les habitants ailleurs, dans le village voisin, qui peut être à trois cents kilomètres. Il n’y a bien sûr pas de routes. »
[ … ]
« Cette fois, nous avons dû repartir les mains vides. On n’a laissé derrière nous qu’un village dévasté par les quatre-quatre, les tracteurs et les véhicules de transport chenillés. Ses habitants ont eu de la chance, nous pas. Je vais maintenant prendre l’avion pour me reposer à Moscou, j’ai trois mois de vacances. J’irai me promener dans la rue Mir avec des amis désœuvrés, et nous passerons des heures dans des cafés à bavarder avec esprit de choses futiles. …  » 153
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Un heure plus tard, l'homme ouvrit une deuxième bouteille. Puis une troisième, la dernière. Il remplit son verre, mais au lieu de l'écluser cul sec, il n'en but qu'une gorgée. il posa la bouteille vide par terre.
"Je ne te flatte pas pour rien. C'est pourquoi je vous le dis franchement, chère compagne de voyage, vous pourriez me laisser vous baiser au moins une fois. Ce n'est pas ça qui vous userait la chagatte."
Un sourire timide passa sur son visage. La jeune femme se redressa, s'assit au bord de la couchette. Un océan de forêt enneigée s'étendait à l'infini, emplissant tout la paysage. Ses vagues moutonnaient jusqu'à l'horizon, descendaient dans les vallées, épousaient les pentes douces des collines. Entre deux versants serpentait une petite rivière. Une épaisse eau rouge coulait dans ses endroits les plus profonds, là où la glace avait fondu. L'homme jeta à la jeune femme un regard sagace, teinté de fierté.
"Allez, juste un peu..."
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La jeune femme sortit dans la nuit, avec pour seule compagnie, dans la ville silencieuse plongée dans le sommeil, un ciel délavé, sans nuages, où ne brillait aucune étoile. Elle poussa la porte d'un bar à bière d'une ruelle écartée. Une âcre odeur de cigarette lui sauta au visage. Elle hésita un instant, mais entra par curiosité. Sur le sol boueux gisaient deux moujiks ivres morts. La jeune femme commanda une bière, mais n'obtint qu'une chope de bibine violacée, imbuvable. Elle la reposa sur la table et s'en fut.
L'épaisse nuit déserte l'enveloppa. Seul le vent animait l'obscurité dans laquelle s'enfonçait la ville, le vent nocturne, et le murmure de la neige.
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En ce qui me concerne, la guerre n’a duré que cinq ans et à l’époque chaque homme savait où viser, mais notre mariage dure depuis vingt-neuf ans et je suis toujours incapable de deviner d’où va venir l’attaque…
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Chaque fois que je rentre chez moi à Moscou après une longue absence, tout me parait sinistre. Et quand je repars avec mon sac plein de chaussettes reprisées et de sous-vêtements repassés, je me dis que je ne reviendrai jamais plus, que c’est la dernière fois. Je suis toujours revenu. À la maison, je m’ennuie comme un condamné à perpétuité, mais je dis à Katinka que tout va bien. On ne peut pas vivre sans se leurrer soi-même.
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"La Géorgienne, dit-il, a des jambes de girafe et sait si bien se vendre qu'on oublie l'avoir achetée. L'Arménienne est une humble gouine piétinée par l'histoire et une bonne copine qui ne sait pas punir ses enfants. La Tatare n'aime que les Tatars, la Tchétchène est un bon croisement de mère lapine et de trafiquante de drogue, la Daguestanienne est petite, maigre et laide et sent la camphre, et l'orgueilleuse Ukrainienne fomente dans un patois atroce d'éternels complots nationalistes. De quoi rendre tout Russe sourd. Et puis il y a les Baltes. Toutes finies à la pisse. Aucun mystère. Trop pragmatiques. Elles marchent droit devant elles en faisant la gueule, sans un regard de coté."
L'homme pianota sur la table. La jeune femme toussota, excédée, mais il n'accorda pas la moindre attention à cette manifestation d'humeur.
"Je n'ai jamais baisé de Russe qui soit ne serait-ce qu'un instant contente. Et j'ai pourtant fait sauter sur ma bite des milliers de chagattes de tout poil."
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La babouchka avait posé sur la table une jatte de kacha de sarrasin, une soupière de bortch gras et fumant et, devant l'homme, un verre de crème aigre et une belle bouteille de vodka. La jeune femme buvait du thé, la vieille du tchaï, l'homme essuya la transpiration de son front, but une gorgée de crème, rota, satisfait, et se servit de la vodka dans un autre verre.
" Buvons à toutes les femmes du monde. A la sagesse de la vieillesse, à l'intelligence du cœur et à la beauté de la jeunesse, à votre hospitalité, ma petite mère, et aux goujons aux flancs argentés !"
Après avoir bu, il mordit dans du pain noir sur lequel il avait étalé de la moutarde, du sel et du poivre. Il remplit son verre de vodka et se leva.
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J'ai touché mon visage, je ne l'ai pas trouvé. J'ai touché mon corps, mes jambes, mes coudes, je ne sentais rien. Je regardais ma poitrine, je touchais le vide. Je ressentais une angoisse profonde, la peur me prenait de cette solitude, de cet état invisible où seuls les morts savent marcher.
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Je suis d’accord avec Tchekhov : si vous craignez la solitude, ne vous mariez pas !
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Sur le quai, le brouillard glacé leur coupa le souffle, les obligeant à rester un long moment calmes et immobiles. Non loin d'eux, quelques chiens affamés jappaient, tout frétillants. La gare résonnait du brouhaha des hommes au travail et du tumulte des voyageurs, du grincement des locomotives, du fracas des wagons de marchandises, du cliquettement du fer, de jurons, de braillements et du rire irrépressible des vieilles femmes. Au milieu de cette soupe humaine, une babouchka agitant d'énormes moufles vendait un épais jus de pomme stocké dans de grandes bouteilles vertes.
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Et au long de l'obscurité la nuit plaqua une aube rouge à la fenêtre. Une lune jaune balaya l'éclat de la dernière étoile, ouvrant la voie à un soleil de feu. Lentement toute la Sibérie blanchit. L'homme, en pantalon de survêtement bleu et chemise blanche, faisait des pompes entre les deux couchettes, la sueur au front, les yeux mal réveillés, la bouche sèche et malodorante, et dans le compartiment le poisseux relent de sommeil, la fenêtre sans souffle, les verres à thé muets sur la table, les miettes, par terre, réduites au silence. Une nouvelle journée s'ouvrait, avec ses forêts de bouleaux orangés sous le givre, ses pinèdes aux profondeurs peuplées d'animaux, ses tourbières moutonnant sous la neige fraîchement tombée, ses caleçons blancs aux jambes flottantes, ses pénis mous, ses founettes, ses counettes, ses chounettes, ses amples chemises de nuit à fleurs en flanelle, ses chaussettes de laine, ses châles, ses brosses à dents en bataille.
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"Un autre Kolia dont les rêves ne s'étaient pas réalisés avait peint sur une pancarte, en lettres blanches sur fond rouge, la question : Qu'attend l'avenir radieux ? Il est ensuite allé se planter sur la place Rouge avec sa pancarte. Il a dû y rester à peu près trois minutes avant qu'une voiture de la milice vienne l'embarquer. Il a écopé de vingt-cinq ans, la durée du service militaire de nos ancêtres. Et il a été privé de ses droits civiques pour cinq ans. Qu'attend l'avenir radieux ! Même les pigeons de la place Rouge étaient morts de rire."
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Une scène de ménage en pleine nuit, c’est déprimant. Ça vous ôte toute joie de vivre. Hier, sa terrible odeur s’est ruée sur moi dans mon sommeil comme un char d’assaut. Rien que de penser à sa chagatte cramée me donne envie de repeindre les murs de vomi.
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"Ma mère me donnait de la vodka chaque fois que j'étais malade. Je me suis habituée à son goût quand j'étais encore bébé. Je ne bois pas parce que je suis malheureux ou parce que je voudrais l'être encore plus, mais parce qu'un serpent, à l'intérieur de moi, le réclame à grands cris."
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A l'asile, Mitka avait dit que le socialisme tuait le corps et le capitalisme l'âme, mais que, dans ce lieu, le socialisme était aussi dangereux pour le corps que pour l'âme.

(P30)
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Je me consacrais entièrement à mon travail, j'essayais d'être toujours parfait comme mari, amant, père de famille et même la nuit pendant mon sommeil. Un homme ne peut pas vivre comme ça éternellement.
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Au deuxième coup de cloche, elle vit arriver un homme vigoureux, aux oreilles en feuille de chou, vêtu d’une veste matelassée noire comme en portaient les ouvriers et d’une chapka blanche en hermine, ainsi qu’une belle femme brune et un adolescent qui ne la quittait pas d’une semelle. La mère et le fils, après lui avoir dit au revoir, partirent bras dessus, bras dessous vers le bâtiment de la gare. Le regard rivé au sol, l’homme tourna le dos au vent glacé, pinça une Belomorkanal, la porta à ses lèvres, l’alluma et la téta un moment avec avidité, écrasa son mégot sous sa semelle et resta là, debout, à grelotter. Au troisième coup de cloche, il sauta dans le train. La jeune femme le regarda s’éloigner dans le couloir d’un pas chaloupé, priant pour qu’il n’aille pas dans son compartiment. Vain espoir.
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La jeune femme entra dans le hall, au milieu duquel trônait un superbe bouquet de fleurs en papier. L’atmosphère était oblomovienne, il tombait encore de la neige de l’hiver passé.
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