S. A. Cosby

On a tendance à voir la vengeance comme quelque chose de noble, de légitime, mais en vérité, c'est juste de la haine déguisée . ( p 327 )

Hélas, le temps est une rivière qu'on ne peut canaliser,un cours d'eau qui vous emporte tout en vous filant entre les doigts.

Combien d'opportunités a-t-on de prendre la bonne décision avant que le destin juge qu'il vous a donné assez de secondes chances comme ça? Page 266

Après tout, avait -on le droit de regretter autant quelqu’un qu’on avait si mal aimé ?

Beauregard prit place dans sa Duster. Quand il démarra, le moteur poussa un rugissement digne d'une meute de lion. Des vibrations remontèrent de sous le capot jusqu'au volant. Il actionna plusieurs fois la pédale de l'accélérateur, et les lions se transformèrent en dragons.

Derek n’avait rien à voir avec son père. Il faut croire que le mal qui rongeait les racines de l’arbre généalogique des Jenkins ne l’avait pas atteint. Tout petit, déjà, il présentait un potentiel inouï. D’ailleurs, il avait accompli plus en vingt-sept ans de vie que toute la famille Jenkins réunie en une génération. Buddy Lee se mit à trembler et ses doigts laissèrent échapper la photo, qui tournoya lentement jusqu’au sol. Il enfouit alors la tête entre ses mains et attendit que les larmes viennent. Sa gorge était brûlante. Son estomac sens dessus dessous. Ses yeux semblaient sur le point d’exploser. Pourtant, les larmes refusaient de sortir.

Il examina la jeune femme. Ses lèvres tremblantes. Ses yeux qui n’arrêtaient pas de se déplacer de droite à gauche comme deux belettes enfermées dans une cage.

D’ailleurs, Ike considérait ce lieu comme un des derniers bastions où les Noirs n’avaient pas à s’excuser d’être noirs.

Mais la scène à laquelle il venait d’assister lui rappelait qu’il y avait aussi un côté beaucoup moins reluisant. Un côté dont il avait toujours connu l’existence, mais qu’il avait choisi d’ignorer : ces salons étaient souvent des endroits où circulaient les idées réactionnaires et complotistes. Pire, elles s’y trouvaient renforcées par l’effet de groupe. Alors, oui, il y avait parfois des gars comme Lavell pour nager à contre-courant mais, dans la plupart des cas, tout le monde se laissait porter par le flot de bêtise. Ces gens pensaient-ils vraiment que si on avait un fils homosexuel, c’était parce qu’on avait été un mauvais père ? Ike ne se considérait pas comme un grand malin, mais même lui savait que ses nombreux manquements n’avaient rien à voir avec la sexualité d’Isiah.

N’oublie pas qu’il y a six mois, tu aurais ri de bon cœur avec eux, songea-t-il. Mais ça, c’était avant qu’Isiah prenne une balle dans la tête. Avant qu’il se fasse abattre dans la rue comme un chien.

Randy était sans activité. Il touchait une pension d’invalidité à la suite d’un accident de travail qu’Ike le soupçonnait très fortement d’avoir inventé de toutes pièces. Randy aimait bien décorer son jardin avec des drapeaux confédérés et des pancartes ornées de slogans libertariens. Et chaque fois qu’il en avait l’occasion, il pestait contre les immigrants, ces parasites qui vivaient aux crochets de la société. De toute évidence, l’ironie de la situation lui échappait.

« Cette violence est le reflet de tes craintes par rapport à ta propre masculinité, papa. En psychanalyse, on appelle ça la surcompensation. »

– Non. D’une manière générale, on évite d’écrire des trucs qui risqueraient de nous faire tuer. Pour ça, le fait d’être noir et homo suffit largement.

– Ça va, je t’ai dit que j’étais désolé. Je vais pas non plus te raconter que j’ai plein d’amis noirs, parce que c’est pas vrai. J’en connais quelques-uns avec qui je m’entends bien, mais c’est pas eux que j’appellerais si j’avais un cadavre à enterrer. »

Ike lui jeta un rapide coup d’œil avant de reporter son attention sur la route.

« Je suis pas raciste, bredouilla Buddy Lee. Je connais pas beaucoup de Noirs, c’est tout.

– J’ai jamais affirmé que t’étais raciste. T’es juste un péquenaud qu’a jamais eu à se soucier de ce que traversaient ceux qui ont pas la même couleur de peau que toi.

Je sais que c’est compliqué pour toi, en ce moment, mais ce type m’inspire pas confiance. Il a tellement le vice qu’il serait capable de faire les poches du prêtre à son propre enterrement. 

T’oublies jamais rien, de toute façon. La première chose, c’est que je t’aime. J’ai fait un bon paquet de conneries dans ma vie, mais être ton papa, c’est ce qui m’est arrivé de mieux. Quoi que les gens puissent te dire, quoi que ta mère puisse te dire, ne doute jamais de l’amour que j’ai pour toi. »

L’homme avait une bonne poigne. Une poigne de travailleur.

Sa femme avait essayé quelque temps de tenir seule la baraque, mais Alzheimer avait fini par avoir raison de son esprit. Les autorités du comté étaient intervenues le jour où des clients l’avaient surprise en train de préparer des milk-shakes et des burgers nue comme un ver.

Les souvenirs, ça finit par s’effacer, Bug… 

Elle avait raison, il était tout à fait possible que les choses se passent mal. Que ça vire au fiasco. Les gens qui faisaient ce qu’il faisait savaient que c’était une éventualité, mais lui n’y pensait pas. S’il avait survécu si longtemps, c’était parce qu’il avait toujours refusé de s’imaginer derrière des barreaux.

Tu parles comme si on était dans un film, mais c’est la vraie vie, là. C’est ma vie. Et je la risquerai pas pour toi. Alors je vais aller observer cette bijouterie, je vais nous trouver un véhicule et je vais nous procurer des flingues. Si ça te plaît pas, je me barre tout de suite. Parce que j’ai pas l’intention de me retrouver au trou à cause d’un tocard qui a pris peur au pire moment. 

Être derrière le volant, avec les flics dans le rétroviseur, la route devant soi et tous les passagers de la voiture qui regrettent de ne pas avoir mis un pantalon marron. Aucune drogue ne pouvait remplacer ça. Et pourtant, il en avait essayé un certain nombre.