Pour être honnête, il était si fatigué, si perclus de douleur que vivre ou mourir lui importait peu. Les personnes âgées devaient éprouver la même chose avant de tirer le rideau.
Sa sieste terminée, il était l'heure de son petit verre de la soirée qui coïncidait avec le crépuscule déprimant de Wari et le moment où Majordume passait le "dhup" dans toute la maison pour éloigner les moustiques ; un produit à base de fibre de noix de coco qu'on brûlait au charbon et qui dégageait une fumée toxique autant pour les humains que pour les moustiques. En théorie, les humains y résistaient plus longtemps que les moustiques et en sortaient donc victorieux.
Indelbed sentit un poids lui plomber l'estomac, une grosse beigne en béton dans les tripes qui le plia en deux comme une feuille d'origami. Des pensées balayèrent les remparts soigneusement érigés dans sa tête, en firent voler les défenses en éclats, et il se rappela la moindre rebuffade, la moindre dérobade, la moindre petite pique, sans oublier la froideur de la solitude. Son optimisme naturel l'abandonna, laissant derrière lui un vide béant. La main du désespoir se referma sur sa gorge.
1 - Ghazaliya Sud
« On devrait le tuer, fit Kinza, mais sans trop donner dans le classique. »
Silence. Un silence accablant, moqueur, étouffant, omniprésent, rejetant les débris des conversations ébauchées, poussant les trafiquants à lever leurs verres dans la pénombre de l'arrière-salle d'une maison délabrées sans grand-chose à se dire. Il faisait sombre car ils avaient recouvert les fenêtres de feuille d'aluminium. Et éteint les lumières. Dehors, les JAM, l'armée du Mahdi, avaient envahi la 13è rue ; une rareté, puisque la 13è rue de Ghazaliya était une artère de banlieue en cul-de-sac.
« Faudrait qu'il y passe, par principe, ajouta Kinza en sirtotant le Jack Daniels troqué au marine américain Ted Hoffman contre un morceau de crâne d'Ali le chimique. Sans haine. On n'a rien à voir, ce type et moi. Je ne suis qu'un agent du destin, comme le comte de Monte-Christo. »
Dagr, son complice, le laissa dire sans surprise ni inquiétude. Ancien professeur d'économie, sa reconversion professionnelle forcée par la guerre s'était effectuée avec une facilité déconcertante.
Indelbed adorait le biryani, surtout celui qu'on servait aux mariages, cuit dans une grande jarre couverte : les saveurs du riz, de l'agneau et des patates qui mijotaient ensemble sous un feu de bois.
Cela et rien de plus, et il se retrouva dépossédé, le regard dans le vague, doucement envahi par le désarroi, à attendre que la réalité de cette solitude qui lui flagellait l'âme reprenne inexorablement ses droits.
Nous errons tous, perdus sur une même voie, sans caractère divin ni destin particulier, sinon ce que nous faisons de nous-mêmes, notre seule noblesse, celle que l’on affiche. Pauvres créatures à la dérive, des fantômes, en vérité, attendant qu’un vent cosmique nous efface de l’échiquier.
C’est la guerre. On vous tue. Vous nous tuez. Qui ça dérange ? L’important, c’est de le prendre avec le sens de l’humour.
Le temps passant, nous avons vu l’émergence d’un parti conservateur qui s’appuyait sur la Tradition, parfois de manière littérale, et poussait vers un retour à « comme c’était avant », ce qui est amusant car la plupart n’ont probablement aucune idée de comment c’était vraiment et n’aimeraient pas du tout ce passé s’ils devaient y retourner. Dans tous les cas, ce qu’ils expriment réellement est leur vision anti humaine et leur souhait de limiter la croissance de nos cohabitants sur cette planète. Ils ont des points communs avec les isolationnistes, qui veulent éviter le moindre contact avec les humains pour mieux préserver la « djinnitude ». Ces gens-là sont particulièrement consternés par la monnaie des hommes. Ils y voient une dilution de la dignatas. Là encore, comment souhaitent-ils éviter complètement les humains ? ça me dépasse. Autre sous-ensemble du mouvement conservateur, les créationnistes, adeptes des doctrines les plus enragées, mes ennemis jurés. Ils pensent que les djinns ont été créés parfaits, que le monde est un cadeau fait aux djinns et que toute autre forme de vie a été placée là par Dieu pour nous distraire. Ils s’appuient sur un paquet de pseudosciences et des tonnes de diatribes.
1 Point de vue situation détaillé.
Première conviction tenace dans l'existence d'Indelbed :il était pauvre. Une observation peu étonnante en soi, vu qu'il vivait entouré de pauvre dans un pays connu pour sa pauvreté notoire. S'il ne l'avait pas été, on aurait cru à l'aberration statistique.Le problème venait de ce qu'Indelbed devinait certains signes incongrus attachés à la forme de pauvreté particulière à sa famille, des indices infimes mais quasi constant :
A) d'une d'échéance de nature inconnue,
B) d'un désastre calamiteux dont son père aurait été responsable peu auparavant, pour lequel bien des membres de la famille au sens large l'ostracisaient encore. ...