Pour Thomas Dieu est l'éternité sans durée ni commencement ni fin.
Premier moteur sans matière ni cause ni effet, il possède depuis toujours dans sa propre essence immuable et omniprésente la visibilité constante de tout son être.
La conscience de son absolue forme sans forme de l'ubiquité de son univers désincarné dans une apparence holographique privée de sa contingence et de son déterminisme accident.
Aucune localisation autre que métaphysique pour une inertie contemplative et impassible perfection évanescente et impalpable condensée dans sa négation la plus complète.
Une connaissance non raisonnante sur toute une pensée unique élaborée spontanément que par soi.
Aucune dimension ni probabilité pour un acte pur privé de toutes contingences ne fonctionnant que par le hasard et les circonstances.
Contenant sans l'espace et le temps de manière paisible et détaché son infinité non réalisée sans en subir les turbulences ni les opportunités conditionnelles.
Aucun raisonnement dans ce qui perçoit sa totalité non agissante comme une seule information que l'on déploie sans la ressentir dans la diversité de sa récurrence.
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Thomas d’Aquin est très souvent revenu à la question de l’éternité du monde. Fidèle à la thèse selon laquelle, bien que le monde n’est pas de toute éternité, Dieu aurait pu le créer de toute éternité, il est aussi fidèle à son style très médiéval et « dialectique » (exposition des arguments relatifs au sujet traité disponibles, réfutation de ces arguments et exposition des arguments propres). Dans chaque texte portant sur ce sujet, les arguments sont les mêmes : il n’est pas possible que les causes simultanées et essentielles soient en nombre infini mais la succession infinie des causes accidentelles est possible, la volonté divine est éternelle mais choisit le moment où les choses sont les plus disposées, la génération n’est pas la création car Dieu crée le temps lui-même, précéder le monde en nature n’implique pas le précéder en durée, etc. Il ne s’agit pas de remettre en cause le dogme catholique de l’origine du monde, mais de montrer que la question est une question de foi, et que Dieu est suffisamment libre de concevoir un monde éternel si tel était sa volonté. Un texte sans surprises, mais d’une rigueur toute scolastique : car, en effet, loin d’être un ensemble de textes dogmatiques (en dehors des dogmes catholiques), l’œuvre de Saint Thomas d’Aquin constitue une vraie réflexion rationnelle.
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Je dois ici saluer la qualité de l'introduction de B.C.Bazan, car elle est très claire, très bien organisée et très complète. Elle n'hésite pas à prendre position sur certains points, et je ne doute pas que ces positions doivent susciter le débat parmi les spécialistes (par exemple la contradiction qu'il y aurait entre la philosophie naturelle de Thomas d'Aquin et sa théologie), mais c'est selon moi appréciable.
La traduction établie par J-B. Brenet est très claire et rend bien compte de la consistance du texte de Thomas d'Aquin. Je manifeste un intérêt croissant pour le format adopté dans la Somme théologique : les questions constituent pour moi l'un des formats les plus agréables. Il s'agit de procéder en exposant les arguments de la thèse adverse, avant de présenter sa solution et sa réfutation. Le tout est beaucoup plus naturel qu'on ne le pense, "moins scolaire" en somme.
La matière est puissance, la forme est acte et elle est en puissance dans la matière : l'âme, en étant la forme du corps, n'est rien d'autre que l'acte d'un corps. On ne saurait affirmer que l'intellect "pense en moi", puisque c'est moi qui pense et puisque l'intellect n'est pas extérieur au composé dont il constitue l'acte. Le corps devient une condition d'exercice pour la pensée. Penser relève cependant d'un acte qui n'est lui-même pas une partie du corps. Pour qu'il y ait unité du composé humain, il faut que l'intellect (qui n'est pas très bien distingué de l'âme ici) soit une forme du composé. Mais c'est par lui-même qu'il agit (il est "séparé" en ce sens) : penser nécessite le corps, mais l'acte ne relève pas de la puissance matérielle qui se pose, passive. Ce n'est donc pas par hasard si, pour Thomas, l'intellect est directement causé par Dieu. Ici, il faut d'ailleurs rappeler que l'acte suprême, premier, n'est pas la forme, mais l'acte d'être (esse).
L'erreur serait de réduire l'homme à l'âme : l'âme n'est pas l'homme, elle est une partie de l'homme en tant que composé. Toute substance est nécessairement un composé, car toute substance nécessite de l'acte et de la puissance. L'étant, pour Thomas, n'est ni seulement matière, ni seulement forme : ce qui est, ce n'est pas la forme dans la matière, ni la matière, mais le composé. L'âme humaine demeure incorruptible et subsistante, car elle opère par elle-même. Mais l'homme lui-même n'est pas immortel, puisqu'il ne se limite pas à son âme : la mort, pour Thomas, n'a rien d'une "fausse mort".
Thomas critique la thèse d'un intellect unique pour tous les hommes (Averroès). Il admet qu'un principe unique peut produire plusieurs actions selon des formes différentes : celui qui admet cet intellect unique peut donc défendre sa thèse sans nier la multiplicité des opérations intellectuelles que l'on trouve dans la diversité des hommes s'il défend la thèse selon laquelle les fantasmes (images) essentiels à la pensée sont des formes de l'intellect possible. Mais les formes ne sont pas des formes de l'intellect possible, et le fantasme que l'intellect se fait n'est donc pas une forme de ce type : les formes sont abstraites du fantasme, ce qui suppose qu'un même intellect, face à un fantasme donné, ne donne lieu qu'à une seule opération : dans l'abstraction, en effet, il atteindrait une forme unique. S'il n'y avait qu'un intellect, ces formes seraient identiques et la prémisse serait inutile.
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