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Citations de Sait Faik Abasiyanik (20)


Il n'y a d'oliviers que sur le lopin de ce jardinier. Le chemin qui mène au cimetière n'est ni silencieux ni désert : le bruit saccadé d'un petit bateau à moteur qui passe, le gazouillement des oiseaux, le bourdonnement des mouches et des abeilles, la mer qui s'étend sur les cailloux, la fumée qui sort abondamment de la cheminée d'un vaisseau de guerre et qui reste suspendue dans l'air pendant des heures au loin, les fleurs rouges de menthe montée en graine, le jaune brillant des genêts, l'éclat des raves sauvages, des lamiers, des bruyères, des chardons, des lavandes, les cyprès nains, et la petite baie recouverte de morceaux de verre et de porcelaine, de bouchons de bouteilles, et, dans l'eau, des milliers de débris de coupes, d'assiettes, de tasses, de récipients, de flacons pharmaceutiques, des ossements de chevaux, et tout cela rongé et poli sous les flots comme les vestiges d'une civilisation passée. D'où la mer prend-elle tous ces objets pour les amener dans cette baie ? Les abeilles s'introduisent dans les pétales touffus des fleurs, tirent ce qu'elles veulent en quelques secondes et s'en vont sur d'autres fleurs. Un oiseau gazouille sans arrêt. On entend le braiement d'un âne, qui vient de loin, de Kïnalïada (1). Les oliviers ne bougent même pas. Les troncs sont cabossés, noueux et pleins de trous comme s'ils dataient du temps des anciens Grecs.
Le cimetière marin de notre île se trouve ainsi sur la petite falaise qui avance dans cette baie où scintillent des débris de bouteilles, de verres et d'assiettes, dans cette calme et limpide journée de Marmara. Sur le chemin, vous rencontrez des pylônes de haute tension qui, par leurs écriteaux, vous avertissent déjà : " Haute tension. Ne creusez pas. Danger de mort !" Et dix pas plus loin, c'est le cimetière.



(1) Une des quatre îles des Princes, la plus proche d'Istanbul.
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- J'ai vu beaucoup de paysans qui avaient l'air honteux quand ils mangeaient, comme si c'était quelque chose de dégradant. Par contre j'ai rencontré pas mal de beaux messieurs qui avalaient en moins de deux, beaucoup plus rapidement que la mouette, le homard qu'on leur servait dans leur assiette. Evidemment ils le mangeaient avec distinction. Ils ne faisaient pas de bruit, ils remuaient seulement les mâchoires. Mais tu aurais eu peur, si tu avais fait attention à ces mâchoires-là. On aurait dit des machines, pire encore, des moulins.
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Comme on verra toujours des gens atteints de ce mal, il faut croire que tous les antibiotiques du monde sont impuissants. Il est donc fatal que ce terrible virus s'attaque aux êtres humains, dans la proportion d'un sur mille au moins. Mais ne prenez pas à la lettre l'adjectif terrible. Ce mal n'est terrible que pour ceux qui n'en sont pas atteints. Pour ceux qui ont le virus, c'est un mal chéri, un mal qui procure un plaisir infini. Oui, c'est vrai.
Supposez une minute que vous êtes atteint de ce mal. Qu'arrive-t-il ? Vous prenez le tram, l'autobus ou le train que vous désirez, sans rien payer. Vous pouvez faire discours sur discours. Vous pouvez discuter l'ordre du jour. Vous pouvez vous mêler aux débuts des commissions et des comités. Vous pouvez dire bonjour aux ministres. Vous pouvez envoyer des cartes de visite et en recevoir aussi. Bref, si vous vous mettez, pour une minute, dans la peau d'un député, vous goûterez toutes les joies de cette maladie. Vous devez savoir maintenant le nom de ce virus : c'est celui de la députation.
Au fond, c'est un mal psychique. Et de nos jours, le traitement suprême de ce genre de maladie est le traitement de choc. Mais on a vu des cas qui, après vingt échecs, ont résisté au vingt et-unième insuccès aux élections.
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“dans la rue, dans une boutique ,dans un endroit fréquenté, on peut regarder le visage de n’importe qui et bâtir une histoire sur un bout de sa vie.”
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On croit toujours qu'aux pieds des rochers qui forment le col de Geyve s'abritent tantôt des brigands, tantôt des héros, des fantômes, des hommes, des armes, des bombes, bref toute une bande. On doit aussi s'étonner, si on ne rencontre pas de chèvres et de chats sauvages sur leur sommet. Un petit cours d'eau parlait doucement aux héros, aux brigands et aux bêtes sauvages invisibles en ces lieux. C'était déjà l'heure du soir où d'innocentes petites rivières commencent à chanter des hymnes guerriers sous les rochers à poils roux.
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Chaque fois que je découvre une île sur la carte, je sens naître en moi des amitiés, des amours, comme un fourmillement. Il me semble voir immédiatement un chien qui fixe ses yeux dans les miens, un pêcheur vêtu de bure, aux gestes lents et aux mains agiles, qui parle peu, une barque lente et pesante au bois noirci et aux couleurs passées, qui sent fort la toile cirée, un oiseau qui suit la barque, des filets, des poissons, des écailles, des enfants merveilleusement beaux sur le quai, des cabanes honnêtes, du grondin ou du zée bouilli, une odeur de céleri, une marmite noire qui fume, une mer brumeuse aux horizons étroits......
J'ai toujours une carte sur le mur de ma chambre. C'est pour la regarder lorsque je ne crois plus au livre que je lis, la nuit quand il commence à m'ennuyer. Et quand je regarde la carte, j'y repère tout de suite une île minuscule comme un point et j'imagine les vents, les tempêtes, les grondements, les requins, et puis les hommes. Parfois je vois sur la carte des îles aux formes tortueuses sur lesquelles je me penche avec l'intuition d'un vieux sorcier pour en découvrir les secrets, mais ce qui m'attire le plus, ce sont les îles qui n'ont pas de forme et qui figurent comme des points.
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Sait Faik Abasiyanik
La nature est souvent amie de l'homme. Même lorsqu'elle apparaît comme ennemie, elle donne à l'homme des chances d'essayer sa force et sa puissance. C'est comme une mère qui ne gâte pas ses enfants. Elle apprend à l'homme à nager lorsqu'elle fait couler son bateau, à construire une cabane plus solide et plus ingénieuse lorsqu'elle lui fait enlever sa toiture par ses vents.
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“le truc poisseux qu’ils appellent “lutte pour la vie” quelque chose en lui s’y refusait.”
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Je courus au poste de police, et je dénonçai ce vandalisme. Les agents ont, soi-disant, défendu d'y toucher. Mais on continua à arracher secrètement la pelouse, Ahmed bey, l'ingénieur, n'a pas eu de contravention. D'après le règlement municipal, il n'en n'était pas passible, paraît-il.
Alors, on étrangla les oiseaux, on arracha le gazon, et les chemins devinrent tout boueux.
Le monde change, mes amis. Un jour viendra où vous ne verrez plus de taches brunes dans le ciel. Et vous ne verrez plus aussi, sur les deux côtés du chemin, les arbres d'un vert foncé que notre Mère, la Terre, fait pousser. Et ce sera une catastrophe, non pas pour nous, mais pour vous, mes enfants. Nous avons vu beaucoup d'oiseaux et de verdure. Ce sera une catastrophe pour vous, mes enfants.
Je vous le dis !
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Les mouettes et les plongeons piquaient rapidement vers les bandes de petits poissons qui fourmillaient et sautaient à la surface, plongeaient vers le fonds et émergeaient de nouveau. Les ailes s'agitaient sans cesse. Les plongeons et les mouettes disparaissaient un moment sous les eaux. Tous les êtres vivants étaient en mouvement, à l'affût d'un petit déjeuner sur mer. Dans la confusion , on ne s'apercevait pas de la sauvagerie secrète de cette gloutonnerie animale. Des milliers de créatures vivantes pourchassaient des millions d'autres créatures vivantes. De gros poissons avalaient des centaines de milliers de petits poissons, sans qu'on vît une goutte de sang à la surface. Un maquereau ingurgitait des milliers de petits poissons minuscules qui avaient déjà avalé, chacun, une bête microscopique. Et puis, une mouette attrapait au vol, sans même se poser sur l'eau, le maquereau qui s'était aventuré à sauter hors de l'élément liquide, et, après l'avoir secoué de son bec, se l'envoyait, à demi-vivant, dans l'estomac, en trois mouvements de gorge. Et derrière tout ce défilé, un petit thon, sautant de temps à autre en l'air, fonçait avec la rapidité d'un éclair sur les bandes en pleine panique. L'ivresse d'un grand festin régnait tout autour de l'Ile pointue.
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L'alcool, l'amour, la maison, la famille, l'amitié, l'amusement, les affaires de ce monde, et même une idée... Il est des jours où toutes ces choses ressemblent à des ballons rouges, verts, jaunes, orange percés par une aiguille ou une cigarette allumée. Tout perd instantanément sa couleur, sa légèreté, sa joie. Peut-on échapper à ces moments-là ? Existe-t-il des gens dont les ballons ne sont jamais percés ? Selon les jours, je les envie ou je les méprise.
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J'ai peur d'aimer. Je sais que c'est une aventure solitaire qui me laissera tout désorienté, tout nu et désoeuvré sur le chemin que j'ai emprunté avec des désirs et des passions, et j'ai peur d'elle comme de l'obscurité, de l'hypocrisie, de la cruauté et de l'absence de liberté.
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Ils avaient dormi sous la même couverture, côte à côte, enlacés. La mort, familière, comme si elle était entrée en sa mère, lui avait pris toutes ses sensations, sa tendresse, sa douceur. Elle était juste un peu froide. La mort n'était pas aussi effrayante que nous le croyions. Elle était juste un peu froide, c'est tout...
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Du coté de la Corne d’Or, l’hiver est plus rude, plus brumeux qu’à Istambul. Ceux qui se rendent de bonne heure au travail en brisant les blocs de boue gelée sur les trottoirs défoncés - maîtres d’école, maquignons et bouchers - faisaient une pause devant l’usine; ils buvaient du salep saupoudré de gingembre et de cannelle, tournant le dos au mur immense.
Ouvriers blonds, maîtres d’école, maquignons, bouchers et, parfois, écoliers pauvres, leurs précieuses mains enfouies dans des gants de laine enveloppant la tasse de salep, le nez enrhumé, la tête en grève, fumant comme un samovar chagrin, tournaient le dos au mur immense de l’usine ; ils buvaient à petites gorgées le salep saupoudré de leurs rêves d’avenir.
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Je n'analyse pas la manière dont j'écris. Je passe en revue ma soirée. Je dois avouer que c'est par ennui que je me suis mis devant ce papier jaune d'épicier. Quelle que soit la nature de cet ennui, et alors qu'il existe d'autres moyens de le faire passer, j'essaie de comprendre pourquoi je me lance dans un travail encore plus ennuyeux que cet ennui.
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L'hiver sur la Corne d'Or est toujours plus rude et plus brumeux qu'à Istanbul. Ceux qui vont de bon matin à leur travail, écrasant sous leurs pieds la boue transformée en glace des rues mal pavées, tous ces instituteurs, ces marchands de bestiaux, ces bouchers, s'arrêtent devant l'usine et, s'abritant, un instant, au pieds du grand mur, demandent au marchand une tasse de sahlep saupoudré de cannelle et de gingembre. Tous ces ouvriers blonds au nez enrhumé, dont les mains précieuses portent des gants de laine et dont la tête fume, comme un samovar de cuivre jaune, mêlant les souffrances et les grèves, ces instituteurs, ces marchands de bestiaux, ces bouchers, et parfois quelques écoliers pauvres, s'appuient, le dos contre le mur de l'usine, et boivent à petites gorgées de ce sahlep saupoudré des suites de leurs rêves.
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Dans ces moments-là, je ne bois pas d’alcool, je marche. Je marche droit devant moi, vite las de chaque endroit parcouru. Je rencontre des animaux, des gens, des jardins, des bords de mer déserts. Je renais. Comme ce fut aujourd’hui le cas. Deux êtres humains, deux lapins, deux agneaux, l’un vivant, l’autre non, m’ont susurré à l’oreille que les gens espéraient encore.
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Quand Stelyanos se demandait s'il avait ou non vu un monstre, il restait songeur. Mais, quand d'autres lui posaient la question, il était si plein d'histoires de monstres, il en avait tellement vu passer en pleine nuit sur la surface sombre et phosphorescente de la mer, de ces énormes bêtes menaçantes, que, mêlant la réalité à la fiction, les créatures qui vivaient dans sa mémoire et son imagination, il en faisait sans peine de véritables animaux marins.
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Sait Faik Abasiyanik
La nature apprend à l'homme à nager lorsqu'elle fait couler son bateau.

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–Dis donc, Muharrem, tu vas faire quoi avec ces crabes ?
–Je vais les vendre, répondit-il. Et si je n’arrive pas à les vendre, je les mangerai. (...)
–Chut, Muharrem, tais-toi ! On ne mange pas ces sales bêtes.
–En hors-d’œuvre avec le raki, patron, il n’y a rien de meilleur !
–C’est vrai, fiston ?
Depuis ce vendredi où il avait descendu un litre de raki en grignotant ces bêtes qui n’étaient autres que des écrevisses, puis s’était endormi dans le
cabanon de Muharrem, Hüseyin avait pris l’habitude de se pointer chaque vendredi avec une petite bouteille .
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