Peut-être que c'est juste ça l'enfance : une maison que l'on porte à l'intérieur de soi. (La nostalgie de la Suisse)
Me voyant sur le seuil de sa chambre, mon frère me demande de mettre un t-shirt. Il a peur de mes nouveaux seins. Moi, si je pouvais, je vivrais à poil. Je passe des heures à m'ausculter la moindre parcelle de chair devant l'immense miroir sur pied. Tout mon corps ramassé dans un seul reflet. Mon corps en un seul morceau. Quand les garçons demandent, hilares, et toi, Jane, c'est quoi ton fantasme,e je réponds : le miroir. Oui, je voudrais faire l'amour sur ce miroir renversé sur le sol de ma chambre. Alors peut-être seulement ne serais-je pas découpée en morceaux par vous. Une tranche de sein par-ci. Une poignée de fesses par-là. Les garçons ne savent du corps des filles que les parties visibles et divisibles. Il est pourtant vivant et entier, ce corps qui a poussé d'un coup. Hop, des hanches. Hop, des seins. Même moi, je n'en reviens pas. Chaque matin, je vérifie. Oui, tout est là. Les mamelons, les fils, la vulve pourprée. Je n'arrête pas pas de ne pas en revenir.
Il paraît que l'univers est une baignoire au troisième étage, palier gauche. Il paraît que l'amour, c'est quelque chose qui nous déborde. Il n'y a pas d'harmonie chez les étoiles. Et la beauté précède toute chose.
Nous faisons de notre mieux.
Nous cherchions tous la même chose, certains d'abriter un animal au fond de nos gorges. Un animal prisonnier, pendu par une patte: «Ça remue à l'intérieur!» Nous nous efforcions de décrire les couinements, les râles, toutes ces meutes de loups qui cherchaient à se ruer hors de nous.