Comme vous le verrez, je ne range plus mes livres par ordre alphabétique, ni suivant la couleur des dos, comme je le faisais avant. Ils sont maintenant classés par personnages. Je rapproche ceux, qui, selon moi, doivent se parler. j'ai ainsi placé - Au coeur des ténèbres- à côté du -Regard du roi- et - La Prisonnière des sargasses- juste au-dessus de - Jane Eyre-. Ces deux-là se trouvaient déjà côte à côte, mais j'ai jugé bon de redresser l'ancien déséquilibre colonial en donnant à Rhys l'avantage de l'étage supérieur. (p. 36)
Eyes, said the apostle Matthew, are the lamp of the body.
(L’œil est la lampe du corps disait l'apôtre Matthieu.)
Je ne peux pas recevoir que des vieux, sans compter que, chronologie mise à part, je ne me sens pas vieille. Enfin, c'était le cas jusqu'à ce que je remarque cette raréfaction des jeunes. Et la situation s'est aggravée depuis que j'ai cessé d'enseigner. C'est un des problèmes de San Francisco. Il est plus dur de s'y faire des amis jeunes qu'à Lagos ou à Delhi. Ici, les gens ont tendance à se regrouper par âge. (p. 35)
Quand Toussaint m'a demandé à quoi ressemblait l'Afrique, je lui ai parlé de toutes ses merveilles en lui rappelant, comme je le faisais avec mes étudiants, que l'Afrique n'est pas un pays, mais un continent aussi varié, voire plus, que l'Europe. Je voulais qu'il se sente fier de ses origines. Qu'il sache qu'il y a des pays où un homme noir peut marcher librement sans avoir peur à cause de la couleur de sa peau. (p. 119)
Ouais, je suis SDF et alors ? (…)
SDF, c'est juste qu'on est des handicapés du logement.
Je n'ai pas l'habitude d'ouvrir ma porte en robe de chambre, mais avec Li Wei [ le facteur ], on se connait. Et puis, on est dans une ville où les gens sortent en pyjama pour promener leurs chiens ou accompagner leurs enfants à l'école.
Mon voisin du dessous est un homme persévérant, je dois le reconnaître. Mais il est républicain et il possède une arme à feu, autant dire qu'il n'a aucune chance avec moi.
Il me manque. Puis je me rappelle que ce n'est peut-être pas tant lui que l'idée de lui qui me manque. Combien de fois me suis-je sentie seule en compagnie d'un autre ? Pire que seule même. (p. 38)
Moi je dis qu'à la fin de la journée, on doit tous se poser la même question : qu'est-ce que j'ai fait pour moi ? Chacun de nous a un voyage à faire, du genre, partir faire une retraite quelque part, seul, fouiller dans son âme à la recherche de son moi ou bien être capable de partir n'importe où en solitaire. (p. 134)
J'ai lu d'abord -L'Aveuglement- de José Saramago et -Ceux de July- de Nadine Gordimer, parce que s'il y avait bien des êtres capables de survivre, c'était l'épouse du docteur et Maureen. Je me surprenais à inventer de nouveaux chapitres dans mon journal intime, à changer la fin de l'histoire afin que ces héroïnes, qui n'étaient pas autorisées à s'en sortir dans la version originale, le soient dans la mienne. (p. 66)