Payot - Marque Page - Serhiy Jadan - L'Internat
Le ciel de la nuit fait penser à un champ noir. L'air, semblable au tchernoziom, est empli de graines et de mouvement. Des espaces infinis se déploient là-haut, vivent de leurs rythmes, de leurs propres lois. Le ciel dissimule les étoiles et les constellations, la terre, les cailloux et les racines. Dans le ciel gisent les planètes, dans la terre les morts. Le ciel fait couler la pluie, la terre les rivières. Les pluies, une fois tombées, coulent vers le sud, remplissant les océans. Le ciel change sans cesse, s'enflamme et s'éteint, se gorge d'humidité et sature sous la chaleur d'août. Les terres sont épuisées par l'herbe et les arbres, elles gisent sous les cieux plats comme des bêtes abandonnées de tous. Si on choisit bien l'endroit, il arrive parfois de ressentir tout cela à la fois : les racines s'entremêlent, les rivières coulent, l'océan se remplit, les planètes passent dans le ciel, les vivants remuent sur terre, et les morts évoluent dans l'au-delà.
Je pense que c'est à peu près comme cela que les choses se passent. Nous devons sauver ceux qui nous sont proches, sans percevoir parfois que les circonstances changent et que ce sont nos proches qui commencent à nous sauver. Je pense que c'est ainsi que cela doit se passer, et que notre proximité même est conditionnée par des expériences communes, une vie commune et la possibilité d'une mort commune. Quelque part au-delà commence l'amour. Tout le monde ne vit pas jusque là, mais c'est une autre question.
Je touchais ses cheveux humides et j'avais l'impression de plonger mes doigts dans les profondeurs d'une rivière, et sa surface était calme et épaisse, au point qu'on ne pouvait pas voir au travers. je m'efforçais de toucher le fond et de pêcher les coquillages, redoutant de tomber sur des hameçons laissés par les autres.
Dans la pièce régnait un brouhaha sourd, quelque peu nerveux, comme si quelqu'un se mariait ici, mais contre sa volonté. Des femmes aux cheveux et aux sourcils noirs couraient dans les couloirs, vaisselles et bouteilles à la main, des hommes résolus portant chaises, haches et pelles faisaient des va-et-vient, des gamins s'agitaient sous nos pieds, des bonbons à la menthe et des têtes de coqs serrés dans leurs menottes.
De manière générale, retourner dans les endroits où tu as grandi, c’est comme revenir dans un crématorium où on t’a déjà brûlé une fois.
Je n’ai jamais été intéressé par la politique, à l’exception des cas où elle se glissait sous ma porte à l’intérieur de mon logement et commençait à puer dans ma cuisine, alors je me penchais sur elle, en fait, je voulais savoir comment m’en débarrasser.