Trayleigh, Angleterre, septembre 1159
Le convoi qui cheminait vers le château de Trayleigh était remarquable à bien des égards. Tout d'abord, l'oriflamme aux couleurs de la famille Farouche - rouge, vert et blanc - aurait difficilement pu passer inaperçue. Ensuite, le nombre de gardes composant l'escorte - une quarantaine, au bas mot - était tout aussi impressionnant que son armement. La troupe, montée sur de fiers destriers, équipée d epées et de cuirasses étincelantes, ressemblait à quelque bête caparaçonnée sinuant à travers la campagne.
Mais l'élément le plus étonnant de ce convoi restait celle qu'il était chargé de protéger. Entourée d'hommes armés, lady Avalon chevauchait presque en tête. Dès le départ, elle avait renoncé à prendre place dans la voiture couverte qui lui était destinée. La capuche de son manteau rabattue, elle laissait flotter au vent ses cheveux dans lesquels jouait le soleil. Dans le secret de leurs pensées, nombre d'hommes fascinés comparaient cette chevelure d'un blond doré au halo d'un ange. Mais ceux qui avaient eu affaire à elle au début du voyage savaient qu'un ange n'aurait jamais fait preuve d'une telle obstination.
- Je ne mens pas, affirma-t-elle en soutenant son regard sans ciller. Je suis une nonne. C'est à Gratting que j'ai prononcé mes voeux.
- Voyez-vous ça...
Sa réponse ne trahissait aucune intention particulière. Avalon ne savait comment l'interpréter. Elle fut donc prise au dépourvu quand il la prit dans ses bras et la serra contre lui, glissant une main dans ses cheveux en désordre pour qu'elle ne puisse se soustraire au baiser qu'il lui infligea.
Son corps était massif et dur contre le sien, mais ses lèvres étaient douces et habiles. Elles s'emparèrent des siennes sans lui laisser le temps se reprendre son souffle, avec force et passion, comme pour la punir. Avec plus d'intensité encore qu'à l'auberge, cette brusque intimité électrisa Avalon, la laissant tout à la fois effrayée et en proie à une exaltation de tous les sens. La main de Marcus se fit moins impérative dans ses cheveux, davantage un guide qu'une contrainte. La pression de ses lèvres diminua également. Le baiser se fit plus tendre, plus langoureux - et plus déstabilisant encore. Avalon était douloureusement consciente du corps de Marcus contre le sien, de leurs torses, de leurs jambes qui s'épousaient, de ses mains... Tout le reste - les hommes qui les observaient, les circonstances de son enlèvement, l'incertitude de l'avenir - n'avait plus aucune importance.
Marcus posa sa main en coupe contre sa joue. Il ne la retenait plus prisonnière, ne lui imposait plus rien. C'était d'elle-même qu'elle se prêtait à cette étreinte. Contre les siennes, elle sentit les lèvres de Marcus se retrousser en un sourire victorieux. Et lorsqu'il mit fin au baiser, elle dut lutter pour ne pas chercher à le prolonger.
- Aucune nonne n'embrasse comme cela, dit-il.
Il lui semblait plus facile, et plus agréable, d'avancer que de revenir en arrière.
Mais elle était la lune. Et il était son vassal. Il ne rêvait pas plus beau destin que de se noyer dans ces yeux, se repaissant de leur candeur et de l'étincelle de désir qu'il y décelait.
Personne ne peut rien changer au passé. Nous avons, toi et moi, enduré notre lot d'épreuves. La mort a rôdé autour de nous. Mais cette époque est révolue.
Son chagrin était en quelque sorte devenu de la résignation.
Sans doute ne se départirait-elle jamais d'une certaine tristesse chaque fois qu'elle évoquerait son ancienne vie, ses parents adorés. Mais elle pouvait se projeter vers l'avenir avec un cœur plus léger.
Les émotions, quelle que soit leur nature, étaient des manifestations encombrantes et fastidieuses de sentiments qui avaient tendance à vous égarer l'esprit.
-Ça va mieux ?
Sans attendre de réponse de sa part, il déplia doucement le reste de ses doigts et déposa un baiser au creux de sa paume.
Où ses lèvres s'étaient posées, une chaleur intense était née, qui se communiqua dans un grand frisson à son bras, puis à tout son être.
Avalon se sentit chanceler et dut prendre appui sur lui, s'immergeant dans sa magnétique présence. Markus lâcha sa main et la laissa prendre appui contre lui, prenant garde à ne pas toucher ses côtes blessées. Puis, passant une main derrière sa nuque, sans la quitter des yeux, il amena très lentement ses lèvres au contact des siennes.
Ce fut un très léger baiser, presque chaste - sans doute en raison du public autour d'eux qui ne les quittait pas des yeux. Il n'en laissa pas moins Avalon à bout de souffle et plus troublée que jamais.
Lorsque leurs lèvres se séparèrent, elle entendit Markus murmurer :
-Comme vous m'avez manqué, bel amour...
Mais on ne peut pas faire confiance à un loup. Et tous ces Anglais ne valent pas mieux que des loups, crois-moi.
Il la désirait avec trop de force. Tant pis pour les regrets ou les remords : leur temps viendrait plus tard.