Il existait partout, ici.
Longtemps, je vivrais dans la certitude que son souvenir suffisait, et suffirait.
Un jour pourtant, je connaîtrais un autre homme, je chérirais une autre âme. Et de cette même fenêtre, je l’observerais marcher au bord du lac, les quelques larmes que je versais ce matin en songeant au passé remplacées par le sourire qui construirait l’avenir.
Ce soir-là, je n'avais plus mal.
Plus comme avant.
Et même si le livre n'était pas encore terminé, une page importante venait d'être tournée.
- Il est vraiment parti... soufflai-je, en percevant enfin l'humidité sur mes joues.
June avait mis deux longues années à s'en aller.
- T'aimerais un monde rien que pour nous deux ? demanda-t-il, une fois le groupe perdu de vue.
- Un monde où ça ?
- Au-dessus de l'arc-en-ciel.
- J'en ai jamais vu, avouai-je, concentré sur l'entrée de l'école qui se vidait.
- Moi non plus, mais je veux que ce soit notre monde. T'es d'accord?
Je réfléchis, puisque c'était une question qui méritait réflexion.
- On peut inviter Sanha ?
Il n'avait encore jamais vu Sanha.
- Yun, San et June au-dessus de l'arc-en-ciel.
- Ça paraît parfait comme ça, dis-je, sincère.
- C'est parce que t'en fais partie.
Il m'avait souri, encore une fois.
Il partirait au-dessus de l'arc-en-ciel avant moi, June.
Certaines histoires d'amour ne sont pas éternelles...
La mienne s'est arrêtée sans prévenir.
Et la pire nouvelle qu'on m'ait donnée quand la mort a frappé, c'est qu'il fallait recommencer à vivre.
Mais je me sens prêt.
Je me levai naturellement. Il exerçait sur moi une attraction physique primaire. J'étais l'objet lancé à pleine vitesse et il était la gravité ; peu importait à quel point je m'éloignais, je lui revenais toujours.
Savoir, c'est différent de comprendre. On peut savoir le résultat d'une multiplication sans l'avoir compris. Savoir, ça pas se donner. Comprendre, c'est propre à soi.
- T'es le genre constamment le nez dans les bouquins, pas vrai ? supposa-t-elle très justement, un sourire naissant aux coins des lèvres.
Judith ne croyait pas si bien dire. Mon existence tournait à quatre cents à l'heure. J'avais tout juste le temps de respirer pour repartir, chaque jour. Cette cadence occupait mon esprit, comblait les trous.
Quand l'un d'eux restait vide, les larmes avaient le temps d'emplir mes yeux.
Je pense que les gens malheureux se reconnaissent entre eux. Une attraction les pousse l'un vers l'autre. Parfois, ils s'entraînent dans un trou noir et sans issue. D'autres fois, sans rien se dire, sans rien s'avouer, ils se tiennent la main pour aller ailleurs. Ils trouvent la lumière et s'entraident pour l'atteindre.
D'ailleurs, j'avais chaud. Pourtant, il faisait froid dehors. Ça fait un peu comme du feu sur la glace, l'amour.
Toutes les finalités.
Toutes les extrémités.
Je me demandai ce qu'il pensait de l'éternité.