Le succès (mérité) de "La Femme-lit", éclipse quelque peu les premiers livres de Sophie Loizeau. Très différent par la forme comme par le propos, "Le corps saisonnier" rassemble des textes variés, d’abord publiés en revue (dans le regretté "Polygraphe" et "Le Mâche-laurier "notamment). Dédié à "[la] maison d’Arnouville", orné de photos d’arbres, de lac, "Le corps saisonnier" épouse les mouvements du ciel, des pierres, de la faune et de la flore. Assez court, remarquablement lisible, chaque poème semble effectivement célébrer la Nature, perçue à travers la chaire de façon sensible, directe : "J’avale toute / L’ampleur de ce pays d’âge / Rauque / D’arbreschemins dont l’ossature suspendue / l’hiver s’embarbèle de nuages" (page 98). Les images fusent, s’enchaînent harmonieusement, avec une grâce discrète, parfois nimbée d’une légère mélancolie : "Un matin consacré à la mort / Naturelle des choses je m’ouvris / Les mots d’amandes vertes / C’était hors de saison le goût / Amer avant-coureur de l’amertume" (page 28). Lyrique, Sophie Loizeau chante également l’amour, à travers les « Poèmes érectiles », dédiés cette fois à Henri et placés sous le signe d’Eros. On songe par moments à Jacques Abeille, à "La Guerre entre les arbres"[1]. Audacieux, rapide, le vers libre de Sophie Loizeau évoque puissamment les joies du corps, parfois crûment mais sans vulgarité, loin de tout écueil pornographique : "Ce sacre de la femme en train de pisser / Lumière où laver ton visage / Faveur / Et toi dedans / À boire ton ivresse et ma gloire" (page 54). La Nature participe de cette fête charnelle, en une sorte d’intense danse panthéiste, tellurique. Dionysiaque, heureux, et en même temps limpide, ce bref recueil, édité au Dé bleu, qui annonce "La nue-bête"[2] et "Environs du bouc"[3], s’écarte résolument de toute abstraction, de tout discours creux, sans tomber pour autant dans le minimalisme. Jeune auteure désormais largement reconnue au sein du milieu littéraire, Sophie Loizeau affirme déjà ici son style, mélange d’ivresse et de retenue, profondément original.
Article d'Etienne Ruhaud paru dans la revue "Diérèse".
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