Et je peux vous dire une chose, ça fait bientôt trente ans que je réfléchis à la question : qu'est-ce qu'on fout là, pourquoi on se fait chier à continuer alors que personne ne nous y oblige, à part la culpabilité de laisser derrière nous des gens tristes ? Qu'est-ce qu'on cherche, pourquoi on n'arrive pas à se rappeler des moments où on a l'impression d'avoir tout compris et de ceux où on a le sentiment d'être exactement à sa bonne place ? Pour y avoir beaucoup réfléchi, je vous le dis : l'amour sans attente d'un accusé de réception, c'est le sentiment le plus pur et le plus noble qui existe. Parce que c'est comme ça qu'on gagne la guerre. En trouvant à aimer les autres alors qu'objectivement on n'a aucune raison de le faire.
"Y'a un moment que j'ai compris qu'adulte, c'est un métier d'escroc : t'e adulte si tu décrètes que tu l'es, et quand c'est décidé dans ta tête, apparemment c'est OK tu peux répondre à côté quand on te pose une question."
"Moi, je crois plutôt que quand on travaille, on travaille à son bonheur, et si ça doit être une souffrance, bah c'est qu'on s'est trompé de bonheur."
Nous, les petits, on doit se contenter de cette notice : construire sans l'aide de personne nos propres schémas en faisant, en plus, le petit singe pour divertir les invités parce que la seule raison que j'ai trouvée, c'est qu'on fait des enfants parce qu'on se fait chier. Mais je ne désespère pas de verser sur ce constat un petit peu de sirop pour que la vie prenne une direction plus ensoleillée.
Je l'aime bien Mamy, elle me force pas à boire du lait chaud avec le miel, je sais pas pourquoi les adultes sont certains qu'on aime ça sans nous demander au préalable. Le lait chaud avec le miel moi ça me fait comme si je mangeais du surimi un peu vieux et dur aux bouts, rien que d'y penser ça me gratte dedans. Y a plein de trucs dans la même veine qu'on nous force à intégrer alors que, je sais pas, on a peut-être un avis ? Faire la bise aux gens qui ont les joues dures et qui sentent la cigarette, s'arrêter de jouer parce qu'il faut manger MAINTENANT, j'arrive pas à le formuler avec des mots, mais moi, quand on me dit ça, je débaroule au triple galop parce qu'ils sont tellement stressés, je me dis c'est pas possible peut-être que la nourriture va se volatiliser, doit y avoir un chrono sous l'assiette.
Vraiment, je comprends pas le système de pensée des adultes. Genre, il faut pas prendre de risques. Mais, à quoi bon être tout bien rangés alors que le monde entier s'offre à nous, qu'on a des forêts à explorer, des inconnus qui nous apprendront que les lignes de la main, que les béliers, que leurs petits-enfants, que les concours d'excellence, que la banque et plein d'autres trucs ? Faut se rendre à l'évidence : ceux qui nous empêchent nous gardent en otage comme on les a gardés en otage quand ils étaient petits. Et un jour, c'est super triste à dire, mais il faudra les quitter ; musette à l'épaule comme Tom Sawyer, pour mettre en pratique les schémas qu'on s'est construits seuls parce qu'ils ne nous ont pas aidés. On les laissera derrière.
Un jour, y a une fille elle m'a dit qu'on lisait l'avenir dans les lignes de la main, on faisait de la balançoire et je la connaissais pas, c'est comme ça qu'elle m'a draguée. « Tu sais qu'on peut dire quand tu vas mourir en regardant dans ta main ? » Je m'en foutais un peu, c'est abstrait la mort pour moi. Quand Mamy elle dit qu'un jour elle va mourir je lui rigole dessus, pour moi c'est pas concevable, après je regarde ailleurs parce qu'elle insiste mais c'est bon on va pas discuter de ça maintenant, c'est pas le moment, j'ai 4 ans et mon objectif c'est de pas rater les anniversaires dans le générique du Club Dorothée.
De toute façon ça sera l'un ou l'autre, y a pas d'autres métiers je crois. Je me demande comment on choisit son métier, si c'est en fonction du temps qu'on a ou de ce qu'on aime bien faire, parce que, par exemple, mon cousin il dit qu'il veut devenir vétérinaire, mais, bon Dieu, c'est pas parce que t'aimes caresser le ventre des agneaux que tu peux devenir le monsieur qui les vétérine, ça me paraît évident.
Moralité : il semble que les adultes distillent les informations et un jour, quelqu'un m'expliquera peut-être en me parlant normalement quand je pose une question, pourquoi c'est si important de fabriquer de nouveaux cousins aux cousins déjà existants. Enfin bon, ils auraient pu déjà me lâcher l'info je trouve. Je vois pas tellement pourquoi ils me ménagent, moi je suis prête à tout entendre.
"J'appelle ça le syndrome de Maastricht. C'est Stockholm en encore plus pourri."