Citations de Tara Westover (87)
Cela arrive parfois, dans les familles : un enfant qui ne cadre pas, au rythme décalé, dont le compteur est réglé sur la mauvaise fréquence. Dans notre famille, c'était Tyler. Pendant que nous nous trémoussions, lui dansait la valse. Il était sourd à la cacophonie de nos existences, et nous étions sourds à sa calme polyphonie. (p. 74)
Mais la justification n'a aucun pouvoir sur la culpabilité. Aucune colère, aucune fureur dirigées contre les autres ne peuvent la soumettre, parce que la culpabilité, c'est la peur de sa propre détresse. Elle n'a rien à voir avec les autres. (p. 465)
J'avais entendu jouer du piano à d'innombrables reprises auparavant, en accompagnement de cantiques, mais quand Marie jouait, sa musique n'avait rien à voir avec ce martèlement sourd et informe. C'était liquide, c'était aérien. C'était du roc et, l'instant d'après, du vent. (p. 122)
J'ai recommencé à réfléchir à la famille. Elle recelait une énigme, un élément irrésolu. Que doit faire un individu, me demandais-je, quand ses obligations envers sa famille se heurtent à d'autres obligations-envers les amis, la société, ou soi-même ? (p. 452)
Ce que je savais de la physique, je l'avais appris à la ferraille, où le monde semblait souvent instable, capricieux. Mais il y avait là un principe au moyen duquel les dimensions de la vie devenaient définissables, saisissables. Peut-être la réalité n'était-elle pas entièrement volatile. Peut-être était-elle explicable, prévisible. Peut-être y avait-il moyen de faire en sorte qu'elle ait un sens. (p. 188)
Le chant s'est achevé et je suis restée assise, sidérée, jusqu'au morceau suivant, puis les autres, jusqu' à la fin du C. D. Sans cette musique, la chambre paraissait sans vie. J'ai demandé à Tyler si nous pouvions le réécouter... (...)
la musique est devenue notre langage. (...) J'étais aussi bagarreuse que mes frères, mais quand j'étais avec Tyler, je me transformais. Etait-ce la musique, la grâce de ces chants, ou sa grâce à lui ? En un sens, il m'amenait à me regarder avec ses yeux à lui. (p. 76)
Autrement dit, ma mère avait résolument réagi à la respectabilité dont on l'abreuvait. Grand-mère voulait offrir à sa fille ce cadeau qu'elle n'avait jamais reçu : être de bonne famille. (p. 49)
Vous pourriez attribuer quantité de noms à cette individualité. Transformation. Métamorphose. Fausseté. Trahison.
J'appelle cela une éducation. (p466)
La distance- à la fois physique et mentale- parcourue au cours de cette dernière décennie m'a presque coupé le souffle. Avais-je trop changé ? Toutes mes études, mes lectures, mes réflexions, mes voyages m'avaient-ils transformée en une femme qui n'était plus à sa place nulle part ? (p. 444)
"L'université, c'est de l'école en plus pour des gens qui sont trop bêtes pour apprendre du premier coup", a lâché papa.
Rétrospectivement, je perçois que c'était cela, mon instruction, celle qui compterait : les heures passées assise à ce bureau d'emprunt, à tenter péniblement d'analyser quelques maigres éléments de doctrine mormone. Ce que j'allais acquérir là était essentiel, la patience de lire des choses que je ne pouvais pas encore comprendre. (p. 101)
Lorsque ma mère m’a avoué qu’elle n’avait pas été la mère qu’elle aurait souhaité être pour moi, elle est devenue ma mère pour la première fois.
La montagne nous confère un sentiment de souveraineté, d’intimité et d’isolement, et même d’emprise sur les choses. Dans ce vaste espace, on peut marcher des heures sans croiser personne, comme en apesanteur au-dessus des pins, des broussailles et des rochers. Cette tranquillité résulte d’une sensation de pure immensité qui vous calme et rend la banalité de l’existence humaine sans importance. Gene [un autre frère] a été façonné par cette sorte d’hypnose des montagnes, qui réduit les drames humains au silence
J'avais mille dollars sur mon compte en banque. Rien que d'y penser, cela faisait un drôle d'effet, alors de le dire. (...)
Il m'a fallu des semaines pour l'intégrer mais, ce faisant, je commençais à ressentir le plus puissant des avantages de l'argent: la possibilité de penser à autre chose qu'à l'argent. (p. 303)
(...) au même instant j'ai songé que grand-mère était la seule personne qui aurait pu comprendre ce qui m'arrivait. En quoi la paranoïa et le fondamentalisme ont déstructuré mon existence, en quoi ils me privaient des gens auxquels je tenais pour les remplacer par des diplômes et des certificats - une façade de respectabilité (...) (p. 57)
Toutes mes années d’études avaient existé afin que je puisse m’offrir ce privilège : voir et vivre plus de vérité que celles qui m’étaient données par mon père, et me servir de ces vérités-là pour me construire mon propre esprit.
Le père de LaRue était un alcoolique - à cette époque, la terminologie de l'addiction et de l'empathie n'avait pas encore été inventée, et les alcooliques étaient encore des ivrognes. ( p 48)
J'ai vécu seule dans l'appartement silencieux pendant trois jours. Sauf que ce n'était pas silencieux. Il n'y avait aucun silence. Nulle part. Je n'avais pas passé plus de quelques heures dans une ville et je m'apercevais qu'il m'était impossible de me défendre contre les bruits étranges qui m'envahissaient constamment. Le tintement des signaux aux passages piétons, le hululement strident des sirènes, le sifflement des freins à air comprimé, même les conversations des gens qui marchaient sur le trottoir - j'entendais chaque bruit individuellement, mes oreilles accoutumées au silence de Buck's Peak étaient agressées par tous ces bruits.
Admettre l'incertitude, c'est reconnaître la faiblesse, l'impuissance, et croire en soi-même en dépit de l'une et l'autre. C'est une fragilité, mais il y a dans cette fragilité une force: la conviction de vivre dans sa propre tête, et non dans celle de quelqu'un d'autre. Je me suis souvent demandé si les mots les plus forts que j'ai écrits ce soir-là ne m'étaient pas venus non de la colère ou de la rage, mais du doute : je ne sais pas. Je ne sais tout simplement pas.
Ne rien savoir avec certitude, mais refuser de céder à ceux qui revendiquent cette certitude, c'était un privilège que je m'étais jamais accordé. Le récit de ma vie était généré par d'autres. Leurs voix étaient fermes, catégoriques, absolues. Il ne m'était jamais venu à l'esprit que ma voix pourrait être aussi forte que les leurs. (p. 289)
En repensant à l'accident je songerais toujours aux femmes apaches, et à toutes les décisions qui finissent par façonner une vie- les choix que font les gens, à plusieurs et de leur propre initiative, qui se combinent pour produire un événement donné; Un nombre incalculable de grains de sable qui, comprimés, deviennent sédiment, puis rocher. (p. 70)