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Critiques de Tristan-Edern Vaquette (26)
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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 3

Godzilla contre Darwin



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Voici le livre:



Du Champagne, un cadavre et des putes, troisième volume, est le noyau thématique du roman dans son ensemble, la discussion idéologique qui en justifie le scénario et se base sur lui comme élément de preuve et de démonstration. C'est un long essai sur la prostitution et la marginalité, presque complètement dépourvu d'intrigue — ce qui n'est pas une condamnation ; c'est à remettre dans son contexte, puisque qu'il ne s'agit que d'une portion d'un immense roman.



Ce tome 3 est beaucoup plus difficile d'approche que les précédents, alors prenons du recul ("reculer", étymologiquement : repartir dans la direction de son cul) et parlons un peu philo — j'ai déjà fait le coup pour le tome 2, mais ça s'impose encore davantage ici, et on va essayer une approche un peu différente, un peu moins rédaction structurée et un peu plus stream-of-consciousness.



***



Parlons de théorie. Je veux dire, parlons du *concept* de théorie ; c'est quoi, une théorie ?



Une théorie, c'est le produit d'une induction : à partir d'objets spécifiques du monde réel, on construit des catégories, des abstractions, et à partir d'un fait réel observé, on construit une règle qui décrit le comportement de ces catégories. On met la réalité en équation, ce qui nous permet de décrire, et même de prédire comment elle se comporte.



Observation : je tiens une pomme dans ma main, je la lâche, elle tombe.

Théorie : les objets qui ne sont pas supportés sont irrésistiblement attirés vers le sol.



C'est par l'induction que notre cerveau appréhende la réalité. Nous faisons, inconsciemment, depuis notre naissance, des inductions, tout le temps.



Une induction, ce n'est pas une déduction. Dans une déduction il y a un élément de vérité incontestable :



A : Quand il pleut, le sol est humide.

B : Il pleut.

Conclusion : le sol est humide.



Si A et B sont vrais, alors la conclusion est aussi forcément vraie.



Dans une induction, au contraire, il n'y a pas de preuve. On *généralise* une observation pour essayer de créer une règle qui prédira les observations futures, mais on a aucune garantie que ça marchera toujours. Même si la pomme tombe 1 million de fois de suite quand je la lâche, il suffit qu'une seule fois elle ne tombe pas, et mon induction est réfutée.



Mais on n'a pas le choix : on *doit* s'appuyer sur l'induction pour décrire la réalité — c'est si impératif qu'on le fait instinctivement, on est génétiquement programmés pour ça — car on a *que* des observations de cas particuliers à notre disposition : on ne peut pas ouvrir le capot de l'univers pour regarder directement ses algorithmes à la loupe, on ne peut que tester son comportement encore et encore, pour avoir des théories de plus en plus affinées, mais toujours des théories. Même notre exemple de déduction plus haut contient une induction en A.



L'objectivité, la certitude à 100% sont donc impossibles. On part du principe que la réalité à laquelle nous accédons par nos sens existe, *pas* parce qu'on en a la preuve, mais parce que c'est tout ce que nous avons. La première des inductions, c'est d'accepter que l'image du monde construite par notre cerveau correspond bien à quelque chose de réel — et si je rejette cette hypothèse, je n'ai rien à lui substituer ; la réalité fournie par mes sens est la seule réalité à laquelle j'ai accès.



Même les expériences mystiques, qui se veulent au-delà du monde physique, ne nous sont accessibles que par nos sens. Peut-être que Dieu parle directement à notre âme, mais si notre âme ne fait pas partie du monde matériel, alors elle nous est invisible, et il est impossible d'entendre la voix de Dieu.



***



Il est important de comprendre qu'une théorie, ce n'est pas la réalité — c'est une abstraction de la réalité. C'est une *carte* qui n'est pas le *territoire* qu'elle représente.



La confusion entre carte et territoire conduit au purisme — refuser de mettre à jour une théorie qui a été réfutée par de nouveaux éléments, parce qu'on a investi de la valeur dans la théorie en tant que finalité et non plus en tant qu'outil, qu'on voit la théorie comme un objet du monde réel, et non plus comme un reflet de ce monde — et au prescriptivisme — qui va encore plus loin et traite la théorie comme ayant priorité et cherche à plier la réalité pour qu'elle se conforme à la théorie.



C'est en partie de l'instinct de survie : les théories constituent l'intégralité de notre modèle du monde, et sans elles nous sommes aveugles — nous avons donc une profonde motivation à développer un modèle du monde qui soit le plus fiable possible — pas le plus *vrai*, mais le plus apte à favoriser notre survie — et nous avons donc aussi une grande motivation à *croire* notre propre modèle, à avoir foi en lui — douter du modèle, c'est douter de la réalité, ce qui n'est pas bon pour la survie. On veut non seulement croire ce qui est "vrai", mais on veut *croire que ce qu'on croit est vrai*.



On est donc mal disposés à croire *autre chose* et à accepter des informations qui remettent en question notre modèle du monde. Si mon modèle du monde me dit que Dieu n'existe pas, non seulement je le crois, mais je veux croire que j'ai raison de le croire, et non seulement je suis incapable de croire que Dieu existe (puisque, selon mon modèle, ça serait croire consciemment quelque chose de faux — absurde : croire quelque chose, c'est croire que cette chose est vraie, par définition), je suis même incapable de *vouloir croire* que Dieu existe, car ce serait vouloir croire quelque chose de faux, ce qui va contre mon instinct.



(Une tel fonctionnement du cerveau, une telle difficulté pour assimiler de nouveaux éléments qui contredisent l'expérience passée, une telle inefficacité à construire un modèle du monde qui s'approche de la réalité, ça peut sembler mauvais pour la survie, mais "brains are survival engines, not truth detectors. If self-deception promotes fitness, the brain lies" — Blindsight ("Vision aveugle", en français) de Peter Watts, excellent bouquin de SF qui fait beaucoup pour déconstruire, sur un mode assez sombre et dérangeant, l'idée qu'on a de la façon dont l'esprit humain fonctionne — oui, je vous fais la critique d'un autre livre *au milieu* de la critique principale).



Et donc le puriste refuse de moderniser l'orthographe — créée pour représenter la langue parlée d'une certaine façon dans le passé — alors que la phonétique a beaucoup changé depuis et rendu l'orthographe de plus en plus inadaptée à la représenter — car pour le puriste, l'orthographe n'est pas un outil de représentation de la langue, c'est la langue elle-même, et en s'opposant à ce que l'orthographe change, il s'oppose à ce qu'on change sa vision de la langue — et c'est un cercle vicieux, car en l'absence d'enregistrements vocaux très anciens, l'orthographe qui reste la même pendant plusieurs siècles conforte le puriste dans l'illusion que la langue ne change pas. Bien sûr, l'absence de changement de l'orthographe est elle-même une illusion — Molière n'écrivait pas dans notre orthographe, mais ses pièces sont réimprimées "transcrites" dans la graphie moderne pour en faciliter la lecture, ce qui donne l'illusion d'une orthographe — et donc d'une langue — qui ne change pas.



(L'illusion se dissout si on essaye, par exemple, d'écrire le français en alphabet arabe : la graphie a radicalement changé, mais c'est toujours du français ; il suffit à un locuteur français d'apprendre la nouvelle graphie et il peut alors lire ces textes aussi facilement que ceux écrits en alphabet latin, sans avoir à apprendre un seul nouveau mot de vocabulaire, une seule nouvelle règle de grammaire, un seul nouveau phonème, car c'est bien la même langue qui est transcrite. La carte a changé, mais pas le territoire.)



Et donc le prescriptiviste décrète que le sens moderne d'un mot est "faux", que le "vrai" sens est le sens plus ancien, le sens enregistré dans le dictionnaire — comme si ce dernier avait été décidé arbitrairement par des sages, ou même avait miraculeusement surgi du néant comme une conception immaculée, toute innovation ne pouvant alors être perçue que comme une corruption. le prescriptiviste insiste pour qu'on dise "une boisson alcoolique" et non "une boisson alcoolisée" — sous prétexte qu'étymologiquement, "alcooliser" signifie qu'on *ajoute* de l'alcool — ça ne le gène pourtant pas qu'étymologiquement, "alcool" est un mot très ancien qui signifie "poudre d'antimoine", et on ne le voit pas non plus insister pour que le mot "septembre" soit employé pour le septième (et non le neuvième) mois de l'année.



***



Si la théorie est une carte, on peut donc avoir plus d'une théorie (carte) pour la même observation (territoire). Comme une théorie n'est pas la réalité, on pense moins aux théories en termes de "vrai" ou "faux", mais plutôt en termes de précision et d'utilité relatives par rapport à différent buts.



Si on doit, par exemple, calculer la vitesse résultante d'une balle de tennis qui roule à 10 km/h sur le sol d'un wagon de TGV qui se déplace à 320 km/h, l'équation d'Einstein — u=(v+u')/(1+(vu'/c^2)) — nous donne un résultat plus précis, plus juste (329,999999999999094... km/h) que l'équation de Galilée — u=v+u' (330km/h).



Mais pour une différence de moins d'un nanomètre par heure, il est beaucoup plus simple, rapide, intuitif et efficace d'utiliser la seconde équation — un tel niveau de précision n'a aucun intérêt pour des observations ordinaires ; la première équation n'est utile que si on observe des objets extrêmement rapides — au minimum plusieurs kilomètres par seconde.



Une théorie non-optimale au bon moment est préférable à une théorie optimale au mauvais moment (principe bien connu des joueurs de Tetris).



***



La possibilité de théories multiples et contradictoires pour un même territoire dépend pour beaucoup de ce que ces théories décrivent. La théorie mathématique, parce qu'elle part d'un nombre extrêmement restreint d'observations et a pour principe guide la cohérence interne, — le but de la théorie mathématique est de se prédire elle-même sans créer de contradiction — est par définition unique (même si elle a des zones d'ombre, comme la valeur de zéro puissance zéro ou les théorèmes d'incomplétude de Gödel).



En contraste, une théorie musicale, ce n'est qu'une théorie de la façon dont un compositeur — ou un groupe de compositeurs sur une période et une géographie données — agence des tons et/ou des rythmes dans le temps en suivant des règles syntaxiques et une structure holographique, mais sans employer d'éléments sémantiques (ce qui distingue la musique de la langue) — et comme il y a une infinité de façons de concevoir de tels agencements, sans qu'aucun critère de vérification objectif ne permette de dire que certains sont "vrais" et d'autres "faux", il y donc a une infinité de théories musicales contradictoires possibles, sans que ça ne pose problème.



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J'ai dit que traiter une théorie comme un modèle prescriptiviste était une erreur, un exemple de confusion entre carte et territoire, mais il y a une possible exception : les théories de la valeur.



Une théorie qui cherche à identifier ce que les individus et les groupes désirent, voire à définir objectivement des états de la réalité comme désirables en et pour eux-même, une théorie qui n'a pas un caractère strictement prédictif, et au contraire appelle à l'action de façon proactive — une théorie qui dit qu'il *faut* amener la réalité vers un certain état, au minimum pour satisfaire certains désirs humains, au maximum parce que ces états sont objectivement supérieurs et qu'il y a un impératif métaphysique à tendre vers eux — c'est un type de théorie où la prescription n'est plus une erreur d'interprétation de la théorie, mais bien son objet, ce pour quoi elle est conçue : une théorie qui construit une échelle de mesure et en définit certains points comme plus importants, plus désirables que d'autres, comme ayant plus de *valeur* — valeur qui peut être morale (bien et mal), esthétique (beau et laid), significative (raison d'être et vanité) [voir ma critique du tome 2] ou même économique (abondance et rareté).



Il y a cependant une différence fondamentale selon qu'on pense ces théories comme subjectives, comme une description de la psychologie humaine, des valeurs qui sont *dans nos têtes*, ou comme objectives, comme une description de la valeur en tant que propriété physique de l'univers aussi réelle que la masse. Cette différence influence le genre de théorie de la valeur qu'on peut construire : la théorie de la valeur travail fait sens si on pense la valeur économique comme une donnée métaphysique, liée de façon inhérente aux objets et représentative de leur identité fondamentale (leur âme) et du travail (énergie vitale) qui y est investi (insufflé), mais elle ne tient pas la route si on pense cette même valeur comme une description de la psychologie humaine, de ce à quoi les individus *attribuent subjectivement* de la valeur — dans ce cas-là, la théorie de l'offre et de la demande est bien plus cohérente ; autrement dit, il faut avoir un peu la foi pour être communiste !



Si on pense ces théories comme objectives, alors elles sont *terminalement* prescriptives — la théorie nous donne un ordre, une injonction dont dépend l'équilibre cosmique. Si on les pense comme subjectives, alors elle ne sont qu'*instrumentalement* prescriptives — elles nous indiquent une marche à suivre pour satisfaire les désirs humains, mais sans nous dire qu'il est obligatoire ou impératif de satisfaire ces désirs.



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Dans ma critique du tome II, j'ai à peine touché aux implications de mon nihiliste — c'est très facile d'avoir un nihilisme superficiel, de confondre ça avec du simple cynisme (confusion faite autant par ceux qui dénoncent que par ceux qui se réclament du nihilisme), mais le nihilisme tissé jusqu'au bout de sa logique, ça va très loin dans la déconstruction de nos intuitions de la réalité, au point d'être difficilement intelligible — si je commence à disserter sur la négation des concepts d'identité et de passage du temps, cette critique va irréparablement s'égarer et oublier de parler du livre dont elle prétend être l'analyse.



Mais c'est pour dire que Vaquette et moi, on a des visions de la réalité, des théories qui se contredisent sur presque tous leurs fondamentaux. Et plus spécifiquement, on a des théories de la valeur qui sont de types différents ; j'adhère strictement à une vision subjective de la valeur, quand Vaquette en adopte ouvertement une vision objective — certes avec un certain degré d'ineffabilité, de transcendance, en ce que Vaquette cherche réellement à toucher à des valeurs universelles (donc nécessairement simples, en nombre réduit et ne pouvant pas être parfaitement quantifiées) plutôt que d'ériger ses propres désirs et dégoûts, nécessairement individuellement spécifiques, en un système étriqué qui est imposé à tous par narcissisme — et aussi avec une reconnaissance de la spécificité et de la variation individuelle des êtres humains, si bien que les *valeurs objectives* de Vaquette ont une toute autre dimension que celles d'un puriste racorni, d'un curé mesquin moralisateur ou d'un khmer rouge, qui se veulent universels alors que leur vision du monde ne dépasse pas la périphérie de leur propre nombril.



Amusant paradoxe : pour avoir des valeurs objectives, Vaquette doit avoir un peu (beaucoup) de foi — c'est à dire un peu d'intuition, un peu d'instinct, quelque chose de pas complètement rationnel et conscient qui lui donne une orientation pour construire un système moral objectif (ce n'est pas en soi spécifique à Vaquette, à ce jour aucun philosophe n'a réussi à ancrer l'idée de morale, à la faire dériver logiquement de la seule observation du monde physique) — alors qu'en étant dans une approche qui refuse l'irrationnel de la transcendance, je dois me contenter d'une moralité strictement subjective.



C'est le très ancien conflit qui a lieu dans notre cerveau entre raison et intuition, empirisme et foi, conscient et inconscient ; l'efficacité et la vitesse des réflexes contre la minutie et la planification des actes conscients, la lenteur et la paralysie de l'intentionnel contre les erreurs internalisées et la suggestivité de l'inconscient. Est-ce que le meilleur musicien est celui qui joue une pièce en état de transe, qui en a totalement assimilé la structure et n'a plus besoin d'y penser, ou celui qui joue cette même pièce avec sa pleine attention, qui l'a apprise consciemment par coeur et sait toujours exactement ce qu'il joue et où il en est dans la performance ? Quand est-ce qu'un machiniste a le plus de chance de se blesser : lors d'une opération inhabituelle et difficile qui lui demande toute son attention et toute sa concentration, ou lors d'une opération de routine qu'il peut accomplir en pensant à autre chose, mais au risque de ne pas voir venir une erreur mineure mais fatale ?



Bien sûr, personne ne peut se passer totalement de l'un ou de l'autre mode de pensée ; mais selon le degré d'équilibre qu'on privilégie entre eux, on arrive à des façons de voir le monde radicalement différentes.



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Ce qui différencie le modèle de Vaquette de la plupart des autres modèles qui admettent un degré élevé de foi dans leurs fondamentaux, c'est que son modèle à lui n'est pas *aveugle* : Vaquette désire certes amener la réalité vers un certain état, mais il le fait en gardant à l'esprit la réalité telle qu'elle est dans le présent. En contraste, la plupart des modèles prescriptivistes ne voient *que* la réalité désirée, et ne peuvent donc ni construire un chemin rationnel entre l'Être et le Devoir Être, ni faire évoluer ce Devoir Être quand de nouvelles informations devraient modifier, ou du moins ajuster leur modèle de la réalité, de ce qu'elle est et donc de ce qu'elle devrait être.



De fait, la plupart des prescriptivistes sont *philosophiquement* aveugles. Lorsqu'une personne devient subitement aveugle, il peut se passer plusieurs mois avant qu'elle ne *réalise* qu'elle est aveugle, parce que le cerveau ne regarde pas le monde directement : il regarde *le modèle du monde* qu'il construit seulement en partie avec les informations données par les sens — la plus grande part de ce que nous croyons nous souvenir est *prédite* plutôt que *perçue* par le cerveau, si bien que quand nous cessons de percevoir, on peut encore aller très loin par prédiction ; notre modèle du monde est intacte, quand bien même il n'est plus mis à jour par des stimuli extérieurs, et le cerveau peut mettre très longtemps à réaliser que ces stimuli ont disparu.



C'est le piège où tombe presque toujours un modèle de valeurs prescriptiviste : celui d'un modèle aveugle qui ignore la réalité et n'est informé que par lui-même, qui est plongé dans un état de rêve et d'hallucination, où ce qu'il croit percevoir n'est en réalité que ce qu'il imagine, qui s'éloigne de la réalité jusqu'à ne plus rien avoir en commun avec elle ; une psychose philosophique, en somme.



C'est le piège que Vaquette a su éviter — son prescriptivisme part toujours de la réalité telle qu'elle est pour construire l'idée de ce qu'elle devrait être. Il observe, attentivement, en profondeur, et son idéal se met à jour quand ses observations lui apportent de nouvelles données.



Rien que pour ça il a du mérite ; éviter comme je le fais le prescriptivisme par une vision subjective et nihiliste de la valeur, c'est beaucoup moins périlleux — même si ce n'est pas la difficulté d'une méthode qui en détermine la pertinence — ça c'est le sophisme de l'argumentum ad consequentiam souvent utilisé par les prosélytes religieux et par les critiques du nihilisme, qui dénoncent une vision athéiste/nihiliste des choses sous prétexte qu'elle serait déprimante et/ou facile — mais notre modèle du monde n'a pas à être plaisant ou déplaisant, il a à être "vrai".



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Et pourtant, malgré ces différences semb
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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 3

Avant d’écrire cette critique j’ai relu celles que j’avais écrit pour les deux premiers tomes. Voilà un rapide résumé de ce que j’avais dit : tout ce qui touche à la prostitution ne m'a jamais excité ou rebuté. Idem pour les polars. Mais là où c’est chouette, c’est que ce polar est un prétexte utilisé par l’auteur pour décrire différents univers, ceux où évoluent Alice (l'héroïne escorte assassinée) au fil de sa vie, que l'on découvre via son journal intime, et les mêmes univers/lieux, mais revisités au présent quelques années plus tard par le commandant Lespalettes (chargé de l'enquête). Au fil des pages on se rend compte qu'on est en fait en train de lire un roman social, bien plus profond qu'un simple «Qui a tué Alice ?» Fin du résumé de ma critique des deux premiers tomes. Ce troisième tome est, à mon humble avis, le plus intéressant, mais aussi le plus difficile.



La première chose que je retiens de ce troisième tome, c’est que c'est une thèse. Une magnifique thèse, grande et belle, en béton armé, au sens propre comme au sens figuré. Et comme souvent avec les thèses, c'est long, et de nombreuses fois je me suis arrêté au bout de vingt pages pour reprendre le lendemain. Ce n’est pas tant la longueur ni le style (toujours percutant et efficace) qui m’a rebuté. On pourra très bien trouver ce troisième tome généreux, fouillé, documenté, philosophique, sociologique, mais dans le cas d’une personne qui a beaucoup apprécié la variété des situations des deux précédents tomes (l'adolescence, les petits boulots, les questionnements d'Alice, les différents personnages, les différents lieux etc) ce troisième tome aura un peu plus de mal à passer. Alice est comme qui dirait «installée», et ce côté statique m’a moins emballé. Mais peut-être faut-il passer par là ! Je dis d'ailleurs «installée» mais tout ce que dit Alice démontre aussi que cette «installation» n'est pas si sereine que ça.



La deuxième chose que je retiens, c’est que ce troisième tome est un magnifique plaidoyer pour la liberté. Pas pour rien que le mot est aussi visible sur la quatrième de couverture. Liberté d’un côté avec d’Alice qui s’épanouit en tant qu’escorte au lieu de se faire chier dans un boulot aliénant comme la très grande majorité d’entre nous, mais également liberté de Lawrence à qui ça ne pose pas du tout de problème que son amoureuse ai choisi cette voie-là. Car l’amour c’est (entre autres) encourager son ou sa partenaire dans une voie où il/elle s’épanouit, surtout si c’est une voie choisie. Laisser à l’autre sa liberté, son libre arbitre, sa conscience... On apprendra par ailleurs que d’un point de vue légal, apporter le moindre petit soutien à une personne qui se prostitue (volontairement ou non) fait de vous un(e) proxénète, comme si l’on mettait dans le même sac un homme qui prostitue sa fille de 8 ans et un coiffeur qui, voyant que des voyous emmerdent les prostituées bossant en face de son salon, décide de les héberger quelques heures le temps que les emmerdeurs s’en aillent. Les longs monologues de Lawrence face à Lespalettes pour faire comprendre que ça ne lui pose aucun problème qu’Alice se prostitue sont vraiment intéressants. C’est singulier de lire un tel point de vue. On pourrait dire sans problème que tout ce qui est dit par Lawrence dans ce troisième tome déborde de l’amour qu’il porte à Alice. Ca n’est pas rien. Une très belle continuité du deuxième tome.



Les très longs posts d’Alice où elle défend sa condition de prostituée sont également parfaits. Elle nous parle de son indépendance, des gens qui veulent interdire la prostitution, de ces gens qui veulent l’abolir - il y a d’ailleurs un passage très intéressant sur la différence entre ces deux notions. C’est vraiment une plongée intéressante dans un univers que je ne connaissais pas. C’est si bien décrit qu’on se demande si Vaquette n’a pas vécu tout ça lui-même !



Si le thème de la prostitution (et exclusivement ce thème) vous intéresse, ce troisième tome sera une lecture bien plus intéressante que les deux premiers. D’ailleurs il pourrait se suffire à lui-même. Il pourrait être le texte d'un monologue théâtral, oui, franchement ça aurait de la gueule. Les «stigmates» (je vous laisse découvrir par vous-même) sont admirablement décrits, avec tout ce qu’ils impliquent. Je me répète, mais c’est une thèse : c’est très intéressant, mais malheureusement parfois long. Ceci dit les nombreux livres ou documentaires cités par Vaquette m’ont donné envie de creuser le sujet histoire d’être un peu moins bête. Après un troisième tome si bien fourni, sans concessions, documenté et intelligent, est-ce que j’ai hâte de lire le quatrième ? Mille fois oui.


Lien : http://www.crevez-tous.com/v..
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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 3

vaquette, le rudéral



le troisième tome du grand polar social "du champagne, un cadavre et des putes", met en suspens son intrigue policière pour mieux rentrer dans le journal intime de feu son personnage principal, alice. 

ce qui peut se concevoir comme un essai à part entière dans le corps même du roman, sera l'occasion de décortiquer la prostitution sous toutes ses facettes, afin d'en faire saillir le concept de stigmate, et ainsi renverser la place de la putain dans la société.

cette partie impressionnera alors par le monumental travail de l'auteur qui, à force de rigueur, parviendra à condenser la somme de ses approches dans une démonstration dont la limpidité tiendra du tour de force.

ce troisième tome pourrait de ce fait et sans lacune se suffire à lui-même, au point de soulever une question éditoriale inattendue: à une époque où l'émancipation des femmes a pris le relais de leur cul pour faire du beurre, la moindre librairie met aujourd'hui en avant son rayon féministe, au sein duquel il n'est pas aberrant d'imaginer que le journal d'alice, s'il avait été authentique (ou pas), aurait tenu une place de choix entre les publications de mona cholet ou d'elsa dorlin (en dépit d'un sujet et d'une approche plus marginale, certes, qui l'aurait plutôt rapproché de grisélidis réal).

cette perspective aussi paradoxale qu'injuste, et pour hypothétique qu'elle soit, nous renvoie vers la seconde thématique qui traverse à la fois ce tome-ci, le roman entier et pour ainsi dire tout le travail de vaquette: la marginalité, qui elle-même, décidément, est une affaire de stigmate.

à l'instar du rapport entre flaubert et madame bovary, il est évident qu'alice porte en elle une part conséquente de son auteur, au point d'être pour lui une sorte de masque, ou de costume. nous y sentons ainsi, plus qu'avec n'importe quel autre personnage, l'implication intellectuelle et sensible de l'écrivain, au risque parfois de fragiliser l'assise de la jeune femme dans une dépossession aux limites de la schizophrénie. 

dans son écriture même, alice est une force qui danse sur un fil, dont le déploiement semble une marge reliant l'histoire dans laquelle elle se trouve prise (le polar dont elle est la victime) et l'existence dans laquelle elle tente de se réaliser (le journal intime dont elle se veut être la maîtresse).

mais le roman de vaquette sera aussi le témoignage d'une destinée brisée. si la prostitution aura été un moyen d'émancipation pour alice, elle aura également été pour cette autodidacte un premier territoire où éprouver sa vocation littéraire.

emporté par le personnage d'alice, le lecteur de son journal n'aura dès lors de cesse de se poser la question de savoir ce qu'elle aurait pu écrire si une mort prématurée n'avait pas interrompu ses ambitions. aurait-elle creusé sa voie vers des essais tels qu'elle aurait pu en tirer un de son journal, ou bien aurait-elle exploré des chemins plus débordants, et peut-être retrouvé une marginalité cette fois littéraire, celle que partagent les artistes par trop singuliers à qui les librairies sus-nommées ne réservent aucune place sur leurs étals?

vaquette aura travaillé des années à faire vivre "son" alice, nourrie au plus profond du réel, nourrie de vies et d'idées éprouvées, ni entièrement réaliste, ni entièrement hors-du-monde; rappelant la phrase de stevenson: "le roman est une oeuvre d'art non pas tellement par ses ressemblances avec la vie que par les différences incommensurables qui la séparent d'elle".

à lire ce nouveau tome du "champagne, un cadavre et des putes", on mesurera ces différences incommensurables qui nous ramènent de plein fouet à la vie par les chemins détournés de l'expérience littéraire.

les aventures d'alice se poursuivront au tome suivant, enrichissant ce paradoxe, rarement poussé aussi loin, consistant à rendre son âme à un cadavre. que la grâce et la gloire y soient rendues.

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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 3

S'il s'inscrit dans la continuité des deux précédents, ce tome marque également une rupture forte dans la perception que j'en ai eu : fini de contextualiser, il est temps de rentrer dans le dur !



Dans ce tome, nous alternons entre les passages du journal d'Alice dans lesquels elle parle de sa condition d'escort, et même plus généralement de la condition des prostituées (Super-Alice contre les sales putes, avouez que ça se pose là !), avec ceux des auditions formelles ou informelles de Lawrence, dialogues tournant au monologue et cristallisés autour de la même idée : quelles sont les causes et les conséquences de la stigmatisation active subie par les prostitués.



Comment ça, plus de 400 pages de thèses pro-putes ? Exactement ! Et c'est tout simplement brillant !



Brillant dans le propos : on est loin du débat bas de plafond, on est loin de l'endoctrinement ou du prosélytisme. On est dans le juste rappel historique et sociétal, on est dans le don généreux de l'ensemble des clés nécessaires pour se forger sa propre opinion. Le discours est richement développé, les pensées solidement étayées. Aucun détail n'est laissé au hasard, aucun biais, aucun préjugé, mais sans cesse sera questionné ce qui est de l'ordre des faits, et ce qui est de l'ordre de l'opinion.

Brillant dans la forme, également. Ce tome est, je pense, celui qui m'a le plus impressionné par la maîtrise de sa structure narrative, de son ton et de son rythme. Les passages racontant une histoire étant peu présents (mais formant tout de même d'indispensables respirations), il faut toute la maîtrise de l'auteur pour rendre vivant des chapitres entiers d'explications. Il va sans dire que c'est parfaitement exécuté. Qu'on ait l'impression de se faire engueuler (non, c'est pas moi, Alice, juré, craché !), qu'on finisse un chapitre en se disant : "Non mais, sérieusement ", qu'on ait envie de hurler, de répondre, de s'indigner avec ou contre les personnages, qu'on se demande où l'auteur veut en venir, on vit cette lecture avec l'intensité d'une épopée. Le propos s'arrête toujours au moment où il le doit, les respirations ponctuent parfaitement le récit, l'alternance surtout, entre les écrits d'Alice et les paroles de Lawrence, différentes mais intriquées, se répondant parfaitement avec pourtant une rupture de ton abyssale, est en elle-même un prodige.



Ne croyez pas, cependant, que l'auteur en a profité pour délaisser ses personnages au profit de ses thèses. Ce tome est également celui où les deux protagonistes principaux se montrent le plus impudique. En effet, si connaître l'histoire de quelqu'un permet de le cerner, entendre la vision qu'il porte sur les choses, découvrir la façon dont il présente ses arguments, observer, surtout, de quelle façon il évoque ceux à qui il s'oppose est infiniment plus éclairant.

La luminosité d'Alice éclate, irradie, déborde quand elle enfile ses gants de boxe. Même quand elle tire à boulets rouges, même quand elle me semble injuste, même quand je ne la comprends pas, je ne peux qu'admirer sa fougue, et me laisser emporter par sa passion. Par contraste, Lawrence apparaît de plus en plus sombre, en figure cynique détachée que plus rien ne peut atteindre, quand la tristesse semble s'échapper de chacune de ses phrases.



Plus de 400 pages, donc, lues avec autant de fougue qu'elles semblent avoir été écrites, qui m'ont émue, attristée, offensée, enthousiasmée, fait rire... confortée, aussi, sans trop de surprise...

Une lecture qui, encore, demande de l'implication et de la confiance en un auteur qui sait toujours où il veut aller, même si parfois le chemin est chaotique.



Une dernière chose : ce tome peut sans trop de soucis se lire indépendamment des deux premiers. Il est (pour le moment du moins, qui sait ce que nous réserve l'avenir ?) le point d'orgue du récit, la concrétisation de ce qui a été construit durant les 2 premiers tomes. Si vous souhaitez prendre le train en route, montez à cet arrêt. Pour ma part, j'attends la suite du voyage.


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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 3

Dans la continuité des deux premiers tomes, une vraie démarche respectueuse envers le lecteur pour lui demander de creuser, s'il ne l'a pas encore fait, une réalité sociale avec les bons mots, et donc les bonnes pensées, en interrogeant ses préjugés afin bien sûr de les dynamiter pour faire augmenter l'intelligence collective.

À une époque qui mène une guerre à mort contre l'intelligence, l'intransigeance, l'effort et l'objectivité anti - narcissique des vraies catégories de pensée, c'est un véritable travail de santé publique que continue de nous offrir Vaquette.
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Les neuf salopards

Bonjour je m appelle Christelle et je suis la personne pour qui à été dédicacé ce livre.je l ai lu d un trait et je tiens à remercier cet auteur qui pars ces écrits ma fait comprendre que je n'étais pas coupable mais la victime en commençant par mon défunt compagnon qui ma réduit au néant et ces justiciers qui ne sont bon que pour l humiliation

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Les neuf salopards

Avec ce livre, Vaquette témoigne de son expérience de juré d'Assises.

Il observe avec dégoût une justice de classe qui est tout , sauf juste, en ce demandant c'est quand, et sur les pieds de qui, qu'il va dégueuler!



Si certains lecteurs ne sont pas convaincus qu'il existe une justice (et un hôpital public?) pour les notables et une pour les clodos, paumés, écorchés, punk, trisomique, assistante maternelle...et quand on pense que la trisomie peut mener jusqu'au haute sphère de l'Etat...)Ce livre va les en convaincre, c'est sûr! Les interludes Et les bonus ne sont pas à jeter non plus.

Un livre écrit avec des tripes, des larmes et une immense humanité.



Je conseille vivement de le lire, le prêter le partager, l'acheter sur crevez-tous.com

au pire tu le voles à la FNAC.





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Les neuf salopards





LES NEUF SALOPARDS



J'ai reçu ce matin par la poste une belle enveloppe rouge, les habitués de Vaquette la reconnaîtront aussitôt... elle contenait le dernier opus de cet auteur : «  Les Neuf Salopards « – opus acheté sur son site www.crevez-tous.com/vpc : 16 €

Je me suis plongé dans sa lecture dès l'ouverture de l'enveloppe et me voilà en ce début de soirée à la fin de la page 280, autant dire que je l'ai dévoré.



Sans être aussi élaboré que le précédent (du champagne...), ce n'était pas le but puisqu'il s'agit d'un cri de guerre et de désespoir lancé à la société, il remplit son office d'éveilleur de consciences.

C'est le récit de l'expérience vécue, il y a quelques mois, par Vaquette comme juré d'assises et qui se situe entre Zola et Coluche – je ne mets aucune dérision dans cette comparaison. Zola (bien que Vaquette se réfère plutôt au Victor Hugo des Misérables « Fantine !! ») Zola ou Hugo donc pour la misère absolue des protagonistes, misère qu'on imaginerait comme trop romanesque en ce début de XXIème siècle, et qui pourtant, preuve à l'appui, continue de hanter nos rues et nos quartiers. D'où le Coluche des restau mais pas seulement : le Coluche de l'ironie, de la dérision, du mauvais esprit, qualités revendiquées fièrement par T.E. V...

Dieu (?) Merci cette ironie permet de respirer un peu au milieu de cette accumulation de désespoir, d'incompréhension, de mauvaise foi . Sans quoi que nous reste-t-il ? Prendre à notre tour un couteau de cuisine pour égorger tous les affreux responsables de cette misère ? Ou bien s'en servir contre soi pour ne plus rien voir ?

Ce pamphlet partisan et engagé n'est pas dénué de mauvaise foi, mais il est écrit avec suffisamment de sincérité et à l'aide d'une langue riche et vivante qui confirme que l'auteur n'est pas simplement un polémiste mais aussi et d'abord un véritable écrivain.

Pour confirmer ce qui précède, je me permets de reproduire ceci :



« Bref, j'écris ce livre pour ça. Parce que si je ne suis pas sûr que ma voix dissonante trouve sa place ici pour juger à mon tour cette affaire – et la justice en prime ! - du moins je suis certain que ma présence parmi ces jurés ne servait à rien, à rien de rien – sauf à pleurer, écrire un livre, le dédicacer à Madame l'accusée en espérant que ça lui donnera un soupçon de confiance en elle qu'elle mérite et dont elle a été trop souvent privée …. »



Je vous conseille de vous précipiter sur le site de Vaquette pour vous procurer ce bouquin qui fait du bien.

… Et si vous ne pouvez pas l'acheter volez le... comme le conseillait Choron autrefois



L'abbé Dubois
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Les neuf salopards





Excellent pamphlet qui se lit en une semaine et qui fait mal en faisant du bien.



Ça m'a fait mal parce-que j'ai naturellement de l'empathie et comme l'Auteur

en a aussi, les passages sur la victime sont douloureux d'injustice.

La vérité qu’il nous offre de cette affaire souligne la nature systémique des "problèmes de la Justice" et l'importance des considérations de classes sociales dans les processus de jugement, majoritairement implicites.



Ça m'a fait du bien de lire la misère humaine où on l'attend moins et sans larmoyance ou surjeu, juste un regard humain sur les choses qui fait du bien à lire.

Cette façon de faire rend les passages les plus vindicatifs d'autant plus touchant que tout est vrai, juste.



La création n'est souvent qu'un terme marketting pour débaucher des artistes ratés tout juste bons à cliquer pour piloter leur MacOS pour lequel ils se sont endettés et les faire travailler pas cher dans la communication "digitale". Tout paraît plus ou moins faux selon qu'on prend en compte la technique, le scénario ou le jeu d'acteur. Ici l’auteur est sincère et que ça se ressent tout au long de l'ouvrage. Et ça fait du bien de la sincérité dans un monde de dupes, fils de dupes et fèkniouze à gogo.



La prise avec le réel devient de moins en moins évidente et c'est bien dans le réel, le vrai que se construit le style de l’auteur, habillé de rouge, mais surtout de ses principes s'attachant à comprendre tout à tous les échelons pour déceler les causes profondes des actions humaines.

La déshumanisation des rapports inerve toute la société, on réifie le sujet en le réduisant à un ensemble de données, la précision des mesures en éloigne la réalité des faits.

Je ne sais pas si tout ça fait sens, mais c'est comme ça que j'entend humanisme et humain dans tout ce que j'ai dis et que je l’ai compris de ce livre.



Je partage l’analyse du processus de décision judiciaire comme étant orienté à dessein pour perpétuer une justice de classe par la complexification inutile des procédures et les mécanismes de domination/humiliation auquel il recourt.

Ce livre apporte une parole rare, sinon inexistante qu'il faut d'habitude aller chercher au fond d'études de sociologies mal financées, des publications de l'OIP, ou du club de Mediapart et le talent de l’auteur, c'est d'y apporter son point de vue unique en restant fidèle à lui-même.

L'utilisation de pratiques BDSM pour mettre en lumière les bassesses et la villenie des humiliations de la Cour sur l'accusée et la profonde injustice qui y est rendue est très maligne et va plus loin qu’une simple mode à la « 50 nuances ».

Si y a pas de consentement ou si les règles sont faussées y a pas de fun, juste de la violence à la "Irréversible", traumatisante.



En conclusion, du point de vue évolution artistique, l’Auteur est resté fidèle à sa parole "Plus j'vieillis plus j'suis radical", je respire c'est pas prêt d'être Renaud.

C'est peut-être juste l'habitude de lire des trucs complexes, mais j'ai pas été perdu ou soulé un seul instant par l'écriture bordélique et les notes de bas de page, son style s'affirme le plus sous cette forme et je crois que c'est comme ça que je le préfère : quand ça part dans tous les sens et qu’on en prend plein la tête, digressions-sur-parenthèses ponctuées de pages de pubs et de quelques coups de rangeots dans les dents des méchants. J'ai même appris des trucs sur Hello Kitty!



Quand on connait son oeuvre, on approuve, quand on connait moins, on

confirme, quand on ne connaît pas... on devrait.
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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 2

Avec ce deuxième tome, Tristan-Edern Vaquette nous invite une fois encore à nous questionner -entre autres-sur la Qulture et la Choucroute, l'Amour et le consentement...

La suite de cette enquête est tout aussi jouissive que son début dans le tome 1.



Malgré tout, l'interrogatoire de Leïla (la weshwehsmagueuletavuoubienjchuipasunepovshlag de service) m'a un peu saoulé et dans la vrai vie je ne suis pas sûr que l'inspecteur Lespalettes ne lai pas prise violemment par le fion, en lui intimant l'ordre de fermer sa grande bouche à pipes tout en lui éclatant la face contre le radiateur...

Ah oui certaines descriptions de repas au restaurant ne m'ont pas transcendés n'ont plus.



Cela ce polar polymorphe est fortement bien (en même temps, c'est écrit par le Prince du Bon Goût).



Quoiqu'il en soit vous pouvez passer commande, c'est un chef-d'oeuvre de littérature.

Vivement le tome 3!
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Les neuf salopards

L'IndispensableE Tristan-Edern Vaquette juré d'assises, ça donne «Les Neuf Salopards» un petit (mais costaud) pavé de 280 pages, mélange de témoignage de terrain (comme le ferait (bien) un journaliste), de digressions tantôt informatives, drolatiques, mais toujours fraîches, ce qui permet de respirer un peu tant l'ambiance est pesante. Bon ok, parfois, j'avoue, il m'est arrivé de sauter les digressions les plus potaches, car ce qui m'intéressait c'était le déroulement du procès, et pour cause, ça prend littéralement aux tripes.



Ce livre est un témoignage, certes, mais surtout un hommage à la première personne jugée dans ce livre. Un hommage incisif et poignant dont on ne ressort pas indemne. Un hommage malheureusement trop court tant il y aurait de choses à dire sur l'usine à gaz qu'est la Justice, le fait de traiter les accusés de «monstres» quand ils sont en fait de simples êtres humains comme vous et moi, la justice de classe qui fait qu'on garde un clochard une douzaine d'heures à l'hôpital avant de le renvoyer chez lui pour qu'il y meurt trois jours plus tard d'une hémorragie non détectée, quand un fils Hollande ou un fils Sarkozy aura eu une chambre VIP et n'en serait ressorti qu'une semaine plus tard après une batterie d'examens. L'hôpital sera-t-il inquiété ? A vous de le lire dans le livre.



Le saviez-vous ? Ecrire un témoignage «inside» est puni d'un an de prison et quinze mille euros d'amende. le saviez-vous ? Si on ne se présente pas à la convocation on risque une amende de 3750 euros. Oui oui. Bon, en fait, 135. Pourquoi ? Mystère. le saviez-vous ? Sur les 35 personnes convoquées (plus 10 suppléants) seuls 8 resteront, les autres étant «récusés» (refusés) tantôt de la voix forte de l'avocat général, tantôt de la voix encore plus forte de l'avocat de la défense, tout cela à la tête du client. Un joli concours de bites où les musiciens et assistantes maternelles sont considérés «trop laxistes», les petits commerçants, notaires et agriculteurs étant eux considérés, eux, «trop punitifs».



Que dire enfin du passage sur les «experts» qui passent une heure en tête avec l'accusée et délivrent un diagnostic considéré comme «la vérité», quand de l'autre côté les jurés passent une journée entière à écouter l'accusée raconter sa vie et ont un avis on ne peu plus différent de l'expert.



Impossible de ne pas lire ce livre sans en ressortir passablement énervé contre cette machine à broyer les êtres humains, mais également contre ces jurés ravis d'être convoqués et qui n'ont qu'une hâte : punir et humilier. (Attention, ils ne sont pas tous comme ça, mais dans ce le cas de ce procès, c'est criant.)



En guise de bonus, l'auteur nous gratifie de «Pourquoi j'ai tiré dans l'tas» déclaration d'Emile Henry à son procès le 27 Avril 1894 pour attentat anarchiste. Un texte intéressant, qui, même si l'on est pas d'accord avec son auteur, a le mérite d'éclairer sur le pourquoi de ses actions. le saviez-vous ? «Les Neufs Salopards» est en vente ici : http://www.crevez-tous.com/vpc


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Les neuf salopards

Le dernier-né de Tristan-Edern Vaquette est un objet littéraire inaccoutumé, mélange impeccable de témoignage et de pamphlet.

Issu de l'expérience de l'auteur en tant que juré d'assises, il peut se découper en deux parties, la première partie étant le récit (plus ou moins romancé) du déroulé des audiences, et la seconde une série de réflexions générales sur la justice.



On sent dès le début de la lecture que cet ouvrage a été écrit dans l'urgence de coucher sur le papier tout ce que cette expérience a apporté à l'auteur. Le texte est brut, souvent émotif. Le sujet même évoquait un livre à l'ambiance lourde, au contenu très sensible et engageant, ce qui se confirme bien à la lecture. Il est cependant particulièrement bien équilibré par les digressions de l'auteur (on y retrouve vraiment tout ce qui fait le sel d'un livre de Tristan-Edern Vaquette), qui permettent des respirations souvent salutaires.



La première partie a ça de passionnant que l'auteur a su parfaitement vulgariser le déroulement et les enjeux des différentes phases des audiences. Pour comprendre comment fonctionne la justice au sens large, il est indispensable d'en comprendre les rouages. Accéder aux détails de l'organisation d'une audience est donc primordial. Vaquette nous en fait une visite guidée des plus décapante, aussi exhaustive que sans compromis.

Il faut dire que plonger au cœur d'une cour d'assises est très éprouvant. Pour le cœur, pour l'âme, pour les convictions aussi. Pour les illusions, encore plus, et si vous en aviez encore, vous allez rapidement les mettre de côté.

Bien judicieusement, si cette expérience fait forcément parler son émotion, l'auteur n'en perd aucunement sa capacité de réflexion et son acuité si distinctive.



Après avoir parlé aux émotions, il parle ensuite plus particulièrement à la raison, et dénonce les biais et les limites de la justice telle qu'elle est appliquée dans notre pays dans une série d'envolées dont il a le secret, beaucoup moins provo que je ne l'aurais cru (surtout après ses mises en garde) mais sauvagement dénonciatrices. Regarder en face notre justice, ça fait mal, mais c'est un exercice nécessaire.



Comme pour Je ne suis pas Charlie, je pense qu'il est impossible de lire ce livre sans s'interroger sur son propre rapport à la justice.

Je ne peux pas dire que son contenu me soit apparu comme une révélation, tant rien dans ce qui est dénoncé ne m'étonne, cependant, il m'a permis de pousser un peu plus loin ma loyauté à mes propres convictions. Facile d'être du côté de l'accusée principale de l'ouvrage, beaucoup moins quand d'autres affaires sont évoquées tant elles parlent aux tripes. C'est pourtant salutaire, et lire ce livre m'a assurément permis de m'y retrouver.



Pour conclure, je conseille évidemment la lecture des Neuf Salopards pour qui s'intéresse à la justice, c'est même un excellent guide pratique si vous deviez vous retrouver, un jour, juré dans une cour d'assises.
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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 2

De l'amour, du grand, du beau !



"Du champagne, un cadavre et des putes", tome deux ! Avant de lire cette critique, je vous invite à commander le tome un sur le site de l'auteur. C'est fait ? Bien, alors on peut y aller.



Après un premier tome histoire de planter le décor, ce second tome débute en nous déroulant tout le passé de Lauranne (la colocataire d'Alice, assassinée). Et de sa mère aussi, au passage. On est ici sur une très intéressante étude de personnages, et c'est un délice de comprendre pourquoi chaque personnage fait telle action car tout son passé l'a amené à cette décision. Comme dans un (bon) procès : on doit juger une personne sur ses actes, oui, mais avant de la juger c'est bon de savoir ce qui l'a amené à passer à l'acte. C'est en prenant de la distance, de la hauteur, qu'on apprécie mieux une situation.



Comme pour le premier tome, les situations sont des prétextes pour aborder différents sujets de société. Et cette façon de décrire l'enfance, l'adolescence puis le début de la vie d'adulte de Lauranne durant une bonne centaine de pages, c'est vraiment intéressant, car si dans le premier tome on pouvait avoir une vision superficielle de ce personnage (plutôt insupportable), ici on comprends mieux son caractère, ses choix, que l'on les aime ou non.



Cette partie alterne entre son témoignage (via une discussion), passages du journal en ligne d'Alice (qui parle d'elle), témoignages de gens qui l'ont rencontré, tout ça via le commandant Lespalettes. Impossible de ne pas faire un parallèle entre Alice, qui a grandi dans la misère (autant matérielle qu'intellectuelle) mais rêvait d'évasion, et l'enfance dorée (ou presque) de Lauranne, qui avait tout pour "réussir", mais qui ne désirait rien au fond d'elle.



Pour continuer sur cette lancée, on en apprend plus sur Lawrence, un personnage dont je ne dirais rien ici (pour garder la surprise) mais qui lui aussi pourrait (et peut) faire tout ce qu'il veut grâce à la fortune de son père, mais qui a par contre choisi sa vie : retaper un vieux château, apprendre à faire de la très bonne cuisine, plutôt que de profiter facilement de la notoriété de son père et devenir musicien reconnu. Reconnu, certes, mais devenir une star mondiale via les réseaux de son père, où est le mérite ? Ce passage est un prétexte pour l'auteur de parler des "fils et filles de" (Souchon, Hallyday, Chédid etc) et de déterminisme social. Un déterminisme qui fait que les "fils et filles de" trouveront naturel de suivre la même carrière que leur parents (dans le sens "c'est possible de faire ça") quand les gens moins bien nés s'interdiront probablement jusqu'au fait même de rêver être musicien/artiste, qui d'ailleurs pour beaucoup de gens n'est pas un "vrai" métier.



Un autre passage sur la vie de Lawrence est prétexte à l'auteur de parler des milieux artistiques et culturels en France, où tout le monde aime les rebelles, mais personne ne les programme en festival, car ça pourrait choquer, ou alors l'artiste ne rentre pas dans un cadre bien défini, avec une étiquette immédiatement compréhensible... Ici, difficile de ne pas comprendre que l'auteur parle de son vécu. Je dis "ce passage", mais c'est fantastiquement développé, ça prends le temps, ça construit, ça analyse, ça développe, tout ce qu'on ne trouve presque plus aujourd'hui. Qu'est-ce que ça fait du bien ! Quand on aime voir les choses poussées à fond, ça fait plaisir.



La suite du livre traite de la love story entre Alice et Lawrence. Ici, ça voyage pas mal, ça nique beaucoup, ça mange bien, ça nique (encore) et je vous invite à le lire vous-même pour vous faire une idée. Je ne veux pas résumer ça à quelque mots jetés ici, ça serait tellement réducteur... Allez, je craque : Le Caire, Lascaux, Venise, l'Espagne. Ecrit comme ça, ça fait carte postale, mais dans le livre ça doit faire pas loin de deux cent pages. Des pages non pas juste remplies de descriptions, mais de pensées, d'attitudes : le passage ou Alice s'allonge au sol pour fixer des heures durant la chapelle Sixtine (au lieu de faire un selfie puis d'aller faire un autre selfie dans un autre endroit) est très beau.



J'en reviens à ma comparaison avec Seigneur des Anneaux dans ma critique du tome un : imaginez Aragorn face à la cité de Minas Tirith, mais au lieu de juste se taper une grande et belle description, on a une grande et belle description, oui, mais on a en plus les pensées d'Aragorn qui se pose dix milles questions sur les gens qui ont construit ça, leur but, ce dont ils voulaient témoigner etc. Personnellement, je trouve ça passionnant.



Et, encore une fois, c'est un prétexte à l'auteur pour nous exposer son point de vue sur notre société qui fait qu'on ne prends plus le temps pour dire pourquoi on aime quelque chose, on lâche un like et on passe à autre chose. Un autre passage dans la grotte de Lascaux est l'occasion de dépeindre cette activité on ne peut plus inutile (mais belle) de peindre des animaux sur le mur d'une grotte, alors qu'on devrait être (en principe) occupé à chassé ou se reproduire. Ceci dit, sur ce passage, j'ai vu un documentaire qui expliquait que les hommes préhistoriques auraient pu peindre ces animaux pour provoquer la chance. Tapez "chasse magique" dans Google.



Dans tout ça, l'enquête suit son cours, doucement, au fil des discussions, des évocations et des souvenirs. Un élément devient un autre prétexte à une critique sur notre société, mais je n'en dirais pas plus pour garder la surprise, il y en a plein et c'est un régal. Disons que ça parle beaucoup de consentement, que jouer un jeu, s'évader le temps d'un instant et laisser libre cours à ses fantasmes ne signifie pas qu'on est comme ça dans la vie de tous les jours, et que, merde, chacun a le droit de faire ce qu'il veut de son cul si c'est entre adultes consentants. J'en profite pour dire que ce second tome est on ne peut plus plein à craquer d'amour entre Alice et Lawrence. Mais pas d'un amour naïf, non, plutôt d'une relation extrêmement épanouissante, sans aucun(s) non-dits. Oui, il est beaucoup (beaucoup) question d'amour dans ce tome deux, et je dois dire que, de la part de l'auteur, qui m'avait jusqu'ici plus habitué à du trash-intello, c'est surprenant. Amour entre deux personnes faites pour être ensemble, amour pour le vin, pour l'architecture, la cuisine, les voyages.



Vous me lisez toujours ? Bien. Ce deuxième tome est fascinant, car on a envie d'en savoir encore toujours plus sur ces personnages, et jusqu'à présent, il n'y a (enfin, pour moi) pas le début d'un indice sur qui a tué la victime, du moins qui aurait eu un intérêt à le faire. Mais quand je vois les noms des chapitres du prochain tome, je me dis qu'il y aura sûrement le début d'une piste. Et ce sera l'occasion d'en savoir encore un peu plus sur la vie de ces personnages, et pour l'auteur l'occasion de développer ses points de vue sur notre monde. Hâte de lire le troisième tome !

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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 1

"Franchement, quel Talent!

Vraiment.

C'est intelligent, documenté, prenant, surprenant, philosophique, sociologique… un peu comme si Gérard de Villiers et Frédéric Dard côtoyaient Foucault (Michel, pas Jean-Pierre), Bourdieu et de Gaulejac dans une boîte à touze de province.

Brillant, très brillant."

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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 2

À quoi sert cette critique ?



— Si vous avez lu le tome 1, vous savez déjà si vous lirez le tome 2.

— Si vous avez pas lu le tome 1, ma critique en dit déjà l'essentiel, qui reste vrai pour le tome 2.

— D'autres ont déjà écrit des critiques du tome 2 et dit tout ce qu'il y avait à en dire.



Puisque qu'il semble que cette critique ne serve à rien (mais je reviendrai sur cette notion d'utilité), que presque personne ne va la lire, et qu'à la fin, qu'on la lise ou pas, je suis pas payé, je peux donc faire ce que je veux, genre un texte complètement en dehors de ce qu'on attend normalement d'une critique ("l'habitude tue l'amour", nous dit Vaquette), jusqu'à parler d'autre chose que du livre.



Je vais en parler aussi (on est pas chez Desproges), mais pour en parler, je vais parler d'art, de Vaquette, et surtout, de moi.



Je suis un nihiliste.



Je l'entends comme ça : là où la plupart croient, consciemment ou pas, que la valeur est intrinsèque, absolue et terminale, je crois moi qu'elle est extrinsèque, relative, et instrumentale.



Définitions :



— La valeur, c'est ce qui présente un caractère désirable, *prescriptif*, c'est ce qui *doit* être (ou devrait être). Quand je parle d'esthétique (beau/laid, délicieux/fade), de morale (bon/mauvais, juste/injuste) ou de raison d'être (utile/inutile, sens/non-sens), je ne fais pas que décrire la position d'un objet dans une échelle de valeur, j'exprime un jugement sur la position où il *devrait* être (ce que signifie ce "devoir être" va dépendre de si on est un nihiliste ou pas, j'y reviens).



— Si la valeur est intrinsèque, elle est propre aux objets, aux personnes, aux actes, au même titre que la masse et la température ; c'est une propriété physique qu'on peut mesurer de façon objective. Si elle est extrinsèque, elle ne dépend pas des choses elles-mêmes mais des individus qui regardent et jugent ces choses ; elle n'est pas une propriété physique, mais une impression subjective.



— Si la valeur est absolue, elle est la même partout et tout le temps ; les échelles de valeur sont indépendantes des modes, de la culture, de l'éducation, de l'expérience ou du point de vue, et dans l'idéal, tout le monde peut découvrir ces échelles et arriver à la même conclusion ; le beau, le bien, la raison d'être sont des constantes. Si la valeur est relative, elle dépend du contexte ; les échelles de valeur sont aussi variées que les individus, et au lieu d'une unique vérité physique, il y a de multiples vérités *conventionnelles* propres à différents groupes humains ; le beau, le bien, la raison d'être sont des variables.



— Si la valeur est terminale, elle existe en elle-même et par elle-même, elle est sa propre justification ; le beau, le bien, la raison d'être sont désirables, impératifs en tant que fin, il faut y aspirer par principe. Si la valeur est instrumentale, elle n'existe que comme moyen vers la satisfaction d'un instinct ou d'un désir, et seul ce dernier a un caractère terminal ; le beau, le bien et la raison d'être, leur désirabilité ne se comprend que comme le chemin obligé vers une destination unique, l'outil approprié à une tâche précise.



En plus simple : le nihilisme, c'est rejet de la foi. Pas seulement de la foi en Dieu, dans la nature, en l'homme ou dans le surnaturel, mais la foi au sens large de toute croyance dans un concept abstrait impératif, indémontrable et irréfutable. Je rejette la foi religieuse, la foi humaniste, mais aussi la foi dans la morale, la justice, les nations, les idéologies, la famille, le clan, l'ethnie, la race… et dans l'art.



La plupart des gens sont des positivistes — ils ont foi dans au moins certains concepts abstraits, mais rarement avec cohérence, car la foi se heurte souvent au réel, et il est plus facile de plier ses croyances à la réalité que l'inverse. Si je me détache moi de l'écrasante majorité par mon nihilisme, Vaquette lui s'en détache par la cohérence de son positivisme : chez Vaquette, la foi est pure de tout compromis. Pas n'importe quelle foi, pas la foi religieuse ou nationale (on pourrait en débattre, mais je n'y reviens pas), mais la foi dans l'homme, la foi dans la morale, et surtout, la foi en l'art.



Mon rejet de la foi me conduit à rejeter la notion d'âme — pas juste au sens religieux, mais au sens de l'individualité propre d'une chose ou d'une personne, de sa nature abstraite irréductible, séparée de ses caractéristiques physiques, dans une vision dualiste de la réalité. J'adopte à la place à une vision structuraliste où l'identité est une illusion, où chaque objet et chaque personne est le produit de l'ensemble de ses traits physiques, de son histoire et de son contexte, et changer un seul de ces éléments change l'ensemble.



Ceci me conduit au rejet de la notion de libre arbitre ; si nous sommes entièrement le produit de notre physicalité, il en va de même pour les choix que nous faisons. S'il n'y a pas d'individualité propre, alors un choix entièrement détaché de la physicalité d'un individu, entièrement libre de toute causalité matérielle, est un choix fait au hasard.



Et s'il n'y a pas d'âme, s'il n'y pas de libre arbitre, s'il n'y a pas, en somme, de singularité individuelle qui élève un homme au-delà du statut de machine biologique complexe mais strictement déterministe, ça pose un gros problème pour la notion d'art.



En préface à son *Portrait de Dorian Gray* (auquel Vaquette fait référence dans ce tome II), Oscar Wilde affirme que l'art, c'est ce qui ne sert à rien. Ignorons le paradoxe d'une telle affirmation en ouverture d'un roman d'apprentissage (j'ai pas lu le *Portrait de Dorian Gray*, mais vous allez voir si ça m'empêche d'en parler) qui délivre explicitement au lecteur une leçon de vie et de morale, tout sauf un roman dépourvu d'utilité affichée, donc — Wilde a écrit sa préface pour défendre son oeuvre contre les critiques, peut-être que sous le coup de l'émotion il n'a pas choisi le meilleur ni le plus cohérent des arguments, ou peut-être que c'est une facétie de sa part, une provocation, il affirme par défi que l'art ne sert à rien alors qu'il pense le contraire — peu importe, prenons l'argument tel quel et examinons-en les ramifications.



En disant que l'art ne sert rien, on cherche à le dégager de toute contrainte utilitaire, à le distinguer de l'artisanat, de l'ingénierie, du divertissement, du jeu, du liturgique ou de l'éducatif — ce qu'on peut appeler les contraintes de destination. Mais on cherche aussi à le dégager des contraintes d'origine : l'expression artistique doit provenir de l'âme inaltérée de l'artiste, de son libre arbitre ; l'artiste doit créer quelque chose de totalement singulier et original, sans se laisser influencer par la mode, la bienséance ou l'idéologie dominante, sans que ça réponde à l'appel de la gloire, de la fortune ou du pouvoir.



Cette définition réduit de manière drastique — et surtout biaisée — le champ de l'art. Elle exclut presque toute oeuvre d'avant l'ère romantique, en grande majorité produites sur commande ou sous la protection d'un mécène, et toutes pourvues de fonctions religieuses, politiques, didactiques ou divertissantes explicites. Exit donc Bach, Mozart, Beethoven, Molière, Shakespeare, sans même parler de tous ceux qui sont venus avant. Exit aussi la plupart des oeuvres produites hors de l'Occident, où la séparation entre création artistique et fonctionnalité est un phénomène encore plus récent et marginal.



Le seul artiste possible, c'est un aristocrate européen, assez riche pour consacrer toute sa vie à une création pure et dénuée de fonction pécunière. Il ne s'adonne qu'à des arts dépourvus d'applications matérielles : peinture, littérature, sculpture… le reste, marquetterie, menuiserie, architecture, *construire* des choses qui puissent *s'utiliser* ? C'est pour les roturiers, pour les *artisans* — peu importe que la distinction soit artificielle, qu'il soit possible de peindre de façon utilitaire ou de faire de la marquetterie sans chercher à créer un meuble utilisable. L'artiste est un homme, ou du moins il (l'artiste) ne s'adonnera qu'à des formes typiquement masculines. La peinture, oui, la broderie, non — encore une fois, artificialité et hypocrisie de la distinction.



(les puristes voudraient que j'écrive "pécuniaire" et "marqueterie" ; *voudraient*)



Ces mêmes aristocrates de l'ère romantique ont bien sûr inventé cette définition de l'art qui leur donne le rôle central en dénigrant presque tout le reste — on a quand même intégré l'antiquité gréco-romaine et les périodes baroques et classiques dans le canon de l'art européen, après en avoir effacé le contexte historique (et donc la fonction) avec une mauvaise foi consommée.



Vaquette a conscience de cette ambigüité et l'exprime à travers Lawrence qui, s'il concède que l'architecture et la cuisine sont des arts moins "purs" que la littérature ou la musique, puisque "fonctionnels", ne les rejette pas entièrement hors du domaine de l'art — il établit, au plus, une hiérarchie dans l'art, plutôt qu'une distinction binaire entre l'art et le non-art.



Le paradoxe de cette définition est qu'elle reprend une critique bourgeoise envers une activité perçue comme "inutile" parce qu'elle n'est pas mercantile, parce qu'on ne peut pas la rationaliser en vue d'une exploitation commerciale (du moins c'est ce qu'on croyait à l'époque). "L'art ne sert à rien" était à l'origine une insulte, que l'aristocratie artistique a tournée en qualité, renversant le sens mais préservant l'hypothèse de départ.



Les deux versions se répondent : la frivolité des artistes aristocratiques conforte les bourgeois dans leur mépris de l'art, et ce mépris permet à ces mêmes aristocrates de se peindre en artistes torturés et "oppressés" par le bourgeois, alors que les vraies victimes sont les autres artistes, ceux sans sécurité financière, que ce mépris étouffe et tue, à la grande satisfaction de l'aristocratie qui voit ainsi ses concurrents potentiels écartés d'avance.



Dès qu'on accepte cette définition, on a beau prétendre qu'on en inverse les conclusions, il devient très difficile de s'en extraire et de ne pas en considérer certains des postulats comme acquis alors même qu'on croit les rejeter. Les exemples de cette ambigüité surgissent dans le texte de Vaquette quand les mêmes personnages tour à tour font l'éloge de l'art parce qu'il "ne sert à rien" avant ensuite d'attaquer la société mercantiliste contemporaine parce qu'elle vend aux gens "des tas d'objets qui ne servent à rien".



Mais ce qui achève cette définition, c'est l'absurdité de la notion de création sans fonction. Toute création volontaire a au moins pour fonction de répondre à… une volonté créatrice — pardon pour la redondance. Créer est un besoin psychologique, et la première fonction d'un objet créé est de satisfaire ce besoin. On peut objecter qu'il y a une hiérarchie des fonctions d'où résultent des arts plus ou moins purs (encore Lawrence, l'architecture et la cuisine), mais on a alors déjà changé les termes du débat et renoncé à une distinction binaire sur la base du fonctionnel/non-fonctionnel.



Si je reviens sur la notion d'instrumentalité de la valeur, sur l'idée que l'utilité n'est pas quelque chose qui existe en soi, mais n'a de sens que rapportée à un but donné — un marteau n'est pas utile dans l'abstrait ; il est utile à celui qui veut planter des clous ou défoncer un crâne, là, tout de suite — alors rien n'est *au-delà* de l'utilité ; tout objet a le potentiel pour être tour à tour utile *à* et inutile *à*, selon la tâche et la personne.



Si on abandonne la distinction art/non-art, qu'on la remplace par un continuum dans la création, qu'on reconnaît qu'il existe une infinité de nuances entre le singulier et le sériel, la surprise et l'attendu, la difficulté et le confort, l'instinct et le calcul, la planification et l'improvisation, la force et la subtilité, le risque et le savoir-faire… alors il faut aussi admettre qu'il existe une infinité de façons de *percevoir* ces nuances. Chaque cerveau est unique et a sa propre idée de là où se situe l'extrême fine frontière entre deux catégories perceptuelles — il n'y a pas deux locuteurs français qui ont exactement la même idée de là où s'arrête le [p] et commence le [b], et on ne donnera jamais le goût du vin à un homme dont la langue est, par la génétique, hypersensible à l'amer et hyposensible au sucré (ou alors que du sauternes et du monbazillac, et encore en y ajoutant du miel).



On abandonne donc l'idée de l'art, au singulier, pour celle des arts, aussi multiples que les membres de leur public. On peut tenter d'agréger, de dégager un consensus, de dire "voyez, la *majorité* reconnaît la beauté de la Joconde" — mais la *majorité* mange aussi des plats à réchauffer, et plus on fait la moyenne des préférences, plus on efface les nuances et les extrémités qui font la qualité du plaisir individuel.



Ce qui me réconcilie alors avec Vaquette, c'est la distinction entre actes et idéologie qu'évoque Lespalettes. Dans l'idéologie, c'est à dire le système et la vision du monde qu'on construit pour expliquer et justifier nos actes, il y a une grande part de rationalisation — on se trouve *après coup* des raisons plausibles d'agir, parce que la réalité crue est moins accessible, moins agréable : il est plus facile de parler de beauté en termes mystiques que d'admettre que nous sommes avant tout attirés par les signes de richesse et de bonne santé, qui nous aident à trouver un partenaire de qualité pour transmettre nos gènes. Dans l'Europe prémoderne, la peau blanche est sexy — elle indique que vous travaillez en intérieur, donc pas comme paysan ; dans l'Europe post-industrielle, la peau bronzée est sexy — elle indique que vous avez le temps et les moyens de prendre des vacances au soleil.



À la place, on donne dans l'abstraction, dans l'idéalisme, on construit un système si flexible qu'il peut justifier n'importe quel acte, et réciproquement, le même acte peut se justifier par une infinité de systèmes différents. L'important, ce sont les actes eux-mêmes. Et c'est dans les actes qu'on se retrouve Vaquette et moi.



Dans l'acte créatif donc — art ou artisanat, peu importe, les catégories sont arbitraires, et les étiquettes qu'on met dessus le sont doublement —, dans un livre d'une immense exigence à la fois par le style, l'histoire et le propos, qui passe outre toutes les règles associées au format romanesque moderne — en fait rien de plus que des béquilles, utiles pour (ré)apprendre à marcher, mais bien encombrantes quand on veut courir un marathon comme Vaquette — et nous sert des pages entières sans retour à la ligne, des descriptions qui s'étalent à n'en plus finir, des monologues qui galopent sur plus d'une dizaine de pages, une narration thématique qui se joue de la chronologie…



Et ça fonctionne, pourvu qu'à l'immense exigence de l'auteur envers lui-même réponde aussi une grande exigence envers le lecteur — non pas que seuls les gens trop intelligents et cultivés comme moi peuvent lire ce roman, tous les autres qui sont trop cons et vulgaires c'est même pas la peine, mais plutôt qu'entrer dans ce livre et l'apprécier pleinement demande un effort de concentration, de persévérance et d'implication — l'exigence demandée au lecteur, ce n'est pas une exigence extérieure, un test de QI à passer, c'est l'exigence que le lecteur doit avoir *envers lui-même*.



Là, oui, je m'y retrouve. Quand les actes parlent aussi clairement d'eux-mêmes, pas besoin de philosophie.



(c'est gonflé comme conclusion après une critique qui ne parle *que* de philosophie)
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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 1

Dans une des bandes-annonces originales du film Orange Mécanique, sur l'allegro vivace de l'ouverture de Guillaume Tell de Rossini, orchestré et interprété au synthétiseur Moog par Wendy Carlos, un défilé épileptique d'images tirées du film était entrecoupé de très brefs intertitres aguicheurs, chacun ne contenant qu'un seul mot en lettres capitales blanches sur fond noir : WITTY. FUNNY. SATIRIC. MUSICAL. EXCITING. BIZARRE. POLITICAL. THRILLING. FRIGHTENING. METAPHORICAL. COMIC. SARDONIC. BEETHOVEN.



WITTY. FUNNY. COMIC.



Chez Vaquette, l'humour, cet humour intello-trash si spécifique, à la fois de très mauvais goût et très sophistiqué, est un contrepoids nécessaire à la gravité, à la noirceur et à la lucidité du texte. Une comparaison rapide avec les travaux plus anciens de l'auteur pourrait laisser croire que l'humour s'est un peu effacé, un peu mis en retrait dans ce nouveau roman, mais ce n'est pas ça : il est simplement mieux intégré ; pas nécessairement plus "subtil", au sens de poncé et élimé, mais plus en phase avec le ton noir d'une histoire qui se plonge dans la misère et la médiocrité humaine.



C'est un humour qui se loge dans les descriptions, les propos et les actes d'individus pathétiques et étriqués ; dans le plaisir à la fois sadique et moral que le commandant Lespalettes prend à briser, sans aucun tact, les masques et les mensonges de ces individus ; dans le décalage et le malaise de ces scènes de cul où l'homme et la femme n'ont pas du tout la même perception de ce qui est en train de se jouer ; dans toutes ces scènes et situations humaines et sociales qui pourraient tomber dans le burlesque tant elles semblent absurdes, mais qui sont pourtant tragiquement réelles ; dans la verve abrasive et brute d'Alice, notre héroïne posthume, comme dans celle nadsatienne et dessalée de sa collègue Shéhérazade — pour une fois qu'un auteur illustre le jobelin des banlieues autrement que pour s'en moquer avec mépris !



SATIRIC. SARDONIC.



Vaquette déroule méticuleusement sa critique effilée des micros-mondes de la société française, en contrastant les discours formatés et apologétiques qui cherchent à vendre tel ou tel mode d'organisation avec la réalité crue et violente qui se cache derrière, voire en nous jetant au visage d'autres discours complètement cyniques qui n'essayent même plus de dissimuler la nature des modes de domination qu'ils défendent.



Vaquette montre la colère, la rage, la frustration, le désenchantement, le dégoût qui naissent chez ceux qui se confrontent à ce jeu truqué où tout est fait d'avance pour broyer quiconque cherche à s'élever socialement autrement que par quelques chemins étroits et balisés à la destination prédéterminée et encore loin, très loin du sommet. Il nous fait entendre le son de la révolte, bien trop souvent vouée à l'échec mais parfois malgré tout superbe, contre toutes les saloperies, toutes les cruelles mesquineries que les forts font subir aux faibles.



MUSICAL. BEETHOVEN.



Les références musicales sont toujours à l'honneur chez Vaquette, et sans œillères, pas d'époque ou de genre au delà de quoi il serait interdit de s'aventurer ; les citations de paroles de chansons viennent à point pour illustrer une scène, une situation, un ressenti. Et tout ça contraste avec le thème récurrent des bars et des restaurants où la musique est intentionnellement désagréable et trop forte, le sens de la fête imposé avec le flingue sur la tempe.



Et on trouve de la musique encore dans le rythme si particulier de cette histoire, dans ces aller-retours affranchis de tout ordre chronologique, entre une enquête dans le présent et une vie vécue dans le passé à travers un journal intime, séquences indépendantes mais dont l'accumulation finit par former une projection holographique d'où émerge une histoire narrativement et thématiquement complexe.



EXCITING. THRILLING. FRIGHTENING.



Chez Vaquette, on n'est pas dans une description froide et détachée de la misère — et ce malgré la convocation d'extraits de textes universitaires qui viennent contextualiser telle ou telle scène, y ajouter de la profondeur d'analyse et nous sortir de l'anecdotique et du pure cadre fictionnel — on est dans le viscéral, dans le sensible, dans le vécu, on ne se contente pas d'une reconstruction post-mortem de la vie de l'héroïne, on souffre avec elle de la cruauté et de l'indifférence des gens qui l'entourent.



Alors même que l'histoire d'Alice est doublement racontée au passé, à la fois par l'enquête de Lespalettes et par les pages du journal d'Alice, qui, si elles sont plus directement ancrées dans sa vie à elle, restent cependant dans une dimension rétrospective, le sentiment qui domine pour le lecteur est pourtant celui de l'anticipation, de l'attente nerveuse de ce qui va se passer ensuite — quand la conclusion est pourtant connue dès les premières pages.



BIZARRE. METAPHORICAL.



L'héritage littéraire du marquis de Sade s'incarne chez Vaquette, comme il s'incarnait jadis chez Rebatet, dans ce talent pour le foisonnement, pour la conciliation des extrêmes, sans pour autant que cela ne se neutralise — l'acide et l'alcalin côte à côte gardent leurs propriétés distinctes sans jamais se précipiter. Des scènes de cul côtoient des discussions philosophiques sur la résilience et l'estime de soi ; des phrases proustiennes répondent à des flots d'argot ; la misère la plus noire dialogue avec le grand luxe ostentatoire ; la bassesse humaine la plus cynique se confronte à la grandeur d'âme et de cœur.



Cette richesse tant dans le style que dans les thèmes reflète l'entièreté de l'expérience humaine et de celle de l'auteur. Il ne s'agit pas simplement de raconter une histoire policière, certes riche et complexe, mais bien de développer un véritable roman social, dans la lignée de Hugo, Balzac ou Zola, sur des thèmes personnels chers à l'auteur, où plusieurs visions du monde et systèmes moraux se confrontent dans leur tentative de façonner la société.



POLITICAL.



Si ce premier tome a été publié en décembre 2018, il faut savoir que le travail de l'auteur sur ce roman a commencé en 2010, et que la rédaction de ce qui constitue l'équivalent du premier volume été déjà achevée en novembre 2013. Cette chronologie a toute son importance parce qu'elle dévoile, malgré ce "décalage" dans les dates, tout le côté visionnaire de l'ouvrage. Il n'y a pas à chercher loin, par exemple, les raisons de la crise des gilets jaunes, tout est déjà là : les campagnes abandonnées à la misère, coupées des transports en commun, l'écologie punitive des citadins contre les ruraux, le logement en ville hors de prix, le déclassement des travailleurs, le sabotage du bien commun par les entreprises du CAC 40 menées par des traders sans aucune perspective à long terme — la colère et la désillusion qui se sont emparé d'une grande partie de la France, avec des cristallisations parfois très violentes, n'ont rien de mystérieux devant cet exposé de la situation juste quelques années auparavant. Et quand on voit à quel point 2019 a été une année brûlante, partout dans le monde, du même moule que 1848 ou 1968, on se dit même que ces considérations résonnent bien au delà de la France.



Au delà du polar, au delà même du roman social, on a donc un premier tome déjà d'une grande lucidité politique, un témoignage sociologique précieux sur la France des années 2010 — et ce n'est donc que le premier volume ; l'auteur nous a prévenu, il a encore bien plus à dire, ça n'est presque qu'un avant-goût ! On ne peut donc qu'attendre la suite avec impatience en se demandant à quel sommet l'ensemble s'élèvera une fois qu'on aura toutes les pièces !
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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 1

Si on m'avait dit un jour que je dévorerais en une semaine un livre de quasiment 400 pages dont le titre est "Du champagne, un cadavre et des putes", je ne l'aurais pas cru.



Premièrement, je n'aime pas l'alcool et je n'échangerais pas une bouteille du meilleur champagne au monde contre une barquette de myrtilles. Deuxièmement, je ne suis pas du tout polar. Cette idée de devoir découvrir qui est l'assassin ne m'intéresse pas trop, comme le monde des flics, des truands etc. Récemment j'ai découvert la série Columbo (à quarante ans, tout arrive) et j'aime mieux l'idée de voir comment l'inspecteur va coincer le coupable, que l'on connait dès le début de l'épisode. Troisièmement, tout ce qui touche à la prostitution, aux escorts ou au "monde de la nuit" ne m'a jamais attiré, fasciné ou excité.



Ces trois postulats font qu'en principe je n'aurais jamais lu ce livre. Sauf que je connais le travail de l'auteur, Tristan-Edern Vaquette, depuis presque vingt ans. Les plus curieux et curieuses iront sur Wikipédia pour connaitre ses œuvres antérieures, mais pour faire court, disons que c'est un artiste performer, musicien et écrivain. Je suis son œuvre depuis une vingtaine d'années, j'avais adoré son roman précédent ("Je gagne toujours à la fin") et j'étais très curieux de découvrir son dernier livre.



De quoi s'agit-il ? D'un roman policier prévu pour s'étaler sur 4, 5 ou 6 volumes (si j'ai bien compris). Le premier tome est paru fin 2018. Si au départ on peut être rebuté par un polar faisant 400 pages - avec en plus un "à suivre..." à la fin - j'encourage tout le monde à au contraire plonger dedans, car ce livre, c'est bien plus que ça ! Le polar n'est que la surface de l'œuvre, le contenant, un prétexte qu'utilise Vaquette pour décrire différents univers, ceux où évoluent Alice (l'héroïne assassinée) au fil de sa vie, que l'on découvre via son journal intime, et les mêmes univers/lieux, mais revisités au présent quelques années plus tard par le commandant Lespalettes (chargé de l'enquête), et au fil des pages on se rend compte qu'on est en fait en train de lire un roman social, bien plus profond qu'un simple "Qui a tué Alice ?"



Tout ou presque est prétexte à aborder différents sujets : les familles qui n'encouragent pas leurs gosses, les marchands de sommeil, les agences de mannequins, les vieux porcs des bars à hôtesses, les galères, la justice... Y compris des choses plutôt lumineuses comme le moment où Alice travaille dans une boite avec un patron "cool". Et c'est un vrai délice de voir le commandant Lespalettes recadrer à peu près toutes les ordures qu'ils rencontre (et aussi être bienveillant avec les autres, car l'ambiance est pas mal "men are trash" dans ce livre, et tant mieux, mais y'a aussi de la lumière).



Autre chose intéressante : le livre n'est pas juste un aller et retour entre le passé et le présent. Il y a également des passages que l'on pourrait apparenter à des documents qu'un policier collerait au mur dans une série, les reliant avec des fils à d'autres éléments. Ainsi, quand Alice rencontre un mec qui a eu des soucis de justice, on lit la plaidoirie touchante de son avocat, comme un flashback dans un flashback. De même, quand Alice monte à Paris et bosse dans un bar à hôtesses, on lit le post d'un membre de ce bar faisant sa description sur un forum internet. Tout est vraiment fouillé, détaillé, y'a un côté "Je me presse le citron pour que tout soit le plus vrai possible" qui est fantastique. Un peu comme si Tolkien, au lieu de passer 10 pages à nous décrire la cité Minas Tirith, utilisait ces 10 pages pour nous faire lire le journal intime d'Aragorn, ses états d'âmes, ses questionnements etc.



L'œuvre de Vaquette étant jusqu'ici plutôt "masculine", j'ai été très agréablement surpris de le voir écrire (en grande majorité) du point de vue d'une jeune fille. Lire l'histoire d'Alice en sachant qu'elle finit plus tard assassinée donne un parfum tragique à l'ensemble, comme un compte à rebours macabre. Un compte à rebours d'autant plus macabre qu'au fil de la lecture on sent une immense envie de liberté de la part d'Alice, et c'est un vrai calvaire que de la voir naviguer de Charybde en Scylla, même si par moments des rayons de lumière pointent au travers des nuages obscurs. Un calvaire, certes, mais on a aussi envie qu'elle s'en sorte, et cette empathie avec le personnage est brillamment construite.



Le passage qui m'a le plus touché du livre est probablement le moment où elle trouve (enfin) un boulot stable avec un patron cool, et même un mec sympa, sauf que... Sauf que quand on bosse 35 heures par semaines, on a presque plus le temps de lire, de faire des projets personnels, quand on rentre le soir on est crevé. On a l'assurance d'avoir un CDI, oui, mais et le frisson de l'aventure ? Où est l'aventure a avoir un poste stable où il ne se passe rien ? Où est l'adrénaline quand on a de grands projets dans sa tête, une gigantesque envie de liberté, d'indépendance, des rêves fous, mais que toute notre vie est finalement réglée par un emploi du temps bien millimétré ? Je pense aux paroles de la chanson d'Alain Souchon "Le Bagad de Lann-Bihoué" : Tu la voyais pas comme ça ta vie. Pas d'attaché-case quand t'étais p'tit. Ton corps enfermé, costume crétin. T'imaginais pas, j'sais bien. Moi aussi j'en ai rêvé des rêves, tant pis. Tu la voyais grande et c'est une toute petite vie. Tu la voyais pas comme ça, l'histoire. Toi, t'étais tempête et rocher noir. Mais qui t'a cassé ta boule de cristal. Cassé tes envies, rendu banal? (...) Doucement ta vie t'as mis K.O..."



Ce premier tome se termine par un beau suspense (que je ne dévoilerais pas ici) qui donne très envie de lire la suite, car même si on sait qu'Alice va finir assassinée, même si l'on se doute (un peu) que le commandant Lespalettes coincera le tueur (ou la tueuse ?), j'ai vraiment envie de découvrir la suite de son parcours, une suite d'autant plus alléchante que les titres des prochains chapitres sont annoncés à la fin de ce premier tome...



J'en ai peut-être trop dit dans cette critique, mais de toute façon le temps que vous commandiez le livre sur le site de Vaquette (http://www.crevez-tous.com/vpc/) le temps qu'il arrive et le temps que vous le lisiez, vous aurez oublié ce que j'ai écrit. Merci de m'avoir lu jusqu'au bout, et bonne lecture !
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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 2

Il y a des livres où l'on s'ennuie.

Des livres qui font transpirer.

D'autres qui distraient.

Et puis il y a la synthèse de plus de trente ans de parcours de Tristan-Edern Vaquette, auteur exubérant, doué, intransigeant, provocateur, profondément humain, aussi humble en réalité qu'il se présente spectaculairement comme outrancier, dans le but de nous bousculer, nous faire rire, et quelque part, paradoxalement, nous inviter à devenir mieux que nous-mêmes en nous shootant cérébralement dans les couilles.

Ce livre-là fait partie des rares qui peuvent modifier le lecteur en profondeur, et lui permettre, non pas de consommer une idée et un moment de loisir, mais de trouver un chemin d'incarnation pour, s'il le souhaite et veut aller jusque-là, transformer son parcours.

De là même façon que le coup de foudre n'arrive pas quarante fois dans une vie, il est rare de se faire gifler par un livre, et en plus d'en ressentir de la gratitude.

Ce livre est de cette espèce en voie de disparition.

Ne le laissez pas passer.
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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 2

Avoir eu, un jour, il y a plus de dix ans, le projet d'écrire un roman de 2500 pages racontant la vie et le meurtre d'une hôtesse de bar à champagne était insensé et suicidaire... Ce pari est en passe d'être gagné et de belle manière.

T.E. Vaquette vient de publier - à compte d'auteur, j'y reviendrai - le deuxième tome de cette saga. J'avais découvert, il y a un peu plus d'un an le premier tome qui présentait les personnages et j'avais été ébloui par la maîtrise de l'écriture.

Cette impression sort renforcée à la lecture du second tome .

Chaque protagoniste est vrai, crédible, chacun a sa propre façon d'être et de s'exprimer, nulle caricature cependant... Je recommande tout particulièrement Shéhérazade dont le langage "banlieue" est un chef d'œuvre de poésie qui a dû demander un énorme travail de recomposition à l'auteur et même si vous ne comprenez pas réellement le sens laissez vous porter par la musique comme vous le feriez avec Bach ou Wagner.

Bien entendu, le propos est beaucoup plus ambitieux, il ne s'agit pas d'un jeu d'écriture pour l'Oulipo, c'est à la fois un roman policier, un livre philosophique, une réflexion sur le monde de l'art, de l'Edition, des médias, une introspection sans complaisance, et même parfois un guide culinaire(!).

Chaque personnage principal est une pièce du puzzle permettant, me semble-t-il , de reconstruire Vaquette dans sa Vérité et son Intégrité (dans tous les sens du terme)



L'idée maîtresse de ce grand roman est de faire évoluer le personnage d'Alice à travers son journal intime, ce qui permet de la voir grandir, s'affirmer et devenir quelqu'un d'autre. Pour permettre de comprendre son évolution, l'auteur n'hésite pas à feuilleter ce journal dans le désordre, passant d'un moment à l'autre, revenant en arrière, sans pour autant perdre en cohérence. En contrepoint l'affrontement entre Lawrence, l'amant d'Alice, et Lespalette, l'OPJ chargé de l'enquête confronte deux visions du monde et des mœurs.



Quelques séquence peuvent choquer, et personnellement je n'aime pas beaucoup le titre qui fait "roman de gare" mais que cela ne vous rebute pas, le contenu vaut beaucoup mieux que le contenant.



Sans doute, cette œuvre a-t-elle été considérée par les tenants de l'Edition, comme trop intellectuelle, sortant par trop des sentiers (re)battus,, ou alors trop longue pour intéresser un large public.

Malgré tout, l'auto-édition permettra à quelques happy few la découverte d'une œuvre qui dépasse de plusieurs longueurs la majorité de la littérature française contemporaine.

Et puis... rien n'est encore perdu Proust n'a vendu que 300 exemplaires de la 1ère édition de la Recherche...

L'Abbé DUBOIS 15 mars 2021
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Du champagne, un cadavre et des putes, tome 2

(...)

Ce qui est sûr, c'est que Vaquette sait faire désirer ce qu'il semblait mettre au cœur de ce deuxième tome, car j'ai bientôt dévoré la moitié de cet ouvrage fort conséquent avant d'arriver enfin au récit d'une première rencontre.

Sacrée première partie, d'ailleurs : totalement inattendue, elle s'applique à développer longuement un autre personnage féminin, amie et colocataire d'Alice : Lauranne. Avant même de rentrer dans le vif du sujet, je donc déjà conquise par ce premier chapitre qui est un portrait vivant, une histoire abrupte racontée avec une immense lucidité et un sacré sens du concret. Juste dans chacune de ses facettes, ce récit nous gratifie, au passage, de véritables envolées contestataires dans lesquelles la passion des convictions réussit à triompher des objections.

(J'ai d'ailleurs évoqué l'une d'entre elles ici, pour les curieux).



Quand enfin, je suis arrivée au cœur de "l'histoire dans l'histoire", quand enfin Alice et Lawrence se sont trouvés, c'est une tout autre expérience de lecture qui m'est tombée dessus, sans que j'y sois vraiment préparée.

C'est en effet une histoire assez colossale qui est comptée. Un éveil du sentiment amoureux si brutal et presque démesuré entre deux être si entiers et excessifs ne pouvait que faire des étincelles. Il a fallu tout le talent de l'auteur pour réussir à la retranscrire sans perdre le lecteur, sans, non plus, mettre complètement de coté tout l'aspect social du récit qui se retrouve dans cette partie distillé discrètement mais toujours à bon escient.



Si lire le premier opus des aventures d'Alice, et même lire pratiquement la moitié de celui-ci amène à énormément réfléchir sur la société ; la lecture de cette histoire d'amour, m'a amené à une introspection terriblement forte. Chaque chapitre, chaque paragraphe, chaque ligne, chaque mot presque, poussent à réfléchir très violemment à ses propres aspirations, à son rapport à soi-même, à l'autre, au corps, au sexe. C'est brutal, profond, presque organique.

Si les fruits de cette réflexion importent peu, (peu importe la destination, seul le voyage compte, comme dirait je ne sais plus qui) l'aspect salutaire de l'avoir accompli est, a contrario, d'une importance capitale.

La lecture du premier tome fut presque une lune de miel comparée à celle du second, qui m'a fait ressentir des émotions bien plus vives. Plus l'histoire devenait lumineuse (et elle l'est assurément, presque impeccablement), plus je suis passée par tous les états d'âme : de l'attendrissement au mépris, de l'admiration à l'agacement et, une fois au moins, pas loin de la colère.

Au milieu de cette tornade, Alice apparaît plus éblouissante qu'il est possible de l'imaginer. Plus exaltée, volontaire, conquérante, forte et fragile que jamais. Cet aspect de son histoire lui permet de continuer à ciseler ses attentes et ses convictions. Loin de la limiter ou de la soumettre à une dépendance elle semble au contraire être le vaisseau qui lui manquait pour se lancer dans sa conquête d'elle-même, rendant l'ombre de sa fin tragique, qui plane sur l'ensemble du récit, d'autant plus dramatique.





L'écriture de Vaquette, dans toute sa précision et son amplitude, est parfaitement adaptée à la grandeur du récit, et la lecture n'est jamais ni pénible, ni ennuyante. Honnêtement, j'ai passé quelques dizaines (centaines ?) de pages à me poser de sacrées questions sur là où il voulait m'emmener, et ceci n'est, en revanche, pas la première fois avec cet auteur.

C'est pour cela que si d'aventure sa lecture te tente, je t'encourage à toujours persévérer et à ne jamais, jamais croire un seul instant, que cet auteur ait pu choisir, ne serait-ce qu'une seule fois la facilité. Tôt ou tard arrive le passage qui va te déstabiliser complètement, faisant jaillir mille réflexions, et te confirmer que tu as eu une très très bonne idée de te lancer dans l'aventure.

Sache enfin qu'il a cette qualité rare que n'ont pas tous les artistes : celle de donner à son lectorat tous les moyens pour s'enrichir selon ses propres souhaits.
Lien : https://www.senscritique.com..
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