C’est une fresque en noir et blanc qui libère la parole et détruit les préjugés. Des histoires mêlées, des témoignages d’hommes et de femmes qui se croisent, s’entrechoquent, s’embrassent ou se repoussent. Des histoires avec des noms, des traits ; des histoires vivantes. Donner un visage aux électeurs du Front National, telle était l’idée du documentaire photo réalisé par Valérie Igounet et Vincent Jarousseau. La première est historienne ; spécialisée dans le domaine de l’extrême droite et du négationnisme, elle fait également paraître cette année Les Français d’abord : slogans et viralité du discours Front National (1792-2017). Le deuxième est photographe ; travaillant régulièrement pour la presse (Libération, Le Monde, les Echos, il a également été nominé en 2015 et 2016 pour le Visa d’Or du meilleur reportage de presse quotidienne au festival Visa pour l’image à Perpignan. C’est de cette rencontre entre l’art, l’histoire et la politique qu’est née l’idée de ce projet. D’abord publiée dans la revue XXI avec le soutien de Patrick de Saint Exupéry, elle a ensuite vu le jour cette année aux éditions des Arènes.
Pendant deux ans, les deux auteurs ont suivi le quotidien de trois villes où le Front National a pu pousser la porte de la municipalité : d’Hayange (Moselle) à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) en passant par Beaucaire (Gard) ils ont observé, interrogé, photographié.
Du Front National, l’art nous avait offert un film, ou encore une Bande-Dessinée. L’œuvre de Valérie Igounet et Vincent Jarousseau s’inscrit pourtant dans une portée inédite. Au-delà de son format original qui mélange clichés en noirs et blancs et bulles, « à la manière d’un roman feuilleton » précise le photographe, l’objectif s’éloigne également de celui des productions antérieures. Il ne s’agit plus de fiction, ni même de dénonciation, mais bien plus de « donner à comprendre sur une partie du pays de l’électorat. » : « A aucun moment il ne s’agit de juger, indique Vincent Jarousseau, mais de laisser la parole aux invisibles, à ces gens que l’on moque ou que l’on dénonce à travers les médias. C’est tout simplement horripilant et contre-productif, mais c’est aussi très insultant pour eux. Les électeurs de l’extrême droite, c’est avant tout des gens qui se sentent abandonnés. » Valérie Igounet renchérit : « j’ai une casquette de chercheuse, pas de militante anti-FN. » C’est là tout ce qui fait la particularité de l’œuvre : un livre qui donne à voir sans tabou, sans mensonge, sans censure, avec des propos retranscrits à la virgule près de manière à rendre la parole de chacun la plus fidèle possible. « Nous nous sommes rendus près de vingt fois dans chaque ville, racontent les auteurs. D’abord pour connaître la ville, s’imprégner de l’endroit, puis surtout créer des liens avec les personnes. » Porte à porte, marchés, participation aux événements publics comme la fête du cochon, c’est tout le quotidien de ces trois villes qui a été vécu par les auteurs. Un travail qui en fait un ouvrage basé sur la confiance : aucun propos n’a été publié sans l’accord des protagonistes, de même que les photos. « Il s’agissait de les présenter de manière signifiante, explique Valérie Igounet, et non pas de les caricaturer. C’est ça qui fait toute la richesse de ce travail. »
Plutôt qu’un panel général du paysage frontiste, ce sont toutes ces vies, dans leurs particularités et leurs personnalités, qui sont alors révélées dans ce livre. L’électeur du Front National n’est plus un stéréotype vague, classé par la société et aux caractéristiques fixés. Dans ce livre, il gagne un visage, une histoire, un passé aussi.
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