Durant des siècles, la force de séduction de la belle endormie tenait à l'écart la séparant du spectateur. Regarder permettait d'imaginer, voire de fantasmer. Avec le sleeping porn, on entre dans une idéologie du tout consommable. La voie idéale pour atteindre le plaisir n'est plus l'imaginaire, la rêverie ou la tension du désir, mais le passage à l'acte, expression d'un matérialisme assumé, délivré de toute considération morale ou artistique. Il ne s'agit plus de contempler la dormeuse, mais d'épuiser les ressources d'un corps à disposition.
Le récepteur est à la fois le lecteur réel, dont les traits psychologiques, sociologique et culturels peuvent varier à l'infini, et une figure abstraite postulée par le narrateur du seul fait que tout texte s'adresse nécessairement à quelqu'un.
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Il y a d'un côté le lecteur inscrit dans le texte et, de l'autre, un individu vivant qui tient le livre entre ses mains. (p.24-25)
Envisagée dans son aspect physique, la lecture se présente donc d'emblée comme une activité d'anticipation, de structuration et d'interprétation. (p.10)
Mais la femme endormie est plus qu'une belle image. Ses relations avec l'art sont plus complexes. Prise dans la passivité et l'irrationalité du sommeil, elle incarne deux modes privilégiés de l'inspiration érotique : la disponibilité et le délire. Inconsciente, elle est à la merci de puissances obscures ; l'âme hantée par les songes, elle est porteuse d'une parole sacrée.
Dans l'acte sexuel avec la belle endormie, on peut distinguer deux cas de figure : soit la dormeuse n'est pas consentante et se montre, au réveil, furieuse d'avoir été instrumentalisée ; soit elle a, au préalable, donné son accord et ne nourrit envers son amant, aucune amertume. Dans l'une ou l'autre modalité, on s'éloigne nettement du fantasme kawabatien puisqu'on passe d'une idéologie de la contemplation à une idéologie de la consommation.
Ce que reflètent les sleep sex tubes, c'est le désoeuvrement de sujets apathiques et sans but dans un monde où tout est permis.