Virgile, je dois vous parler de quelque chose. c'est un sujet délicat. j'ai eu un appel du commissaire Véron, de la SRPJ de Montpellier. Le Procureur va ordonner une enquête sur la mort d'Anaïs Quentin. De nouveaux éléments contredisent la théorie du suicide.
Je m'étais donc engagé dans la ruelle, l'esprit aiguisé par la curiosité. Et elle occupait la vitrine, posée au milieu d'innombrables objets. Une machine à écrire Underwood noire et scintillante. Sans même en connaître le prix ou l'utilité de posséder ce genre de choses, je savais d'avance que j'allais l'acheter. J'entendais déjà ma femme Edwina m'inonder de reproches et de remarques blessantes. Tu n'as pas autre chose à faire plutôt que de ramener des conneries à la maison. Tu ferais mieux de chercher un boulot et de laisser tes rêves de côté. Si tu étais fait pour être écrivain, ça se saurait déjà.
Je fermai les yeux, incapable de comprendre ce qui m’arrivait. J’eus le souvenir d’avoir glissé une feuille dans mon nouveau jouet, en espérant un miracle. Mais, comme avec mon ordinateur, rien ne s’était produit. Aucune idée neuve. Alors j’avais écrit ce qui me passait par la tête, tout et n’importe quoi. Mes doigts s’étaient emballés, j’en avais perdu le contrôle. Mon cerveau s’était mis à bourdonner, puis le trou noir.
C’était une aubaine pour un écrivain comme moi en panne d’inspiration, bloqué sur une page blanche numérique effaçable en un clic. C’était peut-être ce qu’il me manquait, le bruit des barres à caractères qui se déplacent et viennent frapper la feuille de papier ; une écriture authentique, sans corrections automatiques ; des mots figés, moi qui tuais chacune de mes phrases en les reprenant sans cesse.
Je voulais juste lui montrer que même si j’arrêtais de travailler pour accomplir mon projet personnel, je m’occuperais en parallèle de l’entretien de la maison et de tous les petits travaux qu’elle aimerait que je réalise. Ça, c’était la version théorique, la version papier. Le numérique ça m’allait plutôt bien, je ne jonglais pas vraiment avec les perceuses et les tournevis.
Bien qu’en état de marche, je ne devais pas l’utiliser, le vieil homme aux lunettes épaisses et rondes m’avait mis en garde sur ce point. Il avait été solennel, presque inquiétant, peut-être essayait-il de justifier son prix exorbitant ? Cette machine-là avait une histoire. Toutes les personnes qui s’étaient aventurées à écrire avec avaient fini par perdre la raison.
Une chose était désormais claire dans ma tête, je n’étais pas amnésique. Pendant le récit de Bérénice, je pris conscience que j’avais beaucoup trop de souvenirs précis de ma vraie vie, à Saran, de ma femme Émilie. De mes journées à survoler mon clavier d’ordinateur sans en presser une touche, à regretter mon ancien job ou rêver de ma future carrière.
Il n’était de toute évidence pas un adepte des salles de sport, mais elle avait aimé son côté bien portant sans être disgracieux et son attitude un peu gauche. Il était différent de ses aspirations physiques, avec ses cheveux en bataille, elle qui aimait que rien ne dépasse, mais il avait ce quelque chose dissimulé derrière ses yeux bleus.
Sa vie n’était qu’un immense paradoxe. Il était donc parti précipitamment, poussé par l’envie de bloquer le compteur de son SUV et avait oublié de prendre ses papiers d’identité lorsqu’il avait changé de veste. L’étourderie, un autre domaine dans lequel il excellait. Habituellement, ça ne l’embêtait pas au point de faire demi-tour.
La peur que tout s’arrête, la réussite, la vie. Ne plus avoir d’argent. Les médocs étaient-ils responsables de ce qui s’était produit ? Il venait de tuer son meilleur ami car il se tapait le luxe de coucher avec sa traînée de femme, désormais ligotée dans sa cave. Il avait agi mécaniquement, conduit par la haine et la rancœur.