Vladimir Fédorovski

Car Tolstoï, comme en attestent ses journaux intimes, avait été gratifié par la providence d'un tempérament volcanique et d'appétits pantagruéliques. Mais était-ce un cadeau de la providence à ses yeux? Dans son journal, il avouait souffrir de la puissance de ce flot qui l'emportait sans qu'il puisse résister.

La bonne société trouvait le jeune Tolstoï "spécial". Paralysé par le trouble atroce qui le faisait rougir en présence des jeunes filles, il ne se résignait pas à s'effacer devant les autres et sa tante, qui lui tenait lieu de mère depuis que celle-ci avait disparu -- il n'était alors qu'un bébé --, le réprimandait : "Tu as toujours voulu te prendre pour un original, mais ton originalité n'est pas autre chose que de l'amour-propre."

A ses créations personnelles hantées par la recherche de l'amour, le génie de Tolstoï a su donner une ampleur épique et une portée universelle.

Critique du matérialisme et de l'individualisme du monde moderne, Tolstoï prônait les les vertus simples de la vie rurale, principale source de la civilisation russe.

Léon Tolstoï domina toute la civilisation russe. Plongeant par toutes ses racines dans l'histoire de son pays, l'écrivain fut, en quelque sorte, le héros de son temps. Il le fut par le style de sa vie, par la puissance de sa pensée et par ses amours.

L'incendie 1812
"Napoléon passa la première nuit de son arrivée dans Moscou près d'une porte de la ville ; le lendemain, il installa son campement dans l'ancien palais des tsars au Kremlin.

L'automne avait déjà effeuillé les arbres, exhalant une odeur âcre d'écorce humide. Derrière les épais murs de brique , l'enfant de la Corse pensait avoir réalisé le plus fou de ses rêves ; régner sur cette villle " fabuleuse, splendide, et chimériquement lointaine" .

Le 15 septembre 1812, l'empereur se coucha tôt. Certes, les informations étaient contradictoires mais il avait quelques raisons d'être satisfait. Les rapports de ses espions confirmaient que la noblesse russe voulait désormais la paix.

Soudain, une lumière éclatante envahit le chambre de Napoléon le réveillant en sursaut. L'empereur sortit de son lit , s'approcha d'une fenêtre, puis d'une autre. Partout le même spectacle : une lueur aveuglante, d'immenses tourbillons de flammes, des rues transformées en fleuves de feu, des bâtiments brûlant comme d'énormes buchers.

Un vent de tempête soufflait sur l'incendie le poussant droit sur le Kremlin. Les hurlements du vent étaient si forts qu'ils couvraient .." V.F.

Il entra en agonie le dimanche 18 août 1850 dans la matinée, et mourut à 23 h 30 entre Eva, désormais Mme de Balzac, et Victor Hugo, effrayé de le trouver dans cet état : "Il avait la face violette, presque noire, inclinée à droite, la barbe non faite, les cheveux gris et coupés court, l'oeil ouvert et fixe. Je le voyais de profil et il ressemblait à l'empereur."

L'effervescence du printemps ukrainien semblait vouloir le retenir -- ce printemps tant aimé de Gogol. A peine la neige avait-elle fondu au soleil, que cette riche terre entrait en amour, en folie, la vie éclatait en couleurs, en parfums.

Enfin ce fut l'heure tant rêvée. En février 1850, pour mettre fin au procès dont l'issue se faisait de plus en plus incertaine, Mme Hanka prit la décision d'abandonner ses droits sur l'héritage du comte Hanski au profit de sa fille pour pouvoir épouser Balzac. Ils se marièrent le 14 mars 1850 en l'église Sainte-Barbe de Berditchev dans une délicieuse intimité.

Un encrier, des plumes de corbeau, un carnet où il notait ses trouvailles et ses idées. Et bien sûr le café qui était devenu sa drogue noire. Il avait toujours sa cafetière. Elle était sa compagne nocturne et il y préparait son mélange secret : bourbon, martinique, moka.

En Ukraine, Balzac était resté le bourreau de travail qu'il était à Paris, et il lui fallait purger ses dettes s'il voulait que ce nid d'amour soit enfin le sien par les lois du mariage.

Il se lança alors dans un voyage que son manque de moyens rendit plus difficile encore, malgré l'enthousiasme qui lui donnait des ailes. Tout d'abord, il partit en train jusqu'à la Silésie d'où une diligence le conduisit à Cracovie dont il admira la cathédrale. Puis il traversa la Galicie en malle-poste, admiratif devant les bois de sapins. Il fut à cinq heures du matin dans la ville de Brody, propriété des comtes Potocki, mais il n'y trouva aucun accueil ni aucun repos : tout était fermé. Enfin, dans l'après-midi du même jour, il atteignit la frontière austro-russe.

Elle était attendrie par sa naïveté, sa bonté, son enthousiasme. Il la surprenait toujours, sans jamais la lasser, tantôt si savant, tantôt semblable à un enfant. Elle se savait la maîtresse, la muse et bientôt peut-être, cela ne tenait qu'à elle, la femme d'un génie, le femme de Balzac devant l'éternité.

Il aurait tout acheté chez les antiquaires, et ne se lassait pas de fouiner dans les boutiques des marchands de cuir ou de bibelots. Il affectionnait particulièrement les bâtiments du Gastinnoi Dvor, où s'entassaient tous les produits du nord du pays ou ceux de la mer Noire.

Il s'attarda longuement devant des palais féeriques et quand il se promenait au bras de Mme Hanska, en de longues flâneries sur la perspective Nevski, il se sentait plus heureux que n'importe quel homme, et fier, aussi fier qu'elle : ses livres étaient installés bien en évidence aux vitrines des libraires.

Balzac s'intéressait aussi aux "mystères de Saint-Pétersbourg" : les voleurs y étaient au moins aussi nombreux que les policiers. Il étudia avec attention cette cité considérée comme la ville la mieux bâtie d'Europe, l'aspect imposant des rues et ces soirées d'une douceur enivrante où il rencontrait des femmes qui connaissaient tous ses livres et pouvaient réciter ses pages par coeur.

Il se mit à aimer follement cette ville, ses maisons ocre, roses, bleu ciel, vertes ou grises, l'immense percée qui s'étire à perte de vue en une double ligne de palais, d'hôtels et d'églises, ses canaux argentés, ses personnages pittoresques aux longues barbes et aux caftans bleus que serraient des ceintures de couleur.

Au fil des jours, les brumes de cette Venise du Nord lui devinrent familières, reflétant en quelque sorte les mystères de son amour avec Eva Hanska.

Balzac fut fasciné par les splendeurs de Saint-Pétersbourg et sa singulière atmosphère. Le vent glacial de la mer Baltique s'infiltrait partout. l'hiver y était impitoyable et sans limites. Le brouillard enveloppait les palais et effaçait les quais dans un halo de lueurs jaunes, fragiles, fantomatiques.

Enfin, il y fut, et elle l'attendait. Les retrouvailles, entre juillet et octobre, après huit années de séparation, furent bouleversantes. Elles redonnèrent à Balzac, en quelques jours, une allégresse d'adolescent et à Eva le bonheur de leurs premières étreintes.