Cet ouvrage est issu de longs entretiens réalisés par deux chercheurs universitaires dans des prisons françaises avec treize détenus (sur cinquante demandes d'autorisation envoyées) incarcérés pour des délits de terrorisme islamiste.
Son but est de recueillir leur parole, « leurs orientations intellectuelles, leurs visions du monde, leur "référentiels cognitifs" […] impliquant leurs référents doctrinaux, idéologiques mais aussi l'appréhension de leur environnement d'un point de vue moral ou éthique » (p. 7). Il ne répond donc aucunement à la question de connaître les motifs du basculement de ces individus dans l'engagement terroriste ou dans la lutte armée – qu'ils nient tous, mais peut-être pour de simples raisons d'opportunisme par rapport à leur peine. Ces motifs auraient été élucidés par les profils biographiques des interviewés, de l'aveu des auteurs eux-mêmes (cf. cit. ci-dessous), mais ces récits sont malheureusement – et inexplicablement – absents.
Pour brouiller ou déconstruire encore les attentes, l'introduction du livre rappelle de façon succincte qu'il existe en France quatre grandes thèses académiques qui s'affrontent et s'opposent dans leur tentative de tracer le portrait intellectuel-politique-comportemental-psychologique des djihadistes, lesquelles, mises à l'épreuve de l'empirisme, s'avèrent à la fois toutes partiellement vérifiées mais chacune insuffisante :
- la thèse de Gilles Kepel, sur la causalité entre lecture salafiste des textes coraniques et finalités politiques déstabilisatrices pour l'ordre occidental par des stratégies violentes ;
- la thèse inverse d'Olivier Roy, sur l'engagement armé de nature générationnelle, déconnecté de la culture religieuse mais semblable à celui des mouvements d'ultragauche des années 70 ou des formations éthno-nationalistes combattantes ;
- celle de François Burgat, sur l'actualisation d'un combat tiers-mondiste et anti-impérialiste de dérivation coloniale ;
- enfin celle psychanalytique par le psychiatre Fethi Benslama qui parle de « la montée du tourment de "n'être pas assez musulman" » chez les héritiers de l'immigration, qui n'explique cependant pas le phénomène des djihadistes néo-convertis.
Il va sans dire que cette recherche nie aussi la vulgate médiatico-populiste qui voit dans les djihadistes des fous, drogués, incultes, adonnés à la micro-criminalité et aux jeux vidéos guerriers – le cumul magnifié des stigmates racistes attribués aux jeunes habitants des quartiers populaires. Dans ces pages, on lit parfois des propos contradictoires et peut-être incultes, mais quelquefois aussi des citations et réflexions empruntées à Hannah Arendt, à Michel Foucault, à Rousseau... et invariablement une valorisation presque exacerbée de la rationalité, du débat, de la confrontation d'idées et de doctrines religieuses et politiques.
Les auteurs ont orienté leurs questions ou regroupé les réponses autour de 19 thèmes, qui font pour chacun l'objet d'un court chapitre, introduit d'abord par une synthèse, corroboré ensuite par de courtes cit. commentées. Les thèmes sont les suivants : « 1. L'islam », « 2. La science », « 3. Dieu », « 4. Le rite », « 5. Le salafisme », « 6. L'engagement politique », « 7. Terrorisme et djihad », « 8. La France », « 9. La démocratie », « 10. Discriminations », « 11. Les chocs moraux », « 12. La communauté magnifiée », « 13. La géopolitique », « 14. L'ennemi », « 15. Al-Qaida et Daech », « 16. Le complot », « 17. Virilisme et sexualité », « 18. Laïcité et sécularisme », « 19. Art, littérature et cinéma ».
Personnellement, parmi les plusieurs surprises, je retiendrai la découverte que l'ennemi paroxyste pour l'ensemble de ces guerriers, ce n'est pas l'Occident, pas même Israël ni les Juifs, et encore moins la France, mais c'est l'Iran, le chiisme, les régimes politiques arabes corrompus et occidentalisés, dont l'Arabie Saoudite. Je constate donc que si leur acculturation religieuse, dont je ne saurais juger, peut être douteuse ou incomplète, leur politisation, leur adaptation au cadre géopolitique en présence, s'avère donc parfaite... au sens de : parfaitement adaptée aux enjeux et aux ambitions de leurs inspirateurs, qui se nomment Oussama Ben Laden et Abou Bakr al-Baghdadi.
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Il m'est très difficile de faire une critique de ce livre que j'ai apprécié pour les informations qu'il m'a apporté sur certains points mais que je n'ai pas aimé.
Je n'ai pas aimé le ton très hautain de l'écrivain, très universitaire, d'autant plus agaçant venant d'une personne qui dit montrer le conflit vu par "le peuple" et non par "l'élite", ce que font touts les autres scientifiques comme l'historien, le politologue, l'économiste, d'après l'auteur. Et comme j'ai fait des études d'Histoire, j'ai pas aimé du tout l'introduction qui nous fait une morale plus ou moins bien placée sur l'étude qui est faite des conflits aujourd'hui.
Je n'ai pas aimé le classement très universitaire et parfois redondants des images (trop carré?), où on a l'impression que les images doivent rentrer dans des cases. Un peu comme des "images-prétextes", l'auteur utilise les images pour étayer ses propos mais ne part pas des images, parfois j'ai l'impression que les images ne sont pas étudiées dans leur intégralité (je pense notamment à une image où il y a écrit "kill arabs" et quelqu'un a écrit un c par-dessus le a de "arabs" ce qui donne "kill crabs").
Je n'ai pas aimé le manque d'explication sur certains thèmes ou termes, des anglicismes non expliqués (ou traduit). il manque assurément une explication des conflits en eux-mêmes.
Je n'ai pas aimé l'impression de partis pris de l'auteur.
Cependant, j'ai aimé les focus sur certains aspects des conflits ou des figures des conflits qui étaient très intéressants.
J'ai aimé le nombre important des photos, très bien documentée.
J'ai aimé l'idée de départ de montrer les conflits vu par les murals, les graffitis...
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1. Cet ouvrage collectif présente un panorama de tout ce qui , en France anime une contestation une rebellion . Classés par types : Rebellion autonomiste/Syndicale/Idéologique/ des marges et des exclus/ Des (contre)experts et de l’appel au droit/ Identitaire et politisation des modes de vie/ . Chaque mouvement est analysé par son histoire (rapide), ses organes, ses animateurs principaux. Certes cet ouvrage datant de 2002, les lignes ont bougé depuis mais la plupart des acteurs sont toujours présents (et leur évolution est intéressante à constater) .
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Je n'ai pas vraiment adhéré au processus de parole libérée des jihadistes incarcérés.
En réalité, les auteurs partent d'une question, une idée et demandent le point de vue de l'un ou l'autre incarcéré, sans que le lecteur puisse participer au dialogue ou à l'entièreté des débats, ce sont des passages tirés d'échanges que les auteurs ont décidé de prendre pour répondre à la question du chapitre. Il ne s'agit pas d'un texte ou d'un récit de l'histoire des incarcérés. Et souvent, vu la réponse et son contenu, je me suis demandé comment comprendre la réponse? comment l'interpréter? Est-ce que les auteurs ont vraiment compris ce que les incarcérés voulaient dire?
De plus, ce que les réponses révèlent en définitive, c'est que ces jihadistes sont tout le temps dans le rejet de l'autre, parce que l'autre a tort, l'autre est mauvais, l'autre ne connaît pas la religion, l'autre ne suit pas les préceptes, ... c'est toujours l'autre qui est remis en question avec le préalable qu'évidemment eux sont la voie ou la voix de la raison, eux savent, eux connaissent, eux maîtrisent, ce sont les sunnites qui sont les meilleurs, pas les chiites évidemment... comme s'ils étaient de grands humanistes.
Vous l'aurez compris quand une religion est utilisée pour détester l'autre et sert de prétexte au déchaînement de violences et de barbarie, on en arrive à l'horreur de la Syrie et de l'Irak.... ce qui n'excuse en rien, le comportement d'Assad bien sûr.
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