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Critiques de Yann Brunel (15)
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Homéomorphe

« [Homéo] – [morphe] : [de même] – [forme] ». Imaginez une sorte de roman somme, à la fois policier et familial, roman de haine et d'amour et de rédemption, à l'ambiance sombre et poétique. Sur fond de contexte soviétique. Ajoutez-y les échecs et les mathématiques en ingrédients, et vous aurez peut-être une idée de ce qu'est « Homéomorphe ». On dit des primo-romanciers qu'ils ont parfois tendance à vouloir mettre trop de choses dans leur premier ouvrage, comme s'ils avaient peur de s'arrêter là, comme s'ils voulaient trop prouver. Ça pourrait être le cas ici, à une nuance près : c'est magistralement réussi.



Entrer dans « Homémorphe », c'est entrer dans un univers sombre et marqué, où les ombres sont omniprésentes. Celles de l'environnement, celle d'Ivan revenu sur les lieux de sa vie en spectre curieux des évènements. Un guide narrateur qui se glissera dans la vie de son frère Dmitri, à revisiter le passé et la relation entre Dmitri et son père, « spectre d’une haine qui n’est pas de ce temps ». Il y a entre les deux des zones d'ombre : l'accident de Décembre 95 qui a coûté la vie à la mère et à Ivan, et puis ce vieux pull vert retrouvé sur les lieux, appartenant sans doute au mystérieux conducteur. On pourrait croire que Dmitri s'en est vite remis, lui le mathématicien génial auteur de trois articles en mars 96 en sortie de coma, lui ayant valu la médaille Fields. On pourrait croire qu'il s'en est sorti, l'enfant «fragile et inoffensif », sorte d'autiste plongé dans ses livres aux formules de topologie algébrique. On pourrait croire qu'il a réussi sa vie, si ce n'étaient les 25 dernières années de son existence, imbibées de vodka dans une cabine téléphonique du Quartier.



Se plonger dans « Homéomorphe » c'est aussi découvrir le lieu de leur enfance dans la banlieue de Kiev, « où une débâcle de cette ampleur est un travail d'équipe » . Le lieu de destination des exilés de la société à l'époque où le Parti envoyait ceux « qu'il voulait écarter du monde, sans les envoyer aux travaux forcés ». La mafia a fini par s'emparer du Quartier, et rien n'a changé. «  Ces fenêtres défoncées, barricadées et redéfoncées. Ces murs qui se décomposent, qui se fissurent. Toujours ces lampadaires tordus qui assurent leur ministère en dépit de tout. » Ivan y erre en terrain miné et connu, penché aussi sur l'épaule de Mikhaïl dans sa Trabant, l'inspecteur aux yeux bleus et au regard de glace, infiltré pour en découvrir plus chez les Vors Un inspecteur comme le chien pas si fou d'un jeu d'échecs, enclin à bouger les pions, à chahuter les lignes et déployer à la muette « l'attaque tournante ».



Lire « Homémomorphe », c'est s'imprégner d'une langue à la fois puissante et glissante, à la poésie souvent éclatée en fins de paragraphe dans des strophes de vers en prose libre. Une langue où l'amour y est souvent noire, tout comme la lumière, la douleur ou le sang.

Mais lire « Homéomorphe », c'est aussi prendre conscience d'une chose. On ne comprendra pas tout. Il en va ainsi de ses lemmes de topologie algébrique bien mystérieux pour le profane, en exergue des chapitres, dont les éléments sont -de temps en temps, repris dans le déroulé de l'intrigue. Des formules qui dépassent l'entendement tout comme elles semblent expliquer les choses dans leur complexité. Comme si les mots manquaient et qu'il avait fallu se tourner du côté des équations pour contenir le monde, son mystère et son impénétrabilité. Mais le lecteur aurait tort de se passer de ces éléments hermétiques. Leur usage peut finir par dégager un supplément d'âme incontrôlable et magique à la langue déjà riche du roman, pour aller titiller quelque chose de futile ou d'essentiel, c'est selon. À l'instar des articles de Dmitri, dans une sorte de flirt évanescent des mathématiques avec.... La poésie.

«— Comment ça, de la poésie ?

— Lisez ses articles. Ses phrases, ses équations s’organisent selon un rythme qui leur est propre. Lisez-les, je vous dis, même si vous n’y connaissez rien. Vous verrez : vous n’avez rien lu de tel. »



Sortir d'« Homéomorphe », c'est se dire qu'on a été couillon de croire qu'il fallait du courage pour y entrer. C'est avoir envie de s'y replonger pour le plaisir et pour éclaircir les points encore obscurs, comme dans un texte au profil culte, unissant mathématiques et littérature. C'est l'envie de recommencer ce voyage au bout d'un univers peuplé d'ombres, un voyage sombre et poétique et stratégique, un voyage au bout d'un grand texte à la beauté sombre qui mettra souvent échec et mat... Le lecteur.
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Homéomorphe

Après un démarrage époustouflant, j'ai passé l'essentiel de ma lecture à me demander si ce livre était génial ou inepte. Je penche finalement pour le moyen terme : c'est un premier roman.

Côté coup de coeur : une atmosphère particulièrement réussie. Un père et un fils seuls survivants d'une famille décimée par un accident de voiture, qui se haïssent autant qu'ils s'aiment. Deux mathématiciens, l'un prodige, l'autre raté, tout deux protégés par les caïds locaux d'une cité soviétique abandonnée de Dieu et du diable. Un vieux pull ensanglanté. Et surtout un style intrigant, presque hypnotisant, qui conjugue poésie et formules mathématiques incompréhensibles aux non-initiés. Ça donne:



« Toute variété topologique de dimension 3 a une unique structure PL et essentiellement une unique structure différentiable.



Il est des ouvertures qui annoncent le sang – et ce n'est pas tant la manière de défoncer la porte ou de l'ouvrir calmement qui compte

que les regards de propriétaires,

que les armes lourdes,

que le calme parfait avec lequel ils entrent. »



(Précision qui n'est pas dénuée d'importance : c'est le frère mort qui guide le lecteur. Il ne comprend pas tout et le lecteur encore moins.)



Donc, disais-je, au début, j'étais clairement en mode wahou, yeux écarquillés et narine palpitante. Mais Brunel, au lieu de se contenter de ses maths, de sa famille dysfonctionnelle, de ses vers libres, de ses bas-fonds et de son fantôme, a cru bon de charger encore la barque - et pas qu'un peu. Il évite pourtant le naufrage : c'est vous dire s'il est doué. Mais il rame et nous avec.

Alors, déjà, il ajoute la métaphore du jeu d'échecs. J'ai dû lire quelque part que « Echec et mat » voulait dire un truc du genre « J'ai tué papa nanananère», ce qui laisse d'abord penser que la métaphore en question n'est pas dénuée de pertinence. Mais très vite, des qu'un personnage réfléchit un tant soit peu avant d'agir, paf, c'est Kasparov, et chaque parole ou chaque geste semble pouvoir être analysé comme la preuve d'une tactique machiavélique où tout est prévu (sauf peut-être mon exaspération qui point).

Ensuite, comme une famille dysfonctionnelle ne suffisait pas, Brunel en ajoute une deuxième. Dans la première, l'autiste génial vit dans une cabine téléphonique dont il ne s'extirpe que pour être accusé d'avoir trucidé Papa ; dans la seconde, l'orphelin anorexique culbute une jeune héritière de la nomenklatura qui meurt en accouchant de l'enfant conçue la nuit même de leur coup de foudre. Si, si.

De toute façon, Brunel se prend pour Dostoïevski et tous ses personnages suent l'excès par tous les pores: le flic génialement génial, l'infirmière dévotement dévouée, le malfrat indestructiblement indestructible… Décidément, tant de clichés feraient croire que Brunel lorgne au moins autant du côté de Barbara Cartland.

Quant aux formules mathématiques qui ouvrent chaque chapitre, elles finissent par contaminer tout le texte. Au début, elles créent une agréable étrangeté : « il s'avance dans l'obscurité à courbure strictement négative du couloir. » Mais, très vite, cela tourne au procédé et en devient franchement ridicule : « Yefim a sorti un Beretta qu'il avait chopé et il l'a pointé sur le mec. Mais le mec ne bougeait pas – et sa peur était une sphère de rayon r dans l'espace euclidien de dimension (n + 1).  » Vous m'en direz tant.

Enfin, l'erreur la plus manifeste est l'épaisseur du roman. 528 pages quand même, et pas toutes indispensables à mon humble avis. Or, s'il y a une caractéristique commune aux maths et à la poésie, c'est bien la concision. L'art d'exprimer un monde en quelques phrases définitives. « Complètement immergé dans ses feuilles de calculs, Dmitri affine ses hypothèses, il les réduit à leur plus simple expression. Il a toujours aimé ce moment ; quand il s'agit d'élaguer. Quand chaque mot doit être à sa place et non plus perdu dans le bouillonnement de l'inspiration. » Voilà. C'est ça. Fallait élaguer. Ou alors écrire 528 pages sur l'art épistolaire au XVIII °. Mais quand on veut célébrer Grigori Perelman, mathématicien russe qui démontra en 39 pages seulement la conjecture de Poincaré, on la fait courte.
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Homéomorphe

Puissant et sensible comme seuls peuvent l'être les premiers romans, Homéomorphe témoigne pourtant d'une maîtrise remarquable, tant de la langue que de la construction. Drame familial, chronique sociétale et sociale, histoire d'amour, enquête, récit d'une enfance à part, d'une fraternité fusionnelle – ce roman est tout cela. Les mathématiques, à la fois en son cœur et simplement en filigrane, sont transformées en or liquide, en poésie pure, en soleil noir. Lire Homéomorphe, c'est être étourdi par ce récit diffracté, par son intelligence grandiose. C'est un voyage qui bouleverse et ne s'oublie pas (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/01/19/homeomorphe-yann-brunel/)
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Quatre ou cinq vies d'Ilya Grisov

Étrange, hypnotique, porté par une plume incantatoire, entre vers et prose, ce roman repose sur des visions, des souvenirs qui se matérialisent et prennent soudain corps au détour d'une phrase, au détour d'un regard. Dans une Russie cendreuse et dévastée représentée par un quartier délabré et déserté qui rappelle les fantômes de l'URSS, les frères inventés par Yann Brunel se battent pour les leurs face aux investigations policières et aux spectres du passé (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2024/01/31/quatre-ou-cinq-vies-dillya-grisov-yann-brunel/)
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Homéomorphe

Magistral ! Sublime ! Époustouflant !

« Homéomorphe » a l’ardeur, la puissance, la sensibilité, la profondeur, la magie d’un premier roman sans en avoir aucune des maladresses. Un premier roman qui peut rivaliser avec les plus grands !

Ne vous laissez pas intimider par le titre ou les formules de mathématiques placés en exergue, « Homéomorphe » se lit comme un thriller.



Dmitri attend dans un couloir d’hôpital des nouvelles de son père, Vladimir, un vieux pull vert taché de sang à la main. Il en repart encadré par deux policiers qui le conduisent au commissariat, accusé de coups et blessures sur la personne de son père par ce même père.

Libéré bien vite grâce à l’intervention de l’élégant Marquis, un des chefs les plus puissants du Quartier (nom d’un territoire abandonné, zone de non-droit en banlieue de Kiev) il se rend à l’appartement familial où son père vit seul et où il n’a plus mis les pieds depuis le 5 décembre 95, c’est-à-dire 25 ans auparavant.

Ce jour-là, sa mère et son frère Ivan 17 ans, mourraient dans un accident de voiture.

Dmitri, un peu autiste, surdoué, mathématicien de génie qui en 3 articles a révolutionné les mathématiques à l’âge de 16 ans, champion d’échecs, mène une existence de clochard depuis mars 96, dormant dans une cabine téléphonique.

Mais Dmitri va enfin se décider à affronter son père dans le huit-clos de l’appartement de son enfance.



Que s’est-il passé en 95 et en 96 ? Pourquoi le puissant Marquis protège-t-il Dmitri ?

Grâce à Ivan, frère disparu trop tôt, spectateur et narrateur spectral, et aux allés -retours entre passé et présent, tout va finir par sortir de l’ombre pour le lecteur.

.

« Homéomorphe », c’est un roman dans lequel il s’agit de malédictions individuelles et collectives, de pardon, d’ombre et de lumière, d’amour, et surtout d’humanité.

C’est un roman somptueux, sophistiqué, à l’ambiance magnétique, qui relate le destin tragique d’une famille. C’est à la fois une enquête, une histoire d’amour, un roman familial et une chronique sociale.

C’est une immersion totale au sein d’une zone de relégation soviétique abandonnée. C’est l’intensité d’une lecture qui vous remue profondément. C’est une prose sublime. C’est de la grande littérature.

Dès les premières lignes, la poésie de la langue de Yann Brunel vous attrape pour ne plus vous lâcher.

Enfin, c’est un roman dont on ne ressort pas indemne.

Quelle entrée en littérature !

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Homéomorphe

Le Quartier est une zone de non droit instituée pendant la période soviétique à Kiev. Sorte de Goulag sans le dire, ce Quartier est une prison, à la fois sociétale et psychologique.

Dans ce lieu emblématique tant de la violence soviétique que du désarroi post-soviétique, un drame familial se déroule.

Dmitri, génie des mathématiques, médaille Fields à 15 ans affronte son père, Vladimir, professeur de mathématiques, tous deux survivants suite à un accident de voiture ayant tué Natalia, la mère et Ivan, le frère.

Chaque acte du régime soviétique a eu un impact sur les personnages de ce roman fulgurant. Chaque habitant du Quartier à sa propre histoire à raconter, dépeint une facette de ce monde à part, qui fonctionne selon ses propres règles.

Ce thriller psychologique asphyxie tant sur le fond que sur la forme. Les deux protagonistes qui s’affrontent déploient leurs tactiques tels des joueurs d’échec. Peu à peu la toile se tisse, comme une théorie de mathématiques s’esquisse, à force de thèses, d’hypothèses, et de transpositions.

Alors que chacun des personnages recherche la vérité sur ce qui a réellement détruit la famille P., on assiste à une distorsion du temps et de l’espace, à une double lecture qui donne encore plus de force à ce premier roman ultra prometteur.

@netflix_france_ vous tiendriez là une série fantastique
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Homéomorphe

Le Quartier est une "ancienne zone de relégation soviétique" avec guerre des clans, drogue, trafics, bâtiments en ruines et squats dominés par un certain Marquis et son acolyte l'Immanus.

Pourquoi Vladimir P, honorable mathématicien, et sa famille ont-ils habité dans ce espace de non-droits ? Et que s'est-il réellement passé lors de l'accident de voiture qui coûta la vie à sa femme et à l'un de ses fils, il y a 25 ans ? Pourquoi Dmitri le survivant voue-t-il une telle haine à son père ? Depuis ce génie des mathématiques vit en clochard dans une cabine téléphonique, s'abreuve de vodka et refuse toutes les invitations et les récompenses dues à son prestige.

Quand le policier Mikhaïl s'infiltre dans le quartier il va reconstituer les liens entre tous les personnages, de l'infirmière Marie à son chef du KGB, dans un véritable jeu d'échecs entre humains.

Autopsie d'un quartier, autopsie d'une famille dans une langue où les mathématiques deviennent poésies, où la violence des sentiments et la présence du frère décédé sont rendues palpables.

Un premier roman magistral !
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Homéomorphe

Un roman au titre qui nécessite une recherche dans le dictionnaire, un bandeau de couverture qui aligne des formules mathématiques, des titres de chapitres qui ressemblent à des équations ou des théorèmes et quelques cinq cents pages dans le Quartier, banlieue XXL russe qui n’a rien d’attrayant. La sélection de Prix Boostagram pour le premier roman francophone nous réserve décidément des surprises.



Et quelle surprise !



Embarquement dans un espace temporel situé entre l’URSS de la grande époque, où on prend soin de son élite dans des établissements de haut rang mais où des zones de non droit sont déjà sous la coupe de gangs qui défendent leur territoire par des méthodes d’une violence inouïe, et la Russie post époque soviétique (le grand empire n’a pas encore explosé).



Ce roman nous entraine dans un monde où il est plus facile de résoudre des équations ultra complexes que celles qui ont trait à l’amour, l’amitié ou la famille. Le livre est construit telle une partie d’échec : certains avancent leur pièces, d’autres agissent selon une stratégie inconnue, l’objectif étant d’arriver à résoudre un problème à plusieurs inconnues : que s’est-il réellement passé le soir du 5 décembre 1995 dans la famille P. ? Qui est le mystérieux propriétaire d’un pull vert retrouvé sur les lieux de l’accident qui a vu périr la moitié de la famille P. ?



La galerie des personnages de l’entourage de Dmitri et de Vladimir, les deux rescapés, est digne de celle des romans d’un certain Fedor Dostoïevski. Ils sont scrutés au plus profond d’eux-mêmes, leur âme est disséquée pour tenter de mieux comprendre les forces obscures et inavouables qui s’agitent dans un magma de violence, de vodka et de drogues.



C’est sombre, noir, glauque même parfois. Sauf que la magie de la plume de ce primo romancier, tel Dmitri prenant son crayon et alignant les équations pour aller décrocher la médaille Fields, vient nous éclairer d’une poésie qui traverse cette noirceur et nous éblouit par sa beauté.



En lisant ce premier roman, il faut accepter de ne pas tout comprendre (ces fameux lemmes de topologie algébrique en tête de chapitre), mais on se laisse porter par l’histoire, emporter par l’écriture, par cette poésie qui m’a parfois fait penser à celle de Joseph Ponthus (À la ligne).



C’est magistral !
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Quatre ou cinq vies d'Ilya Grisov

Magistral, sublime, époustouflant ! Aux adjectifs que j’employais pour son premier roman, j’ajoute: envoûtant, intense, puissant !

Quelle maîtrise rare encore une fois, quelle plume unique, quelle poésie remarquable !

#yannbrunel nous ramène dans le Quartier et son univers mais cette fois-ci en 2019. Le Quartier est une cité de la banlieue de K. quelque part dans la Russie (ou l’Ukraine) post-soviétique, régie par ses propres lois, constituée d’immeubles en ruine, de friches alentours, et dévastée par l’explosion vingt ans plus tôt de l’Usine pétrochimique, comme Tchernobyl dix ans auparavant.

« Quatre ou cinq vies d’Illya Grisov » se déroule sur une seule journée, une journée de juillet caniculaire, avec des allers-retours dans le passé, rythmé, en exergue des chapitres, par les extraits du rapport sur l’incendie de 1996.

« Un coup de fusil déchire l’aube ».

Une détonation retentit dans le Quartier, depuis un atelier du bloc 1404. C’est le point de départ du roman. Lev Grisov, un homme, un mari, un père, est mort. Meurtre ou suicide ? Mikhaïl, un jeune policier qui vient tout juste d’être nommé, le capitaine Téliakov (qui s’interroge sur cette affection soudaine) et ses hommes, vont investir les lieux pour mener l’enquête.

Pourquoi ce jeune policier insaisissable est-il soudain affecté dans le Quartier ?

Quelles sont les raisons de sa présence et quelles sont les réelles motivations du capitaine pour déployer un si grand nombre d’hommes sur cette affaire simple en apparence alors qu’une rafle au camp des roms nécessite leur présence un peu plus tard ce jour-là ?

Je ne vous en dis pas plus, le superbe titre résume à merveille le roman mais il vous faudra évidemment attendre les dernières pages pour le comprendre.

Ce roman est à la fois une enquête policière, l’histoire d’une famille, d’une fratrie, et bien plus encore. Avec ses nombreuses références à la mythologie, il relève assurément du mythe et de la tragédie (on pense aux tragédies antiques ou shakespeariennes). Le passé nous est révélé grâce aux visions de Mikhaïl sous l’emprise d’une drogue de chamane ou du breuvage de l’une des trois sœurs sorcières, vieilles babouchkas qui, du fond de leur mercerie, telles des Parques ou les trois sorcières de MacBeth, veillent.



Encore une fois la prose et la poésie envoûtantes de Yann Brunel vous attrape dès les premières lignes pour ne plus vous lâcher.

Un roman brillant à l’ambiance magnétique qui reprend les thèmes d’ « Homéomorphe » (la famille, le sacrifice, les malédictions individuelles et collectives, l’amour), qui est avant tout un immense plaisir de lecture et qui m’a profondément touchée. Même constat que pour son premier roman : de la grande littérature.
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Quatre ou cinq vies d'Ilya Grisov

Quatre ou cinq vies d'Illya Grisov - Yann Brunel



J’avais adoré Homéomorphe, je suis littéralement tombée sous le charme de ce deuxième roman !

Yann Brunel a décidément un don tout personnel à nous surprendre, nous émerveiller avec son écriture à la fois exigeante, sombre, un brin mythique et diablement poétique.



On retrouve le décor apocalyptique d’Homéomorphe, son premier roman. Le Quartier, ses rues défoncées, jonchées de voitures délabrées, brulées, ses immeubles en ruine, ses blocs 1400 et 1500 et ses rares habitants, les irréductibles, qui vivent au milieu de la poussière noire laissée par l’incendie d’une usine pétrochimique plus de vingt ans auparavant. C’est d’ailleurs par des extraits du rapport Praviv-Kibenov sur les origines de cette catastrophe que s’ouvre chaque chapitre.



C’est la mort violente d’un liquidateur (ceux chargés d’intervenir pour tenter de contenir l’incendie de l’usine) qui amène dans le quartier deux flics : le capitaine Teliakov, un ex du KGB, et Mikhaïl, une recrue nouvellement parachutée. Lev Grisov est décédé. Il laisse trois fils : Evgueni et Alexeï qui ont déjà un lourd passé judiciaire et le petit dernier Illya, à l’âme encore innocente qui vient de passer quelques années dans un hôpital psychiatrique.

Peu importe qui a tué Lev (quoique), Yann Brunel nous entraine avec maestria dans un tourbillon de noirceur où chacun, comme il peut, tente d’oublier cet univers où « quand ils clignaient des yeux, autour d’eux, ce n’était que déchéance, que rouille, que ce gris orangé qui gagnait la vallée tout entière ». Au milieu de ce monde de poussière surgit un chêne vert. Hallucination due aux drogues, aux effets de ces pierres noires qui semblent apaiser ceux qui les effleurent, illusion de ces pétales écarlates qui tel le sang se répand dans les esprits, les corps, les cœurs ? Je vous laisse le découvrir par vous-même en lisant ces pages d’une beauté absolue.



Sous cette plume d’une poésie incroyable, les heures s’étirent, la poussière se disperse au milieu du chaos, et l’auteur invite trois sœurs, mi sorcières mi anges-gardiens qui veillent sur ces âmes meurtries et malmenées par la vie. Ce deuxième roman, qui a tout d’une grande tragédie, est d’une beauté absolue !



Un vrai coup de cœur
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Quatre ou cinq vies d'Ilya Grisov

Je peux comprendre qu'on aime ce genre de littérature. Nous avons ici avec plus d'insistance que dans le premier roman, un thriller violent et impulsif, décrit avec une langue très soignée, lyrique à l'envie et recherchée.

Alors qu'est ce qui cloche? L'envie de trop bien faire, de n'utiliser dans sa palette qu'une seule couleur, celle du crime, l'associer aux moindres détails, les murs, les muscles, les les visages, les animaux. Tout y passe. Et le résultat? Quelque chose d'opaque qui ne se laisse pas voir complétement, qui ne se laisse pas contempler. C'est voulu, me direz vous. Mais de trop user un ingrédient même avec talent (car le talent est bien là, réel) on perd le goût, on perd la saveur des choses. J'avais eu la même impression, même si ça n'a rien à voir dans "attaquer la terre et le soleil". Un déferlement de haine. Qu'on me comprenne, je ne milite pas pour une littérature sans violence. L'esthétique de la violence est réelle et a été magnifiée par bien des auteurs (notamment américains) mais je milite pour de la musicalité, du phrasé dans son usage. Ce n'est que mon avis et il vaut ce qu'il vaut.
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Homéomorphe

Passées les 60 premières pages particulièrement glauques, et une fois qu'on a fait le deuil des formules mathématiques de géométrie non euclidienne - en exergue de chaque chapitre, en lieu et place des citations d'auteurs - on plonge dans un polar classique, tendance autistique, qui part du noir vers le rose, avec une fin de scénario hollywoodien.

alerte spoiler : Feat. Cédric Villani

Pour longue soirée d'hiver...
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Quatre ou cinq vies d'Ilya Grisov

Le nouveau roman de Yann Brunel se déroule en Europe de l’Est dans une zone de non droit, dévastée il y a plusieurs années par l’explosion d’une usine pétrochimique.

Dans le Quartier, l’atmosphère est délétère, il semblerait que les rayons du soleil n’arrivent pas à percer le ciel sombre pour apporter leur touche de lumière mais leur chaleur rend l’air moite, la sueur coule sur les fronts.

Le bitume absorbe cette chaleur, ajoutant sa puissance suffocante à l’enquête que Mikhaïl et le capitaine Téliakov vont mener.

 

Cette enquête a pour point de départ la mort de Lev Grisov, père de 3 fils nommés Alexeï, Evgueni et Illya. On pourrait dire que leur génétique impose que de la lave coule dans leur veine et non du sang. Leur famille est dysfonctionnelle, clairement ils en sont la définition même. Leurs âmes peinent à se connecter, elles s’égarent dans le Quartier, font régner la terreur. Mais pourquoi ? Depuis leur mercerie, trois babouchkas observent tout ce qu’il se passe dans le Quartier, dans les barres. Comme les gardiennes d’un temps normal, ancré dans la réalité d’un univers saccagé par la chimie.

 

Ouvrir les pages de ce livre c’est s’insérer dans une faille temporelle où les âmes s’entrechoquent, parfois mortellement, où le vente souffle aux oreilles. Yann Brunel a modelé la violence autour d’une fratrie complexe et explore grâce à elle le sujet de la transmission familiale, de la fatalité du sang, de la lave. Dans ce noir absolu, il y a cette fleur rouge qui bat, qui tente de s’ouvrir, de projeter son amour.

 

Le climat apocalyptique est particulièrement envoutant, Yann Brunel dissémine quelques indices au fil des pages et nous fait nettement comprendre que Téliakov et Mikhaïl ne sont pas positionnés sur cette enquête pour rien. La tension est extrême, chaque mouvement est cristallisé par les mots de l’auteur. Roman au sommet de l’inqualifiable, lecture hors norme. La construction de #quatreoucinqviesdillyagrisov est unique et rend cette lecture inoubliable. Absolument tout aimé dans ce livre 🖤
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Homéomorphe

"Homéomorphe", c'est un roman d’une noirceur épaisse. C’est un brouillard de sentiments qui vous tordent le ventre et détruisent les personnages. Pourtant c’est avec une grande délicatesse que Yann Brunel nous livre les tourments cruels qui pulsent en chacun des protagonistes. A travers les lignes, il émane une sorte de tendresse, comme un filtre qui adoucirait la douleur dans le Quartier durant ces quarante dernières années à Kiev. Le rôle du contexte historico politique dans l’intrigue est très juste. L’écriture est riche. Le style de Yann Brunel contribue beaucoup à la beauté du roman autant par les trouvailles sémantiques, que par la ponctuation originale du texte ou sa mise en page significative.



Attention il faut prévenir les lecteur.rices, lire "Homéomorphe" peut entrainer une forte envie de comprendre le vaste monde de l’algèbre. Le roman appelle à une annexe (dont l’exhaustivité semble impossible) de définitions des objets et structures, qui sont caractérisés par plusieurs propriétés mais jamais définis proprement. "Homéomorphe" est un roman d’hommes. Non pas parce que ces derniers soient meilleurs en maths (c’est totalement faux) mais parce que la présence masculine domine tout le roman. Et si le personnage féminin représente une clé non négligeable de l’intrigue, celle-ci est subordonnée aux regards des hommes, considérée comme objet d’amour ou de désir.



Le seul bémol qui viendrait nuancer cette critique, est relatif à l’homogénéité du roman. L’équilibre fragile entre la description et la narration, excellent à l’échelle du roman, est mis en péril entre les parties. En effet, le début nous immerge dans l’ambiance du Quartier. Puis dans la dernière partie, lorsque soudain l’intrigue est accélérée, cette apnée dans le décor devient négligeable devant la progression narrative. Ne vous y trompez pas le développement limité de la description aux temps longs du livre n’enlève rien à la qualité du roman, dont la chronologie à n espaces temps est grandiose. "Homéomorphe" vaut vraiment la peine d’être lu. Félicitations à l’auteur !
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Homéomorphe

Au moment où l'amour, le passé et une enquête s'additionnent, on obtient une équation qui s'avère compliquée, même pour le meilleur des mathématiciens.



L'histoire de deux frères soudés malgré une famille brisée. Dans un quartier oublié par l'état, où violence et addictions sont le quotidien.



Comment savoir qui gagnera la partie d'échec entre un homme abîmé par la vie et un adversaire inconnu, qui pourrait abattre les derniers pions d'une vie.
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