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Citations de Zoé Cosson (21)


Ils ne ressemblent pas aux gens de la ville. Ils ne fixent pas le sol à côté de leurs chaussures, ne soupirent pas. Ils ont des dizaines de poches greffées au pantalon, à la silhouette, des semelles crantées, une voix qui s'affirme sans détours et roule, et quand ils rient, tout leur corps vibre avec eux. Ce sont des corps du dehors, habitués à négocier avec la solitude, le temps qui ne meurt pas. Des corps tenaces qui ne tressaillent pas à l'intérieur.
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J’observe mon père. Sa tête droite, tenue, ses yeux posés sur l'horizon. Il fixe la ligne bleue qui barre le pare-brise, les Pyrénées devant. Il n'a qu'une main sur le volant et le camion file tout droit. On traverse une série de villages désolés, His, Caumont, Lorp-Sentaraille, abandonnés le long de la départementale. Les maisons sont flétries, fermées, les murs à peine debout. Elles me filent le bourdon ces maisons.
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J'apprends la lumière du matin qui peine, vacille, s'élève faiblement au-dessus des crêtes avant de peindre chaque brin d'herbe. J'attends qu'elle glisse et révèle la soulane, la pente de lumière.
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(Les premières pages du livre)
Les premières pages du livre
Aulus tient et persiste dans un coin de ma tête. Ce village ramassé, esseulé au fond d’une vallée étroite que la déprise rurale et industrielle a progressivement usée, élimée, vidée, se borne à la montagne. Il s’y confronte, il s’y soumet. En raison de cette topographie spécifique, Aulus m’est toujours apparu comme un terminus géographique. On ne passe pas à Aulus, on s’y rend.
Mon père a acheté là-bas un ancien hôtel aux chambres vides, en train de dépérir au milieu des montagnes. L’hôtel est devenu son royaume, et le lieu à partir duquel je découvre les corps qui peuplent les rues du village.
À Aulus, je ne suis ni résidente ni étrangère : je suis la silhouette derrière mon père, et l’hôtel est ce lieu poreux d’où j’écris. Un pied dedans, un pied dehors. Je regarde le monde à travers lui, j’imagine à travers les on-dit, ce que j’attrape des habitants lorsqu’ils viennent partager quelques mots sur la centrale, l’ours, un voisin, la météo. À Aulus, j’écoute et je marche, réel et fiction s’entremêlent.
Aulus s’appréhende comme la montagne, comme un ensemble d’accidents, de pans qui se succèdent et se cachent les uns des autres. On ne peut pas saisir Aulus d’un seul regard, on le découvre dans l’effort de la marche, à l’échelle du corps, par bribes, et il faut ensuite recoller mentalement ces morceaux pour s’en fabriquer une image.
Ce livre est le portrait rapiécé de ce lieu sans contour, un espace fait de calques, une sorte de cartographie qui n’élucide rien. Ce n’est ni une histoire ni un bloc.

1
J’observe mon père. Sa tête droite, tenue, ses yeux posés sur l’horizon. Il fixe la ligne bleue qui barre le pare-brise, les Pyrénées devant. Il n’a qu’une main sur le volant et le camion file tout droit. On traverse une série de villages désolés, His, Caumont, Lorp-Sentaraille, abandonnés le long de la départementale. Les maisons sont flétries, fermées, les murs à peine debout. Elles me filent le bourdon ces maisons. Tout est d’hier, morose. Il n’y a pas de piétons, personne. On dépasse la cité de Saint-Lizier, l’eau stagnante des barrages de Saint-Girons, et déjà l’usine Job de papier à cigarette diffuse son odeur âpre à l’intérieur du véhicule. Elle traîne un moment dans l’air, épaisse, envahit nos narines jusqu’à l’écœurement et pourtant je commence à sourire parce qu’à partir de là, vraiment, le paysage change et on s’enfonce dans le pays.
Le pays c’est la vallée du Garbet, une terre pleine de cailloux roulés d’où se lèvent des espèces fumantes. Les noisetiers prolifèrent, les troncs nus étouffent sous le lierre, les fougères agitent leurs longs bras souples. À présent la route se presse contre la rivière et, ensemble, elles glissent entre des collines d’un vert éclatant. Leurs croupes s’allongent, gonflent, se rapprochent. La radio ne capte plus et mes yeux restent collés à la vitre. L’espace mute, se vide, les maisons se dispersent, les monts s’élancent de plus en plus haut, se dressent, la roche perce leurs sommets et voilà les montagnes. Je n’en perçois pas le bout. Mon père s’agrippe au volant, l’estomac tourne, les roues chavirent à fond. Le camion force un passage dans le minéral jusqu’au moment où la roche s’ouvre et le regard s’élargit. Un plateau apparaît. Il n’est pas large mais des deux côtés les prairies huileuses absorbent et reflètent la lumière. Au fond, une couronne de pierres clôt l’horizon en arc de cercle. On se jette vers cette fin, ou ce commencement du monde, et enfin on lit le panneau : « Aulus-les-Bains, station thermale du cholestérol ».

Contrairement aux villages bâtis sur des hauteurs qui se montrent et surveillent de haut, celui-ci est engoncé dans un pli de terre, au plus près de l’eau. Ses habitants ne voient qu’un fil de ciel au-dessus de la ligne grise des crêtes. Les jours brefs et blancs de janvier, ils assistent au combat perdu du soleil qui ne perce pas, au blanc en ciment des éléments, à la résignation des arbres nus, des tombeaux de feuilles à leurs pieds. Au printemps, après la fonte des neiges, les torrents se remplissent. L’herbe se redresse, verdit. La montagne renaît. On déplace les bêtes. On défriche. On sème à partir de mai.
En août, le village est une fièvre, un bouquet. Une odeur d’herbe fraîche et coupée remue l’air, emplit les rues. Les géraniums débordent des pots. Tout frémit et ondule, tout se gonfle de rires et de joie, de lumière verte, luisante. Un soleil neuf et sauvage plaque des ombres nettes au sol et l’œil ébloui s’épuise à se recharger de troncs, d’eau, de fleurs et de bêtes. Les chiens dessinent en courant le contour des troupeaux, les trois restaurants affichent complet, l’épicerie de Marie bat son plein, les cyclistes pédalent, les randonneurs randonnent et on regarde Nicole, la nouvelle gérante du centre équestre, faire des tours de village suivie de familles sur poneys.
Le 3 août, pour la fête du village, on monte un stand de steak-frites-buvette ainsi qu’une guinguette. Un feu d’artifice éclate dans le ciel et les canards en plastique dévalent la rivière. On numérote leurs dos au feutre indélébile et le hasard de l’eau fait la course. Ils se prennent des rochers en pleine tête ou échouent, se retournent, et seuls quelques-uns parviennent indemnes au bas du village. On les suit d’en haut, derrière des murets en pierre. Car tout ici est en pierre. Les vieilles maisons sont en pierre, les granges sont en pierre, les murets qui délimitent chemins et terrasses aussi, et les arbres les plus coriaces prennent racine dans des quartiers de roche. La pierre bouche la vue, l’ennui, les trous. Elle bouche tout et, à partir d’une certaine altitude, elle recouvre tant que rien n’y pousse plus.

Personne ne dit « Aulus-les-Bains » en entier. On dit juste « Aulus ». « Aulus » tout court. Aulus est un village d’eaux niché à 750 mètres d’altitude. Il reçoit 700 curistes par an et s’étend sur 5 224 hectares, comprenant forêts, pâturages, névés, pics et cascades.
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Les jours sans nuages, je pars cueillir des fleurs poilues. Des chardons bleus, des crocus à peau de soie. J'allonge les végétaux sur des feuilles blanches, j'écrase de livres, je prépare les itinéraires pour mes marches d'été. J'explore, j'apprends.
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J’apprends le jour qui ne décline pas mais tombe d’un coup comme un rideau de théâtre. J’apprends la morsure de la nuit, organique et brutale, les murs dévorés de noir. La nuit qui sue et s’insinue, qui transforme la rivière en courant d’encre sombre, qui apporte avec elle son vent de pierre, ses gouttes de rosées grasses et bombées. La nuit qui engloutit les chemins et rend les troncs humides au toucher, la nuit seulement trouée par les phares de voitures et la lumière crue des lampadaires.
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Aulus s'appréhende comme la montagne,  comme un ensemble d'accidents, de pins qui se succèdent et se cachent les uns des autres. On ne peut pas saisir Aulus d'un seul regard, on le découvre dans l'effort de la marche, à l'échelle du corps, par bribes, et il faut ensuite recoller mentalement ces morceaux pour s'en fabriquer une image.
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Puisque les arbres tiennent seuls contre le ciel, gagnent du terrain et que les vieux en perdent, puisque le village ne s'éteint pas, puisqu'un élan garde les végétaux, les êtres et les minéraux levés, puisque l'été efface l'hiver comme un coup de vent efface la poussière, je veux voir encore.
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Les jours rétrécissent et mon père se donne l'air de faire quelque chose. Il bouge des papiers, il emballe, il papier-bulle. Il tond, il tape, il déplace les objets trop vus ou trie ses écrous. Souvent, il coupe du bois pour s'occuper et le bruit de ses coups est un son qui rajeunit le village.
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Ils ne ressemblent pas aux gens de la ville. Ils ne fixent pas le sol à côté de leurs chaussures, ils ne soupirent pas.Ils ont des dizaines de poches greffées au pantalon, à la silhouette, des semelles crantées, une voix qui s'affirme sans détours et roule, et quand ils rient, tout leur corps vibre avec eux. Ce sont des corps du dehors, habitués à négocier avec la solitude, le temps qui ne meure pas. Des corps tenaces qui ne tressaillent pas à l'intérieur.
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Encombrée par mon corps tombé d'ailleurs, je m'efface à leur présence. Je suis seulement les lignes que tracent les Aulusiens dans la grande pièce du rez-de-chaussée, j'écoute le chant de leurs voix chaudes, épaisses. Du miel sort de leurs bouches et enrobe toute chose d'une substance gourmande. Ils ne ressemblent pas aux gens de la ville. [p. 24-25]
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En août, le village est une fièvre, un bouquet. Une odeur d'herbe fraiche et coupée remue l'herbe, emplit les rues. Les géraniums débordent des pots. Tout frémit et ondule, tout se gonfle de rires et de joie, de lumière verte, luisante. Un soleil neuf et sauvage plaque les ombres nettes au sol et l'œil ébloui s'épuise à se recharger de troncs, d'eau, de fleurs et de bêtes. Les chiens dessinent en courant le contour des troupeaux, les trois restaurants affichent complet, l'épicerie de Marie bat son plein, les cyclistes pédalent, les randonneurs randonnent et on regarde Nicole, la nouvelle gérante du centre équestre, faire des tours de village suivie de familles sur poneys.
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Long et sec comme une brindille, solaire, René occupe ses journées à fouiller la montagne à la recherche du beau nœud, de la branche anthropomorphique. Il emprunte à la forêt des visages et des corps, des têtes de loup parfois ou des serpents entiers qu’il rapporte à son atelier. Quand la plupart guettent la sortie des morilles ou traquent le gibier, lui, le monsieur de l’Imagerie végétale, accumule les petits trésors d’altitude. Face à la beauté de cet homme dénué de cynisme, les autres disent : « l’artiste du village ». Il collecte les pierres, sélectionne les plantes rares. Il les passe à la presse, les superpose, il traverse la matière.
En dehors de ces longues balades sylvestres, il nourrit les chats avec qui il partage son domicile et la grange, de l’autre côté de la route. Des bols laissés devant la porte qu’il remplit deux fois par jour et un lieu circonscrit dans lequel les félidés restent sages, placides, presque invisibles aux yeux du village.
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Des prolongements inconnus augmentent mes membres. Je les sens s'agripper à chaque obstacle. Je ne vois plus que par mes mains, mes pieds. Mes mains qui ne sont plus des mains, mes pieds qui ne sont plus des pieds. Mes mains sont des grappins, mes pieds des crochets, mon corps l'élastique tendu entre les deux.
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Zoé Cosson
L'hiver dévore les couleurs et les bancs sont tristes à regarder, nus et parsemés de gouttes d'eau. Les vieux ne sont plus là où ils sont d'habitude, assis autour du rond-point, les coudes posés sur les genoux, à faire rouler leurs yeux au sol, au ciel, à macérer des pensées inconnues. Ils ne sont plus là à prêter aussi précisément attention aux choses du dehors, au soleil, aux passants, au grondement soporifique de la rivière.
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Leurs visages sont noirs dans l'ombre des paniers et leurs cous ont disparu sous la charge. Sanglée au front, elle écrase la tête, écrase le cou, le cou fond entre les épaules et le menton bloque contre la poitrine.
Ce sont les porteurs de fromage. Ils reviennent d'Espagne.
Ils ont des faces vaincues par la gravité d'où sortent des yeux blanc comme du lait qui luttent pour regarder droit. Ils ne se pressent pas, les paniers en osiers sont remplis à ras bord et leurs pieds nus vont avec prudence sur le sentier de pierres brisées.
Ils sont trois et trois bras se lèvent à 90° pour empêcher le pois d'aller s'écraser vers l'avant. Ils sont trois et tous trois portent des pantalons en toile claire, des chemises aériennes aux manches retroussées, un foulard en guise de ceinture. Ils descendent la montagne impatients d'arriver au village et, derrière eux, la roche fait jaillir des arbres contorsionnistes et des gerbes d'eau.
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Zoé Cosson
Leurs chaussures continuent de faire des trous gluants parce qu'ils font des tours, des tours et des trous aussi larges que des traces de raquettes en inspectant sidérés et sous tous les angles ce qui se présente à eux. Parfois ils s'arrêtent net, la tête en avant, les fesses en arrière, stoppés dans leur élan par la vision miraculeuse de crocus tout juste sortis de terre. Tout le terrain en est parsemé et ça leur serre l'estomac. A l'intérieur d'eux, ça crie, et au village ensuite, ça crie encore. A la déforestation, au massacre de cette partie de la montagne qu'ils estimaient leur jusqu'à ce qu'elle soit terrassée, nivelée, aplatie comme un parking. [p. 89]
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Ici il n'y a pas de clients, seulement des villageois et un village à raconter chaque jour"
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Du miel sort de leurs bouches et enrobe toute chose d’une substance gourmande. Ils ne ressemblent pas aux gens de la ville. Ils ne fixent pas le sol à côté de leurs chaussures, ne soupirent pas. Ils ont des dizaines de poches greffées au pantalon, à la silhouette, des semelles crantées, une voix qui s’affirme sans détours et roule, et quand ils rient, tout leur corps vibre avec eux. Ce sont des corps du dehors, habitués à négocier avec la solitude, le temps qui ne meurt pas. Des corps tenaces qui ne tressaillent pas à l’intérieur. Qui commencent par les pieds la plante les orteils, qui se tiennent par les cuisses et se terminent par des mains carrées. Ces corps-là ne plieront pas. Ils ne ressemblent pas à ceux de la ville. Frêles, élancés, gras, voûtés. Ils auraient pu partir, presque tous. Faire leur vie ailleurs, à la campagne, sur un terrain plus plat, avec un climat plus doux, mais ils ne se sont pas résolus à quitter cet endroit où chaque centimètre est connu, vécu, chéri. Ils n’ont pas voulu se séparer du lieu où le corps a ses marques, sous l’église, dans le creux.
Les autres, ceux qui ne sont pas nés là, ont suivi un ami. Ils ont retrouvé un ancêtre, découvert une tombe à leur nom, ils ont fait leur premier vol en parapente ici. Le village s’est présenté par hasard. Ils se sont installés. p. 25
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Zoé Cosson
Sur l'étagère de l'entrée, entre les cartes de randonnées locales et un guide de champignons, je découvre un album de photographies anciennes. Les clichés ont un siècle. [...]
Je l'ouvre sans arrêt. Je dissèque ces photos les yeux tout ronds, je me les décris pour moi-même. Ce sont des dizaines de clichés d'Aulus pris au début du XXe siècle par un homme dont on ne connaît que le nom : Chaffré. Son travail, dont la majeure partie a été éditée en cartes postales et regroupée dans cet ouvrage, dépeint deux versants du village. D'un côté, le fourmillement de l'activité thermale à son apogée, les festivités, les casinos, les diligences ; de l'autre, la vie pastorale à la limite de la misère. Les pieds nus et noirs, les bérets, les orbites enfoncées, les mains épaisses et cornées, toujours prolongées d'un panier, d'un outil. Ils portent des fromages empilés sur la tête, des kilos de glace sur le dos. [p.19-20]

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