Élyse Charbonneau

De toute façon, le pire qu’il pouvait lui arriver désormais était de mourir, et il avait réussi à y trouver un côté positif.

De façon incontestable, elle était la plus belle femme qu’il avait vue dans sa vie. Les écailles recouvrant sa peau à quelques endroits et la nageoire remplaçant ses jambes n'enlevaient absolument rien à son charme. Hypnotisé par la perfection de ses traits, il ne put tout simplement pas résister à l'envie de s'approcher d'elle. Il posa alors ses mains vis-à-vis les siennes. Il voulait la toucher, l’embrasser et la serrer si fort qu’ils ne feraient plus qu’un. Les yeux dans les yeux, il déposa ses lèvres sur la vitre, seule chose qui l'empêcha de goûter à ce doux baiser. Bien que sa bouche restât fermée, la créature arrivait inexplicablement à prononcer des mots inaudibles, mais qui résonnèrent toutefois dans la tête du gardien.

Il devrait s’acclimater, faire de son mieux afin de modifier sa manière d’être et d’agir face à ce genre de prisonniers, mais il restait toutefois perplexe. Son tempérament calme et raisonnable serait difficile à mettre de côté.

De peur de se faire prendre, il abdiqua, puis, insatisfait, il emprunta le chemin du retour en se promettant de revenir. C’était plus fort que lui; il éprouvait le besoin insatiable de découvrir ce qui s’y cachait.

Hugo croyait dur comme fer qu’avec des réponses, il pourrait ainsi commencer à faire les premiers pas dans les procédures douloureuses du deuil. L’imaginant à ses côtés, il ne put s’empêcher de sourire. Il ferma donc les yeux, voulant à tout prix passer un court moment dans sa tête, avec elle, puis sombra dans un profond sommeil.

Les doigts d’honneur semblent être pratique courante et le moyen principal utilisé afin de s’exprimer dans cet endroit. C’est aberrant de constater le niveau de pauvreté dans lequel votre répertoire se situe, garrocha Hugo.

Tu dois dire son nom en anglais parce que selon elle, Océane ce n’est pas assez « glamour ». Et c'est la seule fille cute et mineure de la place, mais si j'étais toi, je n'essaierais pas de me la faire! Le dernier qui a voulu la baiser… il est mort. Et tu ne veux pas savoir comment!

Être confiné ici avec ces abrutis, simple d’esprit va me rendre complètement fou. Il va falloir rester calme et concentré. » Pensa Hugo.

Il aurait peut-être été préférable pour lui de rester dans son ancienne vie. Il est vrai qu’il n’avait pas accepté ce transfert afin de se faire de nouveaux amis, mais il aurait tout de même apprécié un accueil moins glacial. Ayant une petite pensée pour Maxime, il réalisa que ce dernier lui manquait déjà. S’il croyait se sentir seul avant, il constata pour une deuxième fois en quelques heures qu’il y avait toujours pire. Après plusieurs détours et de nombreuses demandes auprès d’employés visiblement blasés de devoir fournir les directives requises, il arriva enfin à l’endroit voulu.

Il n'y a pas beaucoup de règles ici, donc, si ton Q.I. te le permet, tu devrais être en mesure de les assimiler rapidement. Premièrement, nous ne sommes pas tes amis … mais tu dois nous respecter quand même, et vice-versa. Si tu as besoin de te défouler, les prisonniers sont là pour ça. Deuxièmement, il est strictement interdit de descendre au sous-sol.

S’il fallait qu’on le laisse seul quelque part dans cette prison, jamais il ne saurait retrouver son chemin. Inutile de laisser des petits bouts de pain comme Hansel et Gretel, car les rats auraient vite fait de les dévorer. S’imaginant ces grosses bêtes dévorant ses points de repère, il ne put faire autrement que d’exprimer un évident dégoût.

Heureux d’être en vie et d’avoir réussi cet exploit malgré lui, Hugo tenta de camoufler sa honte derrière un semblant de fierté agrémentée d’un large sourire.

Faire ce choix n’avait pas été facile, mais il avait grandement besoin d'oublier sa vie remplie de souffrances et de tristesses. Il était impératif d’évacuer, de faire le vide et d’échapper à l’emprise de ces lourds souvenirs.

Étrangement, le plus stressant pour Hugo n'était pas tant le fait de se retrouver dans cette prison renfermant les plus dangereux criminels sur une île perdue au beau milieu de l'océan, mais plutôt ce satané voyage en hélicoptère. Impatient de mettre enfin les pieds sur terre, il repensa au jour où il avait signé son transfert tout en frottant ses mains moites sur ses cuisses.

À l’instant même où il se retrouva dans une noirceur presque totale, le doux visage d’Isabelle lui imposa sa présence. Imaginer son sourire magnifique, ses yeux pétillants et le soleil faisant briller ses cheveux blonds était le seul moyen efficace et disponible afin de retrouver un semblant de calme et de sérénité.

En fait, il croyait bien que cette complicité fraternelle s’était renforcée le jour où Hugo avait perdu son frère cadet dans des conditions tragiques. Il s’était accroché à lui et l’avait involontairement mandaté comme remplaçant indispensable.

Il savait très bien que cette tragédie ferait à tout jamais partie de sa vie. Il espérait tout de même trouver un baume, un apaisement ou une échappatoire quelconque, car cette plaie ouverte le faisait souffrir au plus haut point. Il avait enfin trouvé la perle rare et pour une raison qui lui échappait, on la lui avait enlevée presque aussitôt.

On ne peut regretter les couleurs vives que la vie nous offre si on ne les a jamais vues. Malheureusement pour Hugo, il n’avait pas que sa vision qui était déficiente; ses quatre autres sens l’étaient également. Tout ce qu’il touchait était absent de chaleur et de finesse tandis que l’acidité et l’amertume avaient remplacé toutes les saveurs. Son ouïe ne percevait dès lors que les sons agressants et suraigus. De plus, il redoutait que son odorat soit complètement détraqué, puisque de tout ce qui existait ne semblait s’exhaler que la douce odeur de son parfum. Si au moins, on lui avait laissé la chance de lui dire au revoir.

Au début, tout un chacun venait lui témoigner de l’empathie, mais Hugo restait incapable de leur répondre, préférant s’éclipser et se vautrer dans un mutisme malaisant. Il n’éprouvait plus de plaisir, et de sa flamme intérieure ne restait qu’un tison ardent.

De toute évidence, il était le sujet de conversation de l’heure, mais vu la situation, il ne pouvait les blâmer. Il n’avait envie ni de partager avec eux ses malheurs ni prendre la chance de leur fournir l’opportunité d’alimenter les cancans. En restant discret sur sa vie privée, il évitait ainsi de provoquer des ragots mensongers et altérés résultants d’une mauvaise interprétation de paroles qu’il aurait pu prononcer.