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Citations de Éric Dubois (104)


Un ami, Roberto, qui était un habitué des soirées au pub L'Aveyron, avait compris que je n'allais pas bien . Je lui parlais de lumières, de Dieu, de nuit, de fin du monde. Il faut dire que je ne sortais pas mais que j'errais, de plus en plus, sans but précis, parfois les pieds nus sur l'asphalte, la nuit, pour moi tout avait changé, le monde, la latitude, le climat, les pôles s'étaient inversés, et je naviguais bien sûr dans un Orient imaginaire. Et il y avait ces lumières, criardes, violentes, ces couleurs vives comme sous l'effet d'une drogue puissante. Épuisé et ravi, je me laissais aller à des rêves faits en plein jour, parfois, j'avais l'impression de voyager dans le temps, et observais chaque époque au coin d'une rue, mes ancêtres traverser les passages pour piétons, et aussi des petits êtres qui apparaissaient et disparaissaient en un quart de seconde. Les odeurs nauséabondes me poursuivaient également, là, où elles n'avaient pas lieu d'être. Et enfin les voix, Élie, Élie, Élie qu'elles disaient, pas méprisantes, pas ordurières, juste entêtantes, insectes de l'aube et du crépuscule, à certaines heures, mais toujours de courte durée.

– Votre famille ?

Un de mes frères s'en est inquiété auprès d'un de mes amis. Le 1er juin 1996, je fus hospitalisé par demande d'un tiers, en l'occurrence, ma famille, et, avec mon assentiment confus.
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– Ça a commencé comment ces voix, quand précisément ?

Je ne saurais pas déterminer avec précision. Ça a commencé par l'angoisse simple, diffuse, sournoise, sûre de son fait. Un jour de février 1996 un médecin est venu me voir chez mes parents : tachycardie, spasmes, l'impression de mourir. Depuis quelque temps, j'avais une grosseur au poignet gauche. J'imaginais qu'une tumeur sans doute cancéreuse allait me prendre peu à peu. Je voyais des lumières étranges, la nuit venant, des sillons en forme de croix dans le ciel, le jour, au passage des avions. Les automobilistes, aux feux, semblaient me regarder attentivement, de manière exclusive, le doigt sur la bouche, comme pour dire qu'ils faisaient silence et qu'ils n'allaient pas répéter autour d'eux que mon heure était de dire quelque chose d'important à l'humanité. Car j'étais devenu une sorte de prophète, la réincarnation du Christ ou Élie et j'étais persuadé d'avoir des origines juives. Tout cela dans une sorte de confusion délirante. J'entendais des voix me dire Élie, Élie, Élie... Je voyais sur les toits de vieux immeubles, des chats se transformer en cheminées et vice-versa. Myriam, ma petite amie de l'époque, essayait tant bien que mal de me suivre. Dans mon esprit, elle était Marie Madeleine, la pécheresse. La première nuit, nous eûmes l'impression de nous être déjà connus, dans une autre vie, ailleurs, il y a très longtemps, des milliers d'années. Étais-je Jésus ? J'avais le sentiment que le vieil immeuble qui abritait Myriam et ses enfants en bas âge, tantôt chez leur père, tantôt chez leur mère, avait été le témoin d'un épisode tragique de la Shoah, en 1942, l'arrestation d'une famille juive.
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Mes vrais amis, je les voyais de temps à autre. Il y avait Julien. Babos Velvetien , rencontré début des années 90 dans un club de vacances pour jeunes, il pratiquait une sorte de nonchalance étudiée dans la consommation expérimentale de certaines drogues. Il parvenait toujours à rebondir, protégé par des parents qui veillaient à ce que ses excès ne le conduisent pas au bord d'un gouffre insondable. Il m'entraînait dans ses frasques hallucinées et nous refaisions le monde un peu à la manière de Don Quichotte et de Sancho Pança. À certaines heures, reviennent en surface de l'être, des souvenirs, qu'on pensait enfouis pour toujours. Il est des soirs où l'abîme est si proche qu'il faut un don d'équilibriste pour ne pas tomber. Mais certains soirs, la brise du monde est comme une écharpe étoilée. Il faut toujours avoir présent à l'esprit, le monde. La vie ne me remplit pas d'aise mais elle m'étourdit par moments. De Julien, je garde de bons souvenirs. Car Julien invoquait les esprits de la fête. Il avait ce charme étudiant qui attirait les filles insouciantes, pas encore entrées dans la vie professionnelle. Moi, cinq ans de plus, je retrouvais l'état d'esprit du lycée, ce que j'aurais aimé vivre alors mais que je n'avais pas vraiment connu, parce qu'empêtré dans la retenue et le retrait. Je ne regrette pas avoir traversé avec lui ces quelques années de navigation à vue.
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La vie n'a pas de plan préétabli, de schéma directeur. La vie se charge de nous mener là où elle veut, sans qu'on y décide quelque chose. Tout est question de voix, et ça, les voix, je vais connaître, d'appels, ça aussi, de commandements internes (ou externes ?). Le fleuve cru emporte nos pessimismes, nos beautés retranchées et nos rêves essorés par un quotidien terne et sans événements majeurs ou si peu. Le fleuve contigu des années, métaphore usée pour désigner l'immobilité mobile d'un temps, en fait, fragmenté, concassé en blocs disjoints, en dehors de toute logique véritable, semble couler en nous, apparemment et on veut bien y croire à l'existence magique de ce palimpseste que nous pensons sans cesse écrire et réécrire. Comment (r)établir la vérité des faits ? Tout est confus. Je garde du passé une image fixe. je dois rassembler ça et là des morceaux épars pour tenter de consolider l'ensemble. Comment tout ça a commencé ? Le temps passé filtre les pas erratiques, les déconvenues. Comment tout ça est venu ? Une espèce de schizophrénie ? Allez, les médecins posent le diagnostic, on n'en parle plus, on n'a plus qu'à vivre avec, avec ça. Dis-je, en avalant un comprimé de 200 mg de Solian et un autre de 20 mg de Deroxat, comme tous les jours, cela depuis des années, le premier depuis vingt-deux ans et l'autre depuis quelques années. Ma vie est coupée en deux. Il y a l' Éric d'avant 1996 et l' Éric
depuis 1996. Je rappelle que la schizophrénie ce n'est pas un dédoublement de la personnalité. C'est, m'a-t-on dit, la personnalité qui se scinde en deux. En gros, la schizophrénie c'est la cassure, la fracture. Puis-je en dire plus ? Je ne suis pas médecin. La maladie mentale, c'est quelque chose d'imprévisible, dans une famille. Cela a l'air d'un lieu commun mais c'est vrai ! On ne songe pas un instant qu'un de ses proches va en souffrir. J'allais avoir trente ans.

Quelques années, auparavant, je travaillais dans une société de marketing direct à Créteil. Employé de bureau, j'étais devenu, les derniers temps, la tête de Turc de certains de mes collègues, une victime toute désignée d'un bizutage intempestif.
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