Citations de Éric Dubois (104)
Aller sur mes pas d’il y a vingt-cinq ans est difficile et j’ai peur pour ma raison. Tout voyage est intérieur certes mais tout voyage fait revivre les souvenirs qui y sont attachés Je ne voudrais pas remuer les larmes du passé et l’effroi et la stupéfaction de mes proches. Il y a leur pudeur, je n’en ai peu ou plus vraiment.
Je parcours les pages du Cahier de Brouillon dont une partie fut en effet rédigée pendant mon internement en juin 1996.
Je tombe sur un poème écrit le 13 juillet 1996, en hommage à mon oncle André, disparu en 1983, des suites d’une longue maladie. C’est en rouge.
André
Ce matin j’ai cueilli la fleur
de la Miséricorde
La langue des on-dits
et des non-dits
La fleur sauvage de Babel
Élie est magique
et thérapise
Élie il faut suivre
le soleil le fixer
et en transmettre
la force
12.08.96
Je reviens au Cahier de Brouillon. J’écris le 05 juillet de la même année : Les mythes fondateurs ( Oedype, Jonas ….) ne doivent pas être oubliés car le silence est de mauvais augure pour l’Humanité. Plus loin : Poètes préférés : Salomon, L’Ecclésiaste, le Cantique des Cantiques, Baudelaire, Poe, Rimbaud, Apollinaire, Verlaine, Mallarmé, les Surréalistes, René Char, Michaux, Prévert, Queneau, William Blake, Dylan Thomas, Jim Morrison, Khayyâm, Léopold Sedar Senghor, Lao Tseu… Plus loin, la généalogie de Jésus. Plus loin : Ne pas se poser des questions conditionnées Le soleil festonne au-delà du Mythe Fondateur. Toujours des poèmes. Le 15 juillet : Il faut que j’aie confiance en moi. Je réussirai et ce sera une victoire pour moi. Il faut que je tienne bon la barre. Le 22 : je fête mon anniversaire, j’ai trente ans. Vertiges, nausée, migraines, impossibilité de marcher, je reste allongé. Le soleil dehors est aveuglant. Marie, mes parents, quelques proches sont là. Je ne supporte plus l’Haldol et le Tercian. On me prescrira en substitution du Solian qui fonctionne bien sur moi
Mon Hospitalisation le 1er ou 2 juin 1996, je ne sais plus, au CHS Les Murets de la Queue en Brie marqua un tournant dans ma vie. Un quart de siècle plus tard, je peux dire que mon existence changea. Par la Maladie, par ma Maladie, je devins créateur de ma vie, ayant volé le feu dans le lieu de l’inexprimable, Prométhée mal dégrossi, pour apporter la lumière aux cloisons sombres du Monde. Le 3 juin, j’écris à Marie-Isabelle, ma petite-amie: Rassure-toi. Tout va très bien se passer comme il faut que cela arrive. J’écoute le Verger ( Tammuz), accrocher ses lumières à mon coeur. Je pense à l’Association du Choeur et à Pierre Pirol, qui cette fois ne manque pas d’inspiration ?
Comment vivre avec une obsession ? Comment vivre malgré elle ? Hervé ne m’est pas utile car il pense que je me fourvoie en prenant un virage potentiellement dangereux depuis l’arrivée de Milena, dans ma vie, surtout qu’il n’y a rien de notable, de remarquable dans cette histoire, me répète-t-il à hue et à dia car cela ne produit pas son effet .
Tu es encore sur cette histoire ? m’a-t-il dit. Mais tu n’as aucune chance, a-t-il continué . T’es vieux pour elle, et surtout pauvre. Mais j’ai eu une vie avant ma non-vie, lui ai-je dit. Mais c’était, il y a longtemps ! m’a-t-il asséné. Comment ? Mais tu ne peux pas comprendre ? ai-je conclu. Il m’a raccroché au nez. Dans ces situations-là , je bous intérieurement, j’écris quelques mots, sur la nappe en papier, qui recouvre la grande table inutile de mon salon, des mots de colère et de désoeuvrement. Enfin, je ne reste pas et sors prendre l’air et la température du monde.
Somme du réel implosif
extrait 2
Schizophrénie de l’escalier
qui est schizophrénie
Le nom propre vidé
de sa gangue en devenir
Le nom commun plein
du vocabulaire en arrêt
Tout est silence
dans la mort attentive
La vie est un fragment
que la joie anime
Somme du réel implosif
extrait 1
Schizophrénie du mot
qui est schizophrénie
Il est permis de douter
du sens et du visage
On porte des noms
comme autant d’habits
…
L'œil de la distraction
apporte la preuve
Que le monde
est le dernier spectacle
À la mode
On n'est rien
Que surface
Pixel mort
dont la bouche
Se tord
dans une grimace
Hachures de sable
Contraction
Le temps est disponible
quand l'offre et la demande
Circulent
Nous appréhendons les formes
dans l'éclat des gestes
Il y a l'écart
Le soleil des mots illumine le vide
chaque vocable appelle le résiduel
La nuit ouvre des paupières de lune
quand le silence défait les robes
Tout geste est précaire
dans l'impossibilité de comprendre
Toute issue est corde sensible
L'eau de la mémoire
se souvient
Quand la mort regarde droit
dans les yeux
Quant au silence sur la dune
il est principe du vent
Rêves des étoiles accrochés
aux maisons lentes
Les mouvements du monde
déplacent les épaules
Chaque déferlement précise
la pensée du geste
On n'est pas sorti de la nuit
Masse sombre
Je ne suis pas une masse sombre
indécise
j’ai des yeux une bouche
des yeux pour voir que tu ne veux pas
me voir
une bouche qui avale le silence
Je ne suis pas qu’une main tendue
je peux aussi serrer des mains
toucher des cœurs
Je ne suis pas une masse sombre
indécise
je suis une présence
j’ai des rides comme des cicatrices du passé
ma peau est tannée par mes nombreuses marches
et tous les soleils que j’ai pu vivre
Je ne dors pas je veille
je me souviens toujours de mes sommeils d’avant
toujours à regret des lits tièdes et des maisons pleines
Je ne sais plus si je rêve encore car j’ai faim et soif
froid et chaud
Ma vie n’est pas un rêve éveilléPassagers_dexil_couv2
mais une prison aux murs invisibles
que tu as construite pour moi
que tu construis
quand tu ne veux pas me voir
Parfois, la frontière demeure obscure entre la jalousie et l'attirance, le dégoût et le désir, l'indifférence et la répulsion. Morte, légère- oiseau, dans mes bras- rêve ultramarin. Elle est morte. Alors, la foudre est tombée, il a plu. Je suis sorti et l'eau a noyé mon amertume. La pluie. J'ai filé. On ne peut ignorer longtemps le mal. Est-ce que le sens des mots parvient à donner une explication du monde ?
Elle est maigre. Je l'aime. Son rouge à lèvres bave. Elle pleure. Parce que je lui fais encore l'amour.
Elle est morte, épuisée. Je l'ai à peine touchée. Elle ne réagit plus. Elle est blanche et le contraste est saisissant : elle, ses veines bleues sur sa peau agressée par la lampe halogène. Elle est translucide.
Je lui ai essuyé la bouche avec un Kleenex. Elle s'est sentie fautive.
- Pourquoi tu restes avec moi ?
- Parce que...
- Tu m'aimes ?
- Oui.
- Après tout ce que je t'ai fait ?
- Tu me disais que c'était fini. Je n'y ai pas cru. J'ai attendu.
Ses mains tremblent quand je les touche. Et je touche l'intérieur humide de son fourreau. Elle retient ses larmes . Maintenant, je peux dormir, près d'elle, sans la toucher. Elle a troué ses bas. Frissonné. Elle a bu un verre de J.D . Je n'ai pas osé lui dire que je l'aimais. Ça ne se dit peut-être pas ? Ça se devine.
Nos corps se sont encore entrechoqués. Elle a poussé des cris qui ont retenti comme des injures, des appels à l'aide et des éclats de rire. Évitons les clichés...
- Pourquoi t'es là ?
Elle m'a regardé avec insistance . Je n'ai pas voulu lui exprimer de la pitié. Les ténèbres rougeoyantes se sont dissipées.
- Je suis malade et tu restes avec moi...
Catherine se pelotonne. La nuit est étale. Elle a joui. Ses cheveux longs effleurent le torse d'Henri. Catherine se dresse, sa tête balance.
Avant que le jour ne vienne, je peux lui dire des sornettes. Les mecs aiment bien qu'on leur raconte notre vie. On parvient même à les persuader qu'on l'a vécue. A la recherche de quelque chose qui soit digne d'intérêt. J'ai du mal à savoir si les palpitations qui me démangent le cœur viennent de la fume, de l'alcool ou parce que je m'étire et bâille, à côté de lui...
Là , en ce moment, est-ce que j'éprouve quelque chose, ce quelque chose que je débite en paroles à longueur de journée ?
S'agit-il d'autre chose ? Envie qu'on me saute ?
Quelques années, auparavant, je travaillais dans une société de marketing direct à Créteil. Employé de bureau, j'étais devenu, les derniers temps, la tête de Turc de certains de mes collègues, une victime toute désignée d'un bizutage intempestif. Rien de méchant, apparemment, pas de violence physique ni sexuelle, ils me considéraient comme un "ami ", qui fait rire, certes, un pitre dépressif, mais un "ami". Ils m'aimaient à leur manière et bizarrement, je les aimais. On passait même des soirées ensemble, le week-end, souvent. Pourtant, avec amour, ils m'humiliaient dans leurs jeux sadiques. Ils pouvaient chaparder ma carte d'identité, momentanément, en y inscrivant "Petite bite", cacher mon sac à dos dans les buissons du parking de la boîte, à l'extérieur, me scotcher dans l'entrepôt, avec du gros ruban adhésif, qu'on emploie dans les entreprises, pour emballer des paquets, sur un plateau tournant, qui filme les palettes. Ça a commencé comme ça, sans doute. J'y pense tout le temps. Mais, à l'époque, je fuyais cette réalité, j'essayais de l'escamoter, je ne parlais à personne, à l'extérieur, ni à mes proches, ni à mes amis.
Je ne suis pas retourné au café tout de suite. J'ai attendu quelques jours. J'ai appelé au téléphone Hervé. C'est mon meilleur ami, on est de la même génération, sa femme l'a quitté pour un plus jeune que lui, il vit seul dans un appartement qui semble démesurément vide. Je lui ai raconté ma rencontre, il semblait intrigué.
- Tout est possible, de nos jours, m’a affirmé Hervé. Tu n’as pas à craindre que Milena tombe amoureuse de toi. Tu as l’habitude de faire signer des contrats, de connaître ainsi tes contemporains et leurs errements. Tout est envisageable, à condition de la retrouver. C’est un signe que t’envoie le temps, qu’il ne faut pas mésestimer.
On s’est salués. J’ai raccroché.
L’ETAT DES LIEUX
Que saisir
Sous les dalles
Des silences
Partagés ?
Qu’il est triste
Et la nuit
Obscurcit
Les bougies
Qu’il est triste
De ne pas
Lace tes souliers
Qui demandent
L’analyse
De ne pas
Creuse en nous
La lie
La mélancolie
De ne pas
Sombrer
Plus d’éclat
Longue page
D’amnésie
L’ombre
Nue
Tes seins
De ne pas
Sombrer
Plus avant
Notre amour
D’en découdre
Dans la salle
Caméléon
Le mauvais génie
De la lampe
Transcende
Le hasard
Plus avant
De ne pas
Sombrer
Dans la ville
Epaisse
Imputée
Au feu
Dans les morsures
Du Tigre
De ne pas
Plus avant
Chacun se glace
Mon amour
De ne pas
Plus avant
Sombrer
Mon amour
Avec toi
Sans équivoque
Chacun se place
Et fait
L’état des lieux
ENTREE DU CANAL
Manteau
De printemps
Feu
Tranchant
J’attends
Ton signal
Ton rire
Réparateur
Que tu m’inondes
De tes pentes
Prophétiques
A l’entrée
Du canal
Pavée
D’ombres
Manteau
D’absolu
Je croise
Les regards
Des moutons
Pacifiés
On décapite
L’horizon
La Marne
S’exile
Un peu
Plus
Mes regrets
Dansent
Et traînent
Des souvenirs
Opaques
Je suis l’Homme
Aux pieds
De marbre
Qui ne peut
Marcher
Pétrifié
Abandonné
Dans le ventre
De la terre
Manteau
De printemps
Je m’exile
Un peu
Plus